
La première journée d’auditions de la commission d’enquête parlementaire sur les violences scolaires commençait par la parole des victimes. Au-delà de l’horreur et des traumatismes, celles-ci veulent que ce qu’elles ont vécu ne se reproduise plus.
Par Olivier CHARTRAIN.
Tout député ou députée que l’on soit, il fallait avoir le cœur bien accroché pour entendre, jeudi 20 mars, les récits – pourtant brefs, partiels, euphémisés – des représentants des collectifs de victimes de violences dans les établissements scolaires privés et publics.
L’effarement, la stupeur, et parfois même un peu plus, étaient visibles sur les visages. Un voyage au fond de l’ignoble qu’il fallait endurer pour, comme l’a exprimé le député Paul Vannier (FI), corapporteur de la commission avec sa collègue Violette Spillebout (Ensemble), « participer à la libération de la parole » afin d’« empêcher d’autres drames et protéger tous les enfants ». Aucun parlementaire de droite ni du RN n’était présent le matin à l’audience.
« Je ne peux pas dire le fond de ma pensée »
Coups, enfermements, travail forcé, violences psychiques, humiliations… On se refusera ici à décrire par le menu les souffrances endurées, l’éventail hallucinant des cruautés imaginées par des adultes, jusqu’à la véritable torture, pour les exercer sur les enfants qu’on leur avait confiés.
Jusqu’à laisser une enfant fugueuse se faire dévorer par des chiens, monstrueuse scène d’un meurtre jusque-là jamais évoqué, révélée par Éveline Le Bris, représentante du collectif des victimes de la congrégation du Bon Pasteur d’Angers, devant une commission sidérée.
« Ceux qui ont assisté à tout ça sont eux aussi des victimes », a insisté Constance Bertrand, du collectif de l’institution Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine. Éveline Le Bris, petite femme ronde aux cheveux roux, précisant : « Je ne peux pas dire le fond de ma pensée, ni tout ce qu’on a vécu », résumait : « Ça vous démolit pour la vie ».
Dominique Vinson, pour les victimes du collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon (Finistère), égrène : « Anorexie, vie sentimentale chaotique, manque de confiance en soi » pour ce qui le concerne, « alcool et drogues, maladies, suicide » pour d’autres.
Un point a fait l’unanimité : l’absence de contrôles sur ces établissements. Au Bon Pasteur d’Angers, qui recevait des enfants envoyés sur décision de justice, Éveline Le Bris a vu « un contrôle en quatre ans : un juge, qui est resté dix minutes ». Seule, Constance Bertrand témoigne qu’à Saint-Dominique, « il y a eu des contrôles, des parents se sont plaints. C’était il y a trente ans » souligne-t-elle, par contraste avec les autres témoignages qui commencent souvent dans les années 1960, voire 1950.
Une autre époque, où « une gifle était un geste éducatif » et où « il y avait le martinet dans les familles », tient à resituer Bernard Laffite, qui a eu à subir les mauvais traitements de l’institution dacquoise de Notre-Dame du Sacré-Cœur, surnommée « Cendrillon ».
Dans tous les cas, « tout le monde savait »
C’est ce qui explique, selon lui, le silence. Alors que « tout le monde savait », clame Gilles Parent, du collectif de Saint-François-Xavier, d’Ustaritz (Pyrénées-Atlantiques). Comme Bernard Lafitte, qui détaille une gradation disciplinaire entre les établissements de la côte Atlantique, sur le mode « si tu fais des bêtises, on t’enverra à… » : à Cendrillon, d’abord, puis à Bétharram.
Autrement dit, si les mauvais traitements infligés dans ces lieux demeuraient de l’ordre du non-dit (ou de l’indicible), ils faisaient partie des méthodes disciplinaires pour lesquelles les familles y envoyaient des enfants. Les familles, et parfois les institutions : Ixchel Delaporte, représentante des victimes du pensionnat de Riaumont – sur le cas duquel cette ancienne journaliste à l’Humanité a publié en 2022 un livre-enquête –, dénonce un véritable bagne que la Ddass (aujourd’hui l’Aide sociale à l’enfance) et les institutions judiciaires finançaient et fournissaient en enfants considérés en « pré-délinquance » : « Tout le monde savait, les enfants étaient scolarisés dans les écoles publiques de Liévin (Nord), on pouvait voir sur eux les traces des violences physiques qu’ils subissaient. »
Une rencontre avec Élisabeth Borne
Les représentants des victimes n’entendaient pas se limiter au témoignage : ils avaient des mesures à proposer, qu’Alain Esquerre, porte-parole des victimes de Bétharram, devait aller porter jeudi après-midi à la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne.
Parmi elles : la création d’un office national de contrôle des établissements, l’application des 82 propositions de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles sur les enfants), la fin de la prescription pour les violences commises sur les enfants… Des exigences qu’ils portent avec la colère et l’énergie de ceux qui entendent bien faire exploser, une fois pour toutes, le mur de silence et de déni dans lequel, des décennies durant, on les a enfermés.
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