Explosion des arrêts maladie, démissions en hausse… Pourquoi rien ne va plus chez Monoprix (H.fr-7/04/25)

« L’ »esprit » Monoprix est en train de disparaître, on a l’impression d’être traité comme dans n’importe quel groupe de grande distribution », explique avec amertume un salarié d’un magasin du centre de Paris.
© Antoine Boureau / Hans Lucas via AFP

Des caissières aux directeurs de magasins, les salariés du fleuron du groupe Casino se disent au bout du rouleau. Des données consultées par l’Humanité montrent l’ampleur du malaise.

Par Cyprien BOGANDA.

C’est la pépite d’un groupe en perdition, l’un des nouveaux joyaux de la couronne du milliardaire Daniel Kretinsky récemment débarqué dans la grande distribution. En 2023, le géant Casino prend l’eau de toute part, plombé par la folie des grandeurs de son dirigeant d’alors, Jean-Charles Naouri. Au bord du dépôt de bilan, le groupe est vendu à la découpe et le milliardaire tchèque s’installe aux commandes, bien décidé à valoriser les morceaux les plus juteux, parmi lesquels Naturalia, et surtout Monoprix.

Vénérable institution implantée en France depuis 1932, c’est l’une des enseignes préférées des urbains qui n’ont pas de problèmes de fins de mois, la vache à lait un peu affaiblie mais toujours vaillante d’un groupe dans la tourmente : en 2024, Monoprix et ses quelque 257 magasins ont encore généré la moitié du chiffre d’affaires de Casino (soit 4 milliards d’euros), avec un taux de marge de 9,4 %, de loin la plus élevée de toutes les marques de la multinationale.

Mais si la vitrine brille toujours, il y a le feu dans les couloirs. Des caissières aux cadres, beaucoup de salariés se disent au bout du rouleau, éreintés par les années Naouri et peu rassurés par les ambitions de la nouvelle direction. « Une vingtaine de directeurs de magasins ont quitté l’entreprise depuis le début de l’année, à coups de démissions ou de licenciements, assure un élu CGT. Leur quotidien est de plus en plus pénible. » « Beaucoup de mes collègues quittent le navire, nous confirme un directeur de magasin francilien expérimenté, sous couvert d’anonymat. Notre métier est de plus en plus difficile à exercer, les timings sont encore plus serrés depuis l’arrivée de Daniel Kretinsky, avec très peu de moyens. »

2 500 postes supprimés en 4 ans

Le directeur se plaint d’une marge de manœuvre réduite comme peau de chagrin (« On ne décide plus de rien, nous ne sommes plus maîtres de nos embauches ou de notre budget ») et d’une pression accrue : « Nous subissons de plus en plus d’audits surprises. Des équipes débarquent dans les magasins, fouillent les poubelles pour s’assurer qu’on ne cache pas de marchandise ! Il n’est pas rare non plus que des envoyés du groupe se fassent passer pour des clients, pour prendre discrètement des photos de nos rayons : on reçoit le lendemain un mail nous demandant des comptes sur notre gestion des stocks. »

Les données auxquelles nous avons eu accès confirment une dégradation spectaculaire du climat social, sur fond de baisse des effectifs. Près de 2 500 postes ont été supprimés en quatre ans, ramenant les effectifs des magasins à un peu plus de 13 000 en 2024. Le taux de turn-over, d’ordinaire élevé dans la grande distribution, grimpe en continu, pour atteindre près de 25 % en 2024.

Cette année-là, quelque 1 400 salariés ont démissionné, ce qui représente près de la moitié des départs totaux. Détail particulièrement inquiétant, le nombre d’arrêts maladie explose pour toutes les catégories de salariés, avec notamment une hausse moyenne de plus de 40 % des arrêts longue durée (plus de vingt jours) en trois ans. Les cadres ne sont pas épargnés, puisque leurs arrêts de plus de vingt jours ont triplé sur la période, pour devenir le premier motif d’absence…

La détérioration ne date pas d’hier. Tous les salariés que nous avons interrogés situent le point de rupture au rachat par Casino en 2013, qui marque pour eux la fin des années « heureuses » et le début des vaches maigres. « Le passage a été catastrophique, raconte Corinne, caissière depuis près de vingt-cinq ans dans un magasin parisien et proche de la retraite. Pour nos salaires, d’abord : on touchait l’équivalent d’un mois de salaire en primes tous les ans à l’époque. Nous ne touchons plus que 200 euros par an aujourd’hui. Pour les conditions de travail, ensuite : on n’embauche plus, si bien qu’on doit faire le boulot de deux ou trois personnes. »

Des investissements à deux vitesses

L’arrivée de Daniel Kretinsky s’est faite au pas de charge en 2024, non sans dommages collatéraux. « Il a déboulé avec ses équipes, nous explique un élu syndical. Certains hauts responsables ont été remerciés du jour au lendemain, ce qui a occasionné quelques cris dans les couloirs… »

L’homme d’affaires a récemment annoncé un plan d’investissement de 1,2 milliard d’euros pour Casino, à horizon de quatre ans, dont la moitié pour Monoprix. Mais nos interlocuteurs redoutent la poursuite d’une logique d’investissement à deux vitesses, qui privilégierait les magasins les plus rentables, généralement situés dans les quartiers les plus huppés et/ou les plus touristiques. Il est vrai que les ventes sont inégalement réparties à l’échelle du pays : une dizaine de magasins réalisent chacun plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont le plus gros d’entre eux, Beaugrenelle (plus de 55 millions d’euros), situé dans un coin cossu du 15e arrondissement de la capitale.

« Depuis quelques années, certains magasins sont retapés, quand d’autres sont laissés quasiment à l’abandon, preste un élu CGT francilien. Dans certains endroits, le nombre d’agents de propreté et de vigiles baisse dangereusement. Dans mon magasin, nous n’avons plus qu’un agent pour nettoyer nos 2600 mètres carrés, contre trois il y a encore quelques années ! » « Les économies faites sur les effectifs finissent par poser des problèmes, renchérit une autre élue CGT. Il y a quelque temps, un dirigeant est venu faire ses courses incognito dans un magasin parisien pour vérifier la sécurité : il en est ressorti avec 500 euros de courses de vêtements, sans payer ! »

En un sens, Daniel Kretinsky doit composer avec l’héritage des années Naouri : des salariés parfois démotivés, épuisés par les baisses d’effectifs et les réorganisations douloureuses, qui se retrouvent désormais à cumuler des tâches diverses au nom de l’hyperpolyvalence.

Il n’est pas rare de voir des salariés affectés à toutes sortes de missions, passant sans transition du transport de palettes à la relation client, et du rayon loisirs au rayon produits frais. « L’« esprit » Monoprix est en train de disparaître, conclut avec amertume un salarié d’un magasin du centre de Paris. On a l’impression d’être traité comme dans n’importe quel groupe de grande distribution. » Contactée, la direction ne nous a pas répondu.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/casino/explosion-des-arrets-maladie-demissions-en-hausse-pourquoi-rien-ne-va-plus-chez-monoprix

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