Témoignage-« J’ai été marqué au fer rouge par ces violences » : le témoignage inédit d’une victime qui accuse un autre directeur de Bétharram (H.fr-25/02/25)

À partir de ses 10 ans, Michel a enduré des sévices physiques et sexuels alors qu’il était élève à Notre-Dame de Bétharram. © Jean Cathala / collectif DR

Soixante-cinq ans après les premiers sévices endurés au sein de l’institution religieuse des Pyrénées-Atlantiques, à partir de l’âge de 10 ans, Michel a enfin trouvé le courage de parler. Il vient de déposer plainte à la gendarmerie et s’est confié longuement à l’Humanité : « J’ai été marqué au fer rouge par ces violences. » Mais ses proches, eux, ignorent tout de ses profondes blessures.

Témoignage recueilli par Alexandre FACHE.

À 74 ans, Michel fait partie de ces victimes de l’institution Notre-Dame de Bétharram à qui le scandale récent a donné la force de parler. Soixante-cinq ans après. « Parce que, dit-il, la peur a enfin changé de camp. » Son premier récit des violences subies durant six années au sein de l’établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques, entre l’âge de 10 et 16 ans, soit entre 1960 et 1966, il l’a d’abord livré, il y a deux semaines, à la gendarmerie située à dix minutes de chez lui, dans l’Hérault.

La plainte, que nous avons pu consulter, est venue grossir les 112 procédures enregistrées au 31 janvier dernier par le parquet de Pau. Un total qui dépasse désormais les « 140 plaintes », selon Alain Esquerre, le porte-parole du collectif de victimes, « dont 70 de nature sexuelle ».

Michel n’a rien dit à ses frères, qui étaient aussi à Bétharram

Le second récit de Michel, c’est à l’Humanité qu’il le livre, durant plus d’une heure et demie. « Je vous parle là, parce que ma femme dort dans la pièce d’à côté. Je ne lui ai jamais rien dit de tout cela, ni à aucun de mes proches. Même à mes frères, qui étaient aussi à Bétharram en même temps que moi… » Pour Michel comme pour beaucoup d’autres, les violences perpétrées dans l’institution pour imposer le silence – dans le quotidien de l’école comme vis-à-vis de l’extérieur – ont fonctionné à plein. Jusqu’aux révélations récentes, qui ont libéré sa parole, sans toutefois le décider à parler à visage découvert, ni avec son vrai nom – Michel est un prénom d’emprunt.

« Je ne pense pas que cette terrible révélation va me faire grandir sans faire remonter des douleurs et des regrets sur des faits que je ne peux plus modifier », se justifie-t-il, craignant, s’il donnait son nom, « d’être traité comme un héros ou comme une bête curieuse. » Le septuagénaire n’est bien sûr ni l’un ni l’autre, simplement un homme qui a essayé de se construire tant bien que mal, après une « enfance brisée ».

Posément, il raconte ses premiers pas à Bétharram, envoyé là avec deux de ses frères car leur mère, malade, ne pouvait plus s’occuper d’eux. « On était dans des dortoirs de soixante lits, et tout, absolument tout, devait se faire en silence. Au moindre écart, au moindre chuchotement, on recevait des gifles énormes de la part des surveillants, qui appliquaient un règlement que nous ne connaissions même pas, mis à part l’obligation de se taire. » L’atterrissage est brutal pour le jeune garçon, élevé dans une famille sans histoires.D’autant plus brutal que Michel doit passer tous ses week-ends à Bétharram, son domicile étant trop éloigné pour rentrer chaque semaine.

« Le plus terrible, c’était avec les curés »

Cette « discipline de fer » imposée par les surveillants a instauré « un climat qui faisait plus penser à une prison ou à un camp de concentration qu’à une école, résume l’ancien élève. Et à 10 ans, on apprend vite à obéir ». Sauf que les garants de l’ordre, à Bétharram, ne se sont pas contentés de « simples » coups ou de brimades. « Les surveillants avaient aussi l’habitude de venir au bord du lit pour nous tripoter. À quelle fréquence ? C’est difficile à dire, mais comme il y avait soixante lits, ça tournait. C’était une sorte de roulette russe. » L’étude, celle du matin comme du soir, constituait aussi une épreuve. « Au moindre bruit, on pouvait être mis dans un coin par le surveillant, qui nous baissait la culotte et nous mettait des coups de règle sur les fesses, jusqu’au sang. »

