
Les attaques contre les agences publiques de l’environnement montrent une volonté d’affaiblir la protection des milieux naturels, affirment les auteurs de cette tribune. Notre santé et celle de l’environnement sont en jeu.
Par Raphaël YVEN, Emilie AGNOUX, Christine MORO, Mylène JACQUOT, Maria PLA, Benoît TESTE & Luc FARRE.
Raphaël Yven est président du Lierre ; Émilie Agnoux est cofondatrice du Sens du service public ; Christine Moro est vice-présidente d’Une Fonction publique pour la transition écologique ; Mylène Jacquot est secrétaire générale de la CFDT Fonction publique ; Marie Pla est co-porte-parole du Collectif Nos services publics ; Benoît Teste est secrétaire général de la FSU ; Luc Farré, secrétaire général de l’Unsa Fonction publique.
Ademe, Office français de la biodiversité (OFB), Agence bio : depuis plusieurs semaines, ces trois structures publiques sont ciblées de façon très marquée par une partie de la classe politique. Invoquant notamment le contexte budgétaire, celle-ci demande la diminution de leurs prérogatives et, pour l’Agence bio, sa disparition — elle a finalement été préservée.
Nous, agents publics impliqués dans la transition écologique de nos modèles agricoles et alimentaires, pointons les risques de ces propositions, qui menacent la dynamique fragile de transition agro-écologique et l’accompagnement de nos agriculteurs face aux défis environnementaux, sans répondre pour autant aux enjeux budgétaires et d’efficience de l’action publique.
« Protéger les agents publics qui accompagnent le monde agricole doit être une priorité absolue »
Nos systèmes agricoles sont intrinsèquement dépendants d’un climat stable et d’écosystèmes en bonne santé. Face aux conséquences déjà visibles des crises environnementales, une transition massive vers des solutions agroécologiques prometteuses et une évolution de notre alimentation sont nécessaires. Elles seules garantiront notre santé et notre sécurité alimentaire, la protection de nos écosystèmes et la pérennité économique de notre agriculture.
Dans un contexte troublé pour la transition agroécologique (restrictions budgétaires, normes agro-environnementales contestées, difficultés économiques des exploitations freinant leurs investissements verts, etc.), protéger les acteurs et agents publics qui accompagnent le monde agricole face à l’urgence environnementale doit être une priorité absolue pour pérenniser les dynamiques balbutiantes de transition.
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Ces éléments n’ont malheureusement aujourd’hui que peu de poids face aux arguments budgétaires. Or, si un débat sur l’agenciarisation de l’État, ses coûts, et le contrôle de ses opérateurs, mérite d’être posé au vu de l’état de notre démocratie et de nos finances publiques, cibler ces trois agences semble peu compréhensible au vu de leurs performances récentes.
Le coût de l’inaction environnementale
Affaiblir ou supprimer ces opérateurs ne se soldera ni par une augmentation de l’efficience de l’action publique, devant guider les choix budgétaires actuels, ni par de réelles économies budgétaires de court terme, au vu de l’efficacité des actions de ces opérateurs, de leurs faibles montants de fonctionnement [1] et des coûts de restructuration que leur disparition ou intégration dans d’autres organismes ou directions de l’État occasionneraient.
Cela ne se traduira pas non plus par des gains à long terme. Au contraire, cela risque même d’augmenter les coûts de l’inaction environnementale, qui grèvent toujours plus les budgets de l’État : coûts de dépollution de l’eau, de santé liés aux pollutions diverses, de soutien aux agriculteurs face aux aléas climatiques, etc.
Fragiliser ces opérateurs fait aussi planer le risque d’une dégradation du service rendu à nos agriculteurs en pleine crise. Les expertises techniques et de gouvernance partenariale de ces structures au service du monde agricole ne seront pas intégralement reprises, si elles sont diluées dans les actions déjà gérées par FranceAgriMer ou le ministère de l’Agriculture.
Une lourde perte de compétences de l’État
Supprimer l’Agence bio pourrait fragiliser durablement le rôle de force d’entraînement de la filière bio pour nos filières agricoles dans les transitions agroécologique et alimentaire, et l’écosystème partenarial bio construit depuis la création du logo AB, en 1985, par le ministère de l’Agriculture. Cela risque de détruire l’efficience de l’action publique sur le bio, fondée sur une expérience de l’Agence consciencieusement acquise depuis plus de vingt ans et un accompagnement sur-mesure de la filière que ses agents mettent en œuvre : son efficacité et celle du travail de ses salariés ont justement été soulignées par la Cour des comptes en 2022.
Le licenciement de ses employés sera brutal et occasionnera, pour l’État, une perte majeure de compétences qui mettront des années à être reconstruites. Comme l’attestent les réactions unanimes du monde agricole et de l’agroalimentaire ces derniers jours, l’hypothèse d’une disparition de cette agence fait aussi craindre un éloignement et une standardisation de l’accompagnement de l’État au secteur, alors que la filière bio est en cours de rémission d’une crise très violente.
Ces arguments sont aussi valables pour l’Ademe, qui portait à elle seule en 2022 deux tiers des aides de l’État aux entreprises sur la transition écologique. L’Inspection générale des finances invitait d’ailleurs en 2023 à faire de l’Ademe « le maître d’ouvrage privilégié des aides à la transition écologique des entreprises », en soulignant son expertise reconnue en matière environnementale, permise par le travail et l’engagement professionnel de ses agents.
L’affaiblissement de l’Ademe menace d’entraîner une perte de compétences unique de l’État sur les enjeux environnementaux, dont ceux de transition agro-écologique : agrivoltaïsme, valorisation des haies, diagnostics climatiques de fermes… Veut-on vraiment priver le monde agricole, percuté par les crises environnementales, de l’expertise cruciale de cette agence ?
Affaiblir l’OFB, un péril pour la protection des écosystèmes
Quant à l’Office français de la biodiversité, vouloir son affaiblissement indique une méconnaissance de l’histoire et du rôle majeur de cet opérateur. Cette structure, issue d’une fusion récente (2020) de deux opérateurs, a déjà permis de diminuer le nombre d’opérateurs publics. Son action est décisive sur le plan environnemental, la Cour des comptes ayant elle-même reconnu en 2024 que l’objectif lui ayant été assigné à sa création (regrouper les expertises nationales de gestion, de connaissance et de protection des espèces et des milieux aquatiques et terrestres) était atteint, malgré la complexité de la tâche.
Affaiblir l’OFB mettrait en péril l’exercice de ses missions, dont la préservation de la qualité de l’eau et des écosystèmes, essentielle à une agriculture saine, à notre sécurité alimentaire, à notre santé, et en premier lieu à celle des agriculteurs, très exposés aux pollutions en milieu rural.
Dans un triple contexte de crise environnementale, agricole et budgétaire, nous exprimons et apportons tout notre soutien à nos collègues et au travail fait par ces trois acteurs reconnus pour l’impact et l’efficience de leurs actions. Au contact quotidien du monde agricole, ils sont essentiels à la transition agroécologique, à notre sécurité alimentaire et à notre santé collective. Nous appelons à ce que les arbitrages sur le devenir de ces structures continuent de porter ces priorités collectives de transition écologique et de santé.
Notes
[1] L’Ademe, par exemple, gère un budget de 3,5 milliards d’euros, pour seulement 25 millions de dépenses de fonctionnement, hors personnel. La subvention à l’Agence bio représente un peu moins de 3 millions d’euros dans le budget de l’État.
Précisions
– Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
– Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.
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Source: https://reporterre.net/Affaiblir-l-Ademe-l-OFB-et-l-Agence-bio-pourrait-couter-cher
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