Entretien-«Les universités jugées wokistes sont mal notées» : la gauche veut supprimer le Hcéres (reporterre-28/03/25)

Faculté de médecine d’Angers (Maine-et-Loire), en 2022. – © Jean-Michel Delage / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Absence de neutralité, enseignements jugés « wokistes »… La gauche pourrait faire supprimer le Hcéres, qui évalue les universités et les établissements de recherche, grâce à un amendement du député Hendrik Davi.

Entretien réalisé par Vincent LUCCHESE.

Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) suscite une vague d’indignation croissante dans les universités depuis plusieurs mois. Cette instance est dénoncée par plusieurs syndicats de l’enseignement pour ses évaluations ubuesques, déconnectées de la réalité du terrain et un taux inédit « d’avis défavorables », qui cibleraient particulièrement les sciences sociales et les établissements situés en zones défavorisées.

Hendrik Davi, député du Nouveau Front populaire (NFP) et ancien directeur de recherche en écologie forestière à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), a obtenu en commission spéciale à l’Assemblée nationale le vote d’un amendement visant à supprimer le Hcéres, dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique. Le texte doit être débattu en séance publique à partir du 8 avril.

Reporterre — Pourquoi vouloir supprimer le Hcéres ?

Hendrik Davi — Cette instance est liée à la volonté de transformer profondément la manière dont fonctionne la recherche. À partir des années 2000, nous sommes passés d’un système de service public, avec des crédits récurrents et des fonctionnaires, à un système où les chercheurs doivent jouer aux entrepreneurs en permanence pour trouver de l’argent, des projets et sont de plus en plus précaires.

L’Agence nationale de la recherche (ANR) s’occupe de financer, et le Hcéres de dire qui sont les bons et mauvais élèves. Par ses normes et ses logiques, il a poussé à une compétition de plus en plus importante entre laboratoires. Il fait du management néolibéral, le même qui avait été mis en place par IBM dans les années 1970, suivi par d’autres entreprises de la tech, avant qu’elles y renoncent en raison du trop grand nombre de suicides [dû à une gestion déshumanisante du travail, comme chez Orange].

Le Hcéres a été créé en 2013, mais les critiques sont particulièrement virulentes à son encontre cette année. Y voyez-vous le signe d’une volonté de faire évoluer la politique d’évaluation ?

Le Hcéres est un outil utilisé par le gouvernement pour sortir la tronçonneuse et justifier de nouvelles coupes budgétaires. Ce n’est pas un hasard si les unités les plus mal notées sont souvent celles de sociologie et de tout ce qui est pointé du doigt comme étant « wokiste ». Le très bon livre Gouverner la science (éd. Agone, 2022) avait déjà montré que les personnes nommées dans cette instance étaient tout sauf neutres : il s’agit de gens issus de l’appareil d’État, acquis à une vision libérale du monde, aux vertus de la « concurrence libre et non faussée », etc.

« La liberté académique est fondamentale »

Jusqu’à présent, malgré sa logique délétère, le Hcéres n’était pas très efficace. Un laboratoire pouvait être mal noté et continuer à recevoir des financements. Le risque est qu’ils essayent de rendre leurs critiques frontales de plus en plus suivies d’effets. On va se retrouver avec un pouvoir bureaucratique déconnecté de la réalité du terrain, comme cela s’est produit pour l’hôpital.

Le principe de l’évaluation n’est pas mauvais en soi, mais il doit s’agir d’une évaluation par les pairs, qui aide au bon fonctionnement de l’institution. Il faut revenir à un fonctionnement simple : les universités décident des moyens donnés à leurs unités, c’est à elles de mener les évaluations.

L’amendement de suppression du Hcéres a-t-il des chances d’être adopté en séance plénière à l’Assemblée nationale ?

Le rapporteur du projet de loi y est favorable. La gauche est pour et le Rassemblement national également, ainsi qu’une partie du centre. Je pense qu’on aura une majorité pour le vote à l’Assemblée. La discussion doit commencer le 8 avril et le vote doit avoir lieu le 11 avril.

Dans un contexte mondial d’attaques croissantes contre les sciences, craignez-vous une montée des idées antisciences dans le paysage politique français ?

Le fond de l’air n’est pas bon en Europe et en France, depuis un moment déjà. Lorsque la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, accusait l’université d’islamogauchisme [en 2021], c’était déjà extrêmement grave. Le CNRS l’avait sèchement recadrée. Lorsque le Premier ministre Gabriel Attal s’est invité dans une réunion de la gouvernance de Sciences Po Paris, l’école l’a vivement critiqué.

Cette défense mordicus de la liberté académique, qui garantit que la communauté de scientifiques décide de ce qui est vrai ou non dans sa discipline, des orientations de ses recherches, est fondamentale. Sans cette indépendance de la recherche vis-à-vis du pouvoir politique, tout s’effondre, comme aux États-Unis en ce moment.

Le glissement du discours politique est à ce titre inquiétant. L’extrême droite assume d’attaquer frontalement cette liberté. Au sein du bloc macroniste, ce n’est pas assumé ouvertement même si des choses se font. Il y a d’autres signaux faibles, comme l’annulation de nombreuses conférences de chercheurs sur la Palestine.

La science est un champ de bataille depuis des siècles. Si l’on casse cette liberté académique, c’est très grave, c’est la fin de la liberté de la recherche.

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Source: https://reporterre.net/Les-universites-jugees-wokistes-sont-mal-notees-la-gauche-veut-supprimer-le-Hceres

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