Mais « le plus terrible », se souvient Michel, « c’était avec les curés ». À commencer par le premier d’entre eux, le père supérieur Jean Tipy, alors directeur de Bétharram. « C’est à lui que j’en veux le plus. Il pouvait nous convoquer sous n’importe quel prétexte. À l’entrée de son bureau, il y avait une sorte de sas, avec deux portes successives, ornées de lumières rouges et vertes. Pour qu’on ne le dérange pas pendant ses tripotages… »

« J’ai été marqué au fer rouge par tout ça ; ma vie, ma sexualité en ont été changées profondément. La honte m’a suivi jusqu’à aujourd’hui. »

À l’intérieur, pas de déchaînement de violence. « C’était plus vicieux que ça : il commençait par des caresses dans le dos. Puis, si ça passait, il descendait dans les fesses. Puis, c’était le sexe. Des masturbations. Il me disait : ”Tu as bien grandi, tu es un homme maintenant”… J’ai eu aussi des fellations. Mais pour le reste, j’ai résisté. »

Michel affirme en effet avoir échappé aux tentatives de sodomie. « Je n’aurais pas accepté que cela aille plus loin, je pense qu’il l’a senti. » Aux gendarmes qui ont pris sa plainte, il indique toutefois que « certains ont essayé ». Car, à Bétharram, les violences sexuelles ne semblent pas avoir été le fait d’une petite minorité de pervers, mais davantage le maillon d’un système de domination bien rodé. « En fait, le père supérieur, le surveillant général, le préfet discipline ou le confesseur pratiquaient tous ces violences sexuelles. C’était comme s’ils s’étaient donné le mot et nous disaient : ”On fait ce qu’on veut.” »

Après avoir dénoncé les faits, Michel reçoit « une raclée mémorable »

Pour le jeune garçon de 10 ans, dénoncer ces faits n’apparaît même pas comme une option, au début. « Le père Tipy était tout-puissant, il dépendait directement de Rome… » Mais, au bout de deux ans de violences, la rébellion gagne, malgré tout. « Je suis allé me plaindre à mon confesseur. Résultat, j’ai été convoqué chez le préfet discipline et j’ai reçu une raclée mémorable ! » Une correction suivie d’une courte période de répit, avant que les agressions sexuelles ne reprennent de plus belle.

De retour chez lui pour des vacances, Michel tente d’en parler à ses parents. « Mais ils ne pouvaient pas croire que des hommes de Dieu, qu’ils plaçaient sur un piédestal, puissent faire des choses pareilles. Le sujet a été balayé. À partir de là, pour moi, c’était fini. J’ai tout accepté. Et je n’en ai plus jamais parlé, jusqu’à aujourd’hui. »

L’homme est conscient d’avoir été façonné par cette enfance volée et les traumatismes subis. « J’ai été marqué au fer rouge par tout ça ; ma vie, ma sexualité en ont été changées profondément. La honte m’a suivi jusqu’à aujourd’hui. » Devenu père de trois garçons, Michel confie avoir « eu peur de lui-même ». « Alors, j’ai mis en place des protections : par exemple, je ne suis jamais entré dans la chambre de mes enfants. »

L’ancien directeur a fini sa carrière au collège Stanislas, à Paris

Le septuagénaire dit ne rien attendre personnellement de la plainte déposée il y a quelques jours. « Je ne cherche pas à détruire une école, mais à bousculer une institution qui a traumatisé des centaines d’enfants. C’est tout. Je n’ai pas de haine contre les curés ou la religion en général, mais j’en ai après le père Tipy, car rien n’aurait pu se faire sans son accord. »

Après Bétharram, Jean Tipy a poursuivi sa carrière en prenant la direction du collège privé Ozanam, à Limoges, avant de rejoindre, comme professeur de religion et professeur de français, le fameux collège Stanislas, à Paris.

Décédé en juin 2009, à 86 ans, il ne répondra jamais des accusations proférées contre lui, ni des « six plaintes » le mentionnant, selon le décompte réalisé par Alain Esquerre. Sur le site de la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus de Bétharram, un éloge funèbre le présente toujours comme « un excellent professeur aimé et respecté par ses élèves », saluant ainsi sa mémoire : « Merci, père Tipy, pour tant de services rendus, pour l’éducateur consciencieux que vous avez été. Merci pour tant de jeunes que vous avez aidés à grandir : ils ne vous oublieront pas. » Michel, lui, ne l’a pas oublié.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/enseignement-prive/a-lentree-de-son-bureau-il-y-avait-une-sorte-de-sas-pour-quon-ne-le-derange-pas-pendant-ses-tripotages-le-temoignage-inedit-dun-ancien-eleve

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/temoignage-jai-ete-marque-au-fer-rouge-par-ces-violences-le-temoignage-inedit-dune-victime-qui-accuse-un-autre-directeur-de-betharram-h-fr-25-02-25/

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