Huit militants anti-PFAS risquent la prison avec sursis (Reporterre-12/02/25)

Les activistes d’Extinction rébellion sur les marches de la cour d’appel de Lyon, le 11 février 2025. – © Moran Kerinec / Reporterre

Huit militants écologistes étaient jugés en appel le 11 février à Lyon pour s’être introduits dans une usine d’Arkema. Ils entendaient dénoncer ses rejets massifs de polluants éternels. Ils risquent jusqu’à 6 mois de prison avec sursis.

Par Moran KERINEC .

Lyon (Rhône), reportage

Président à la cour d’appel de Lyon, Jean-Hugues Gay cache ses questions affutées sous une humeur espiègle. « Comment on fait un œuf au plat sans poêle au téflon ? » « Les normes, c’est bien ou pas bien ? » « C’est rigolo de grimper sur un bâtiment ? » Derrière ces interrogations faussement taquines se joue la liberté de huit activistes écologistes. Convoqués au palais de justice le 11 février, ils et elles risquent de 4 à 6 mois de prison avec sursis et 53 650 euros de dommages et intérêts. Le délibéré sera rendu le 15 mai.

Rembobinons. Le 2 mars dernier, quelque 300 activistes vêtus d’une blouse blanche se sont introduits sur le site d’Arkema à Pierre-Bénite, au sud de Lyon. Cette action visait à dénoncer les rejets massifs de PFAS dans le Rhône et l’air de la commune. Ces mêmes polluants éternels qui peuvent provoquer des cancers et des perturbations du système immunitaire. Plus de 220 000 personnes pourraient être touchées dans la région.

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Au cours de l’action, des grillages ont été fendus au coupe-boulon, des portes forcées au pied de biche, des fenêtres cassées au marteau. Des murs ont été tagués « Arkema Assassin » et une banderole « POISON » surmontée d’une tête de mort a été déployée du toit d’un bâtiment. Huit membres d’Extinction Rebellion ont été arrêtés sur les lieux.

Le tribunal correctionnel de Lyon les a relaxés en première instance, estimant que les poursuites représentaient « une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ». Seul un activiste a été condamné à une amende de 500 euros pour « violence sans ITT » (incapacité temporaire de travail). Mais le ministère public a fait appel de ce jugement, rejoint par Arkema.

Bis repetita. Revoilà les militants écologistes à la barre pour justifier leur action. « Il ne faut pas confondre légal et légitime, le but de la désobéissance civile est de faire bouger les lignes plus vite, justifie Clara [*]. On n’a pas le temps d‘attendre de voir naître des enfants avec des malformations. » Contact de la presse ce jour-là à Pierre-Bénite, cette mère d’une petite fille est restée à l’extérieur du site pour éviter l’interpellation. Ce qui n’a pas empêché la police de lui imposer 48 heures de garde à vue et de saisir sa voiture.

À ses côtés se tient Fabrice [*], doctorant en biologie marine pour qui « être chercheur n’est pas suffisant, on peut utiliser notre temps à des fins collectives ». Ou encore Emma [*], membre des déserteurs d’AgroParisTech, atteinte d’endométriose, qui la « plie en deux de douleurs » chaque mois et dont « les études démontrent un lien de causalité entre les PFAS et cette maladie ». Des personnalités loin « des profils black block », compare leur avocat Me Forray : « On est sur de l’ingénieur, qui connaît suffisamment bien ces produits-là pour en parler. »

« Désobéir pour l’intérêt général »

Des élues sont venues prendre la défense des prévenus. Vice-présidente à l’Eau à la métropole de Lyon, Anne Grosperrin a mis en parallèle « la responsabilité d’un industriel qui a versé ses polluants en connaissance de cause et en toute impunité » avec la « criminalisation des lanceurs d’alerte » d’Extinction Rebellion.

La députée écologiste Marie-Charlotte Garin a elle dénoncé l’influence du lobby de la chimie à l’Assemblée nationale et dans les couloirs des ministères. « C’est anormal que le rapport de force soit aussi déséquilibré, souligne la parlementaire qui défend l’action des activistes. Si des personnes avant moi n’avaient pas désobéi, je n’aurais pas le droit de vote et je ne serai pas députée. C’est le droit de chacun de désobéir pour l’intérêt général. »

Le collectif PFAS contre terre devant la cour d’appel, le 11 février à Lyon. © Moran Kerinec / Reporterre

Maraîcher au sud de Lyon et affecté par les PFAS, le docteur en chimie Louis Delon a lui rappelé que « dans les rapports et publications que nous avons étudiés, la contamination du champ étant le plus contaminé était déjà connue depuis 2012 ». Des rapports qui sont restés au placard jusqu’en 2022. De quoi provoquer « une colère et un désarroi important » parmi les habitants de la vallée de la chimie.

Cette situation aurait pu mener au désastre, pointe Me Graulle, l’avocate d’Arkema. L’usine classée Seveso seuil haut aurait couru « un risque d’explosion » avec l’intrusion des activistes selon la juriste, pour qui les seules actions légitimes ne peuvent être que légales. « Dans un État de droit, on fait du droit », défend l’avocate, qui craint que « l’invasion de sites Seveso devienne un sport national ».

Comme en écho d’Arkema, l’avocat général Vincent Auger a contesté l’existence de l’état de nécessité justifiant l’action militante. « La métropole de Lyon elle-même ne dispose pas de la preuve que les PFAS produits par Arkema polluent », assure-t-il, rappelant que « trois experts ont été mandatés par le tribunal judiciaire pour trouver l’origine de la pollution. S’il y a danger imminent, il n’y a pas besoin d’expertise ». Une rhétorique qui fait voir rouge à Me Forray : « Je suis infligé qu’au bout de huit heures d’audience qu’on se dise “Bof, c’est pas si grave d’avoir des PFAS dans la tête et dans le sang” ! »

L’avocat général a requis 4 à 6 mois de prison avec sursis contre les huit activistes pour groupement en vue de commettre des violences, et de déclarer coupable de rébellion l’un d’eux. Arkema leur demande 53 650 euros de dommages et intérêts. Le délibéré sera rendu le 15 mai.

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Source: https://reporterre.net/Huit-militants-anti-PFAS-risquent-la-prison-avec-sursis

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