Handicap : vingt ans après la loi pour l’égalité, le compte n’y est toujours pas (H.fr-10/02/25)

20 ans après la loi de 2005, les discriminations et les inégalités demeurent faute de volonté politique.
© Jean-Michel DELAGE / Hans Lucas

La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées n’est toujours pas appliquée. Faute de volonté politique et d’un budget suffisant, les moyens pour une pleine intégration font défaut, les discriminations demeurent monnaie courante et l’approche reste dans le registre de la charité.

Par Hélène MAY.

On est toujours loin du compte. Adoptée en 2005, la loi handicap promettait que « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ».

Vingt ans plus tard, et malgré la promesse du président Emmanuel Macron, dès son élection, de faire du sujet une priorité, « force est de constater que les droits créés par cette loi restent pour beaucoup d’entre eux ineffectifs », dénonce Arnaud de Broca, président du Collectif Handicaps, qui regroupe une cinquantaine d’associations.

Les discriminations perdurent

Malgré la ratification en France en 2010de la Convention internationale de l’ONU pour les personnes handicapées, qui élargit la loi en rappelant que le handicap n’est pas une maladie mais le résultat des interactions avec un environnement inadapté, les discriminations restent monnaie courante.

Année après année, le handicap est le principal motif de saisine du défenseur des droits. Faute de moyens et de volonté, les infrastructures matérielles et humaines nécessaires à la vie dans la cité font défaut. Au point que la France est régulièrement épinglée par des instances internationales, comme l’ONU ou le Comité européen des droits sociaux (CEDS).

Pouvoir se déplacer sans entrave est la base d’une vie de citoyens libres. Mais, pour les porteurs de handicap, cela reste impossible. La loi de 2005 stipulait pourtant que tous les lieux devaient être « accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap ». Elle donnait dix ans au 1,8 million d’établissements recevant du public (ERP) pour effectuer les travaux de mise en conformité.

Accessibilité : de reports en renoncements

Au denier décompte, en 2023, seulement la moitié l’avait fait. Au nom de l’économie, l’État n’a pas cessé de repousser et d’aménager cette obligation. Le renoncement concerne aussi les transports« L’ordonnance du 26 septembre 2014 a légalisé une discrimination en réduisant l’exigence à ne disposer que de 35 à 40 % des points d’arrêt (« arrêts prioritaires ») accessibles sur un réseau de transport. Quelle personne valide accepterait de ne pouvoir voyager que sur un tiers d’un réseau de transport ? » tacle le Collectif handicaps dans son bilan de la loi.

Résultat, en 2023, seulement 65 % des 736 gares définies par la SNCF comme « à rendre accessibles prioritairement » l’étaient, sur les 3 000 points d’arrêts que compte le pays. Pour les seuls quais, le bilan remis à jour début 2025 mentionne « 83 gares terminées sur 158 prévues ».

À l’heure de la dématérialisation, l’inaccessibilité concerne aussi Internet. Et même l’État est en faute. En juillet 2023, parmi les 248 démarches administratives les plus utilisées sur la Toile, 78 étaient encore totalement hors de portée et 146 ne l’étaient que partiellement. « Sur l’accessibilité, nous sommes allés au bout de l’incitation, il est temps de prendre des sanctions », estime désormais le président du Collectif.

Une compensation insuffisante et inégalitaire

Le droit à la compensation est l’autre grand volet de la loi de 2005. Il précise que la société doit prendre en charge les aides matérielles et humaines nécessaires pour compenser le handicap. Ce faisant, il est l’outil de l’autonomie et d’une participation à parts égales à tous les aspects de la vie sociale.

Mais la prestation de compensation du handicap (PCH), qui incarne ce droit, « n’a pas été revalorisée depuis 2006 », rappelle Arnaud de Broca. Plafonnés, ses montants – neuf heures par jour seulement d’aide humaine, 3 200 euros maximum sur dix ans pour l’aide matérielle ou 10 000 euros sur dix ans pour rendre son logement accessible – sont trop faibles pour permettre une participation à la vie de la société, surtout pour les handicaps les plus lourds.

Remboursement des fauteuils, une bonne nouvelle, mais…

Un million de personnes à mobilité réduite sont concernées. Annoncé par Emmanuel Macron dans une vidéo postée sur TikTok, le « remboursement intégral » des fauteuils roulants sera effectif à partir du 1er décembre 2025. Le décret a été publié le 6 février. Le ministre chargé de l’autonomie et du handicap a précisé que « ce nouveau modèle simplifie l’ensemble du processus, met fin aux restes à charge », et que, « désormais, toute demande d’accord préalable devra recevoir une réponse dans un délai de deux mois maximum ». Sachant que l’assurance-maladie sera le seul financeur. Une bonne nouvelle a priori, sauf que, sur la liste des fauteuils concernés publiée au Journal officiel, le montant pour chaque équipement n’est pas précisé. Le texte ne donne pas non plus d’indication sur les prix limites de vente. Or, une mesure de plafonnement pourrait exclure certains usagers du dispositif, notamment ceux dont les fauteuils sont les plus chers. Les contours de cette réforme, encore flous, sont censés être précisés prochainement dans un nouveau texte.

