Tribune-«Le sang des Congolais coule dans nos téléphones» (reporterre-6/02/25)

Des mineurs artisanaux congolais utilisent de l’eau pour séparer la terre de l’or, à Mabukulu, en RDC, le 11 juillet 2018. – © John Wessels / AFP

Le numérique repose sur des minerais extraits au prix de massacres en RDC. Les auteurs de cette tribune appellent l’Europe à cesser d’alimenter ce cycle infernal.

Par Génération lumière & Team Congo.

Génération lumière est une association écologique et de solidarité internationale, et Team Congo est un regroupement de personnalités et d’associations congolaises.

Le numérique n’est pas seulement un monde « virtuel ». Par son infrastructure, il engendre d’autres réalités très concrètes. La première de ces réalités est son besoin croissant en minerais, dont l’extraction et la production ont des conséquences environnementales et sociétales désastreuses.

L’illustration la plus macabre de ces conséquences se trouve dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis 1997, nous assistons à des tueries à la chaîne de millions de Congolais. Les Nations unies ont cessé de compter ces morts en 2014. Leur estimation était de 6 millions. C’est la guerre la plus meurtrière depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les différents rapports de l’Organisation des Nations unies (ONU) ont successivement démontré l’implication directe et indirecte des multinationales et des États étrangers, qui financent et instrumentalisent les groupes armés pour sécuriser l’accès aux minerais. D’où le pillage massif de certains métaux dont regorgent le sous-sol du Nord et Sud-Kivu.

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En effet, ces groupes armés, guidés par une logique de profit impitoyable, perpètrent des violences d’une brutalité inouïe. Plus de 1 152 femmes sont violées par jour. Une stratégie barbare pour instaurer la terreur et minimiser le coût des balles. Ces viols quasi industriels constituent, aux côtés des bombes et autres armes, des instruments de destruction massive de la population locale.

Par ailleurs, l’exploitation effrénée des ressources minières dans cette région crée un écocide, ses effets nocifs peuvent provoquer de graves maladies tout en rendant quasi impossible l’autonomie alimentaire. Plus de 500 000 hectares de forêt du bassin du Congo, désormais premier poumon vert de la planète, disparaissent sous les assauts de l’industrie extractive.

Ainsi, derrière ce chaos, c’est un pillage organisé sous couvert d’instabilité politique. Le récit ethnique véhiculé par les seigneurs des guerres et leurs maîtres sert de paravent à une guerre impérialiste moderne où les armes du capitalisme se combinent avec la violence brute pour garantir une exploitation sans entrave.

« Nous n’en voulons ni ici, ni en RDC, ni ailleurs »

Les politiques de l’Union européenne ne doivent pas participer à la perpétuation de ce pillage, sinon, il continuera. Car ce territoire possède à lui seul 80 % du coltan mondial ; il est le premier producteur mondial du cobalt et le deuxième producteur mondial de cuivre ; il détient la première grande réserve mondiale de lithium non exploitée, etc. La République démocratique du Congo dispose en fortes concentrations de ces métaux, mais aussi de plomb, de zinc, de manganèse, d’uranium et d’autres minerais indispensables aux plans de transition écologique et de déploiement du numérique que l’Union européenne a décidé de mettre en place.

Nos décisions concernant le développement des industries aéronautiques, de l’automobile et des armes, tous de plus en plus demandeurs de ces minerais, ajoutent des pressions supplémentaires sur ce pays. Si nous ne remettons pas en question cet appétit en minerais de l’Europe via nos décisions politiques, ces minerais seront inévitablement extraits au prix du sang des Congolais, parce que nous ne voulons plus d’extractivisme ni ici, ni en RDC, ni ailleurs, l’urgence écologique et sociale actuelle à Goma, doit nous pousser à repenser un modèle de société, une nouvelle manière d’habiter la Terre. Nous devons repenser les plans européens de transitions écologiques, numériques, industrielles, car ils sont quasi exclusivement extractivistes.

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Avant cela, il est urgent de répondre aux actes du Rwanda, qui, depuis deux semaines, ne dissimule plus son pillage de la RDC. Comme l’ont déjà demandé cinq eurodéputés à travers leur propre tribune, nous appelons l’Union européenne à décréter un embargo immédiat sur les minerais provenant ou étiquetés Rwanda, et par la même occasion, mettre fin au « Protocole d’accord sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières » signé entre l’UE et le Rwanda. Ce dernier ne disposant pas des réserves naturelles suffisantes pour répondre à cette demande, l’origine réelle de minerais fournis est donc très inquiétante.

Pour faire cesser les armes, nous demandons à mettre fin à notre coopération militaire avec ce pays. Enfin, nous demandons de suspendre toute aide au développement de son gouvernement que cela soit sous la forme de prêts ou de dons jusqu’au retrait de ses forces armées et de ses proxys en RDC. Ce n’est plus un secret pour personne, si nous finançons par quelques moyens que ce soit le gouvernement rwandais, nous finançons le viol, le meurtre de millions de Congolais via le M23 et l’armée rwandaise.

Nous invitons quiconque lira/signera cette tribune à s’éloigner de l’analyse de la guerre touchant le peuple congolais à travers un prisme ethnique. Car cela contribue à dissimuler les interrogations essentielles que notre société européenne, et les pays riches en général, doit aborder, comme le coût de la numérisation de nos sociétés.

Précisions

– Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
–  Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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Source: https://reporterre.net/Le-sang-des-Congolais-coule-dans-nos-telephones

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/tribune-le-sang-des-congolais-coule-dans-nos-telephones-reporterre-6-02-25/

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