Droits de douane : les bourses mondiales plongent, l’Europe démunie face à la politique trumpiste du pire (H.fr-7/04/25)

Des traders travaillent sur le parquet du New York Stock Exchange à New York City, le 7 avril 2025.
© TIMOTHY A. CLARY / AFP

Les marchés financiers ont dévissé, ce lundi, après l’entrée en vigueur des droits de douane américains. Réunis en urgence le même jour, les ministres du Commerce extérieur de l’UE ont décidé de répliquer par la réciproque à compter du 15 avril. Sans pour autant tracer de vision commune à long terme face à cette nouvelle donne. De son côté, Donald Trump, menace la Chine de 50 % de droits « additionnels » si Pékin maintient sa riposte.

Par Hayet KECHIT.

« Chute libre », « plongée », « dévissage », « effondrement »… Depuis ce lundi matin, les mêmes métaphores sont convoquées pour décrire la course vers l’abîme et l’onde de choc produites sur les places financières mondiales par l’entrée en vigueur, deux jours plus tôt, de la première salve de droits de douane punitifs sur les importations imposée au reste du monde par Donald Trump.

Ce dernier a encore menacé la Chine de 50 % de droits « additionnels » si Pékin persiste à vouloir riposter à son offensive douanière, tout en laissant la porte ouverte à des négociations avec les autres pays touchés.

Dans le sillage des marchés financiers asiatiques, les Bourses européennes ont accusé une dégringolade dès leur ouverture, lundi 7 avril : le DAX de Francfort s’est ainsi effondré de 7,86 %, après avoir brièvement chuté de plus de 10 %, tandis que Paris a dévissé de 6,19 %, Londres de 5,83 % et Milan de 2,32 %. Un décrochage laissant présager, selon plusieurs experts et organismes financiers internationaux, une récession à l’échelle mondiale qui n’épargnerait pas les États-Unis, où la Bourse de New York a ouvert lundi en recul de 3 %.

En trois mois, un bond de 2,5 % à 25 %

Pour Frédéric Boccara, chercheur associé au Centre d’économie de l’université Paris-Nord et membre du comité exécutif du PCF, le calcul trumpiste serait à cet égard aussi cynique que limpide : « Les Américains jouent la politique du pire », estime l’économiste, selon qui Trump ferait le choix d’une « purge » assumée qui permettrait à son pays de « faire récession plus tôt, mais aussi de s’en sortir plus vite que les autres et ainsi les plonger dans un bourbier ».

L’espoir d’avoir affaire à un nouveau coup de bluff du président américain s’est en effet désormais envolé face à sa détermination à maintenir ces taxes douanières à un niveau exorbitant, avec un bond en trois mois de 2,5 % à 25 %, des taux inédits depuis les années 1930.

« C’est assez logique que les marchés financiers plongent vu l’ampleur de ces droits de douane. Les investisseurs s’attendaient à ce que Trump rétropédale, ce que visiblement il n’a pas l’intention de faire », confirme Sylvain Bersinger, chef économiste au cabinet de recherche Asterès.

Une situation peu surprenante également aux yeux de David Cayla, maître de conférences en économie et membre des Économistes atterrés, selon qui cette chute de la valeur des actifs boursiers est la conséquence logique d’une mécanique très prévisible. Ces droits de douane appliqués à de nombreux produits exportés vers le premier marché de consommation mondiale amènent forcément les investisseurs à anticiper « une hausse des prix, donc une baisse de la consommation, et une réduction de leurs marges qui va forcément avoir un impact sur leurs profits », décrypte l’économiste.

« Le risque principal en Europe, ce n’est pas tant les Bourses, qui sont un peu le canari dans la mine, mais c’est le problème de la baisse des exportations vers les États-Unis », analyse Sylvain Bersinger. Si les secousses boursières étaient prévisibles, elles n’en semblent pas moins avoir pris de court les dirigeants politiques au sein de l’Union européenne (UE), dont les ministres du Commerce extérieur se sont réunis en urgence lundi pour décréter, en réponse aux surtaxes américaines sur l’acier et l’aluminium, une première vague de droits de douane sur les importations en provenance des États-Unis censée entrer en vigueur le 15 avril, selon les déclarations du commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic.

« Bazooka économique »

Côté français, le ton offensif affiché résonne davantage comme une tentative d’autopersuasion vu la montagne d’incertitudes pesant sur un ordre économique mondial aux mains d’un dirigeant aussi versatile qu’imprévisible. « Nous avons les cartes et les outils pour faire plier les Américains », a pourtant assuré lundi sur France Inter Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la commission européenne pour la Prospérité.

Au-delà du levier « tarifaire », serait aussi envisagée, selon lui, une seconde option qualifiée de « bazooka économique » qui pourrait, par exemple, se traduire par la décision « de retirer l’ensemble des entreprises américaines des marchés publics européens ».

Alors que les contours de la riposte à l’échelle de l’UE sont encore loin d’être clairs, François Bayrou s’est pour sa part déjà engouffré dans la brèche en dramatisant dès la veille le coût estimé pour l’économie française de ces droits de douane relevés à 20 % (au lieu des 25 % initialement annoncés).

« La politique de Trump peut nous coûter plus de 0,5 % de produit intérieur brut », a ainsi prévenu le premier ministre, se cachant à peine de préparer les esprits à de nouvelles saignées budgétaires face à « un ralentissement économique », « un arrêt des investissements », à l’origine d’un « risque de pertes d’emplois absolument majeur ».

Un discours à l’unisson de celui du président du Medef, Patrick Martin, qui avait également affirmé, au lendemain du Liberation Day, le jour de l’annonce des droits de douane, que « des centaines de milliers d’emplois étaient menacés » en France.

Un tableau qui apparaît cataclysmique au vu, selon les économistes interrogés, du poids somme toute modeste du marché américain dans l’économie française, qui représenterait, selon Sylvain Bersinger, seulement 5 % de ses exportations et 1,5 % de son PIB (contre 3 % en Italie et 4 % en Allemagne). Pour David Cayla, « 0,5 point en moins de PIB, cela n’est pas énorme, et cela montre surtout que ce n’est pas une catastrophe pour la France ».

« Nous sommes en train de changer de monde »

Ce coût de 0,5 % est par ailleurs largement tempéré par l’Observatoire français des conjonctures économiques, qui présentera mercredi 9 avril ses prévisions. Cité par le Monde, Mathieu Plane, le directeur adjoint du département Analyse et prévision, affirme que « l’impact pour l’économie française serait deux fois plus faible ».

Ce tableau moins alarmiste pour la France n’en impose pas moins l’urgence, selon David Cayla, de revoir de fond en comble la stratégie européenne face à la nouvelle donne imposée par le protectionnisme américain. « Nous sommes vraiment en train de changer de monde. La probabilité d’un effondrement de la mondialisation néolibérale dans les années à venir est très élevée. Avec ces droits de douane, il faut acter le fait que les entreprises ne pourront plus organiser leur mode productif à l’échelle mondiale », analyse l’économiste.

Un constat qui devrait mener, selon lui, à l’instauration « d’une véritable politique industrielle » à l’échelle de l’UE. Avec comme horizon le défi de relancer les investissements et de trouver des ressources en interne. Mais l’issue imposerait en amont de remettre en cause ses fondements mêmes, enracinés dans la logique du néolibéralisme.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/administration-trump/droits-de-douane-les-bourses-mondiales-plongent-leurope-demunie-face-a-la-politique-trumpiste-du-pire

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/droits-de-douane-les-bourses-mondiales-plongent-leurope-demunie-face-a-la-politique-trumpiste-du-pire-h-fr-7-04-25/

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