L’obtenir relève en outre du casse-tête. « Les délais d’instruction s’allongent et les procédures demeurent complexes », résume Vincent Harel, coordinateur du collectif en Meurthe-et-Moselle. Décidés par les maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH), également créées par la loi de 2005, leurs versements comme leurs montants dépendent « de politiques départementales très hétérogènes », créant une très forte inégalité territoriale.

Éducation : derrière les chiffres, l’exclusion continue

Après des siècles de relégation dans des institutions pour personnes malades, la loi de 2005 a entériné la scolarisation des enfants handicapés, de préférence dans les écoles ordinaires. En vingt ans, l’amélioration a été fulgurante. « Depuis 2006 le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés à l’école a considérablement augmenté, passant de 155 000 à la rentrée 2006 à 436 000 à la rentrée 2024 », soulignait le 5 février un communiqué de l’ensemble des syndicats de l’Éducation nationale.

Mais ces chiffres cachent des réalités plus contrastées. Beaucoup de personnes restent encore aux portes de l’école. C’était le cas, à la rentrée 2022, de 18 % d’enfants accompagnés par les associations de l’Unapei (Union nationale des parents d’enfants inadaptés). Un nombre encore plus important n’est scolarisé qu’à temps partiel, parfois seulement quelques heures par semaine, faute notamment d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), un personnel précaire, sous-payé, pas formé, qui se voit de plus en plus contraint de partager son temps entre plusieurs enfants.

À l’école, les élèvessont confrontés à des enseignants peu formés, mais surtout à un système scolaire qui leur demande de s’adapter à un modèle unique et tend à mettre en échec tous ceux qui ne maîtrisent pas ses codes. La promesse d’éducation est aussi entravée par la dégradation générale des moyens de l’école en raison des économies budgétaires faites sur la quantité et la qualité du personnel enseignant et encadrant.

Logement, le grand recul

Le logement est un des domaines dans lequel l’objectif de 100 % d’accessibilité énoncé par la loi de 2005 a été particulièrement trahi. L’obligation, qui ne pesait que sur les nouveaux bâtiments, a été amoindrie en 2018. Au nom de la volonté de « libérer la construction », la norme a été abaissée à 20 %, accroissant la pénurie de logements accessibles. Les personnes handicapées ont pourtant déjà plus de difficultés que les autres à avoir accès à un logement autonome – 56 % contre 28 % pour la population générale, selon un sondage réalisé en 2022 par l’APF France handicap.

Elles sont entravées par « un niveau de vie inférieur à 1 599 euros par mois (300 euros de moins que le niveau de vie médian des valides) et près de 26 % vivent en dessous du seuil de pauvreté (contre 14 % pour les valides) », souligne la Fondation pour le logement des défavorisés (FLD, ex-Fondation Abbé-Pierre), qui consacre son dernier rapport annuel à ce sujet. Mais leur accès au logement « est aussi compliqué par les discriminations », insiste Manuel Domergue, son directeur des études, citant le refus de certains bailleurs de compter l’allocation adulte handicapé comme un revenu ou de leur louer en raison de préjugés.

Même dans les logements sociaux, dit-il, « 20 % seulement des demandes sont satisfaites et le taux d’acceptation est inférieur à la moyenne ». Faute de trouver à se loger, les personnes handicapées sont souvent contraintes de vivre en institution ou chez des proches. Elles sont aussi confrontées, selon la FLD, à « toutes les formes de mal-logement en pire », auquel s’ajoute le fait de vivre dans un habitat inadapté, ce qui entrave leur autonomie et les assigne à résidence.

Sortir du validisme

Mais, au-delà du nécessaire respect des améliorations matérielles prévues par la loi, c’est un changement d’approche radicale que demandent de plus en plus de militants handicapés. Ils appellent à rompre avec le validisme, que le Collectif luttes et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (Clhee) caractérise comme « la conviction de la part des personnes valides que leur absence de handicap et/ou leur bonne santé leur confèrent une position plus enviable et même supérieure à celle des personnes handicapées » et qui justifie une relégation dans les institutions, le déni d’autonomie et de citoyenneté à parts égales.

Une critique partagée par Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU. Dans un rapport en 2022, il s’en prenait à la France, fustigeant « une législation et des politiques publiques fondées sur le modèle médical et des approches paternalistes du handicap ».

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Source: https://www.humanite.fr/societe/acces-au-logement/handicap-vingt-ans-apres-la-loi-pour-legalite-le-compte-ny-est-toujours-pas

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/handicap-vingt-ans-apres-la-loi-pour-legalite-le-compte-ny-est-toujours-pas-h-fr-10-02-25/

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