Entretien-«Sous couvert de simplification des normes, on régresse sur l’écologie» (Reporterre-9/04/25)

Mine de lithium à Échassières, dans l’Allier, en 2022. – © Guy Christian / hemis.fr / hemis.fr / Hemis via AFP

Simplifier la vie économique, comme le souhaite le gouvernement, est dangereux pour l’environnement et accélèrera les tensions sociales, estime Morgane Piederriere, de France Nature Environnement. « Simplifier, c’est régresser. »

Morgane Piederriere est responsable de plaidoyer au sein de France Nature Environnement (FNE). La fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement a publié le 2 avril un rapport sur les dangers des politiques de simplification menées depuis plusieurs décennies en France.

Reporterre — Le 8 avril commence l’examen du projet de loi de Simplification de la vie économique, qui promet d’en finir avec une bureaucratie décrite par la droite comme « obèse ». Faut-il craindre pour l’écologie ?

Morgane Piederriere — Clairement. La plus grosse régression concerne le dialogue environnemental. Le gouvernement a notamment annoncé que les projets industriels ne feraient plus l’objet d’un débat public mené par la Commission nationale du débat public. C’est aberrant.

Les députés ayant proposé et voté ces amendements se comportent comme s’ils étaient les seuls à même de faire fonctionner la démocratie. C’est faux. On ne peut pas, d’un côté, se plaindre de l’existence de fractures dans le pays et, de l’autre, supprimer les instances de dialogue. Pour que la démocratie soit fonctionnelle, il faut des espaces de consensus, où l’on règle d’éventuels conflits de façon pacifique et constructive.

Dans votre rapport, vous montrez que la volonté d’en finir avec les normes n’a rien de nouveau en France…

C’est le cas depuis les années 1970, quand des réglementations ont été adoptées pour protéger l’environnement, notamment à l’initiative de l’Union européenne. La pression des acteurs économiques a alors augmenté. Selon eux, le droit environnemental était trop compliqué et il fallait le simplifier. Ce lobbying a eu un certain succès. Ces quinze dernières années, une bonne dizaine de lois de simplification ont été votées. Mais sous couvert de simplifier, on régresse. La simplification est le cheval de Troie de la dérégulation environnementale.

Les mandats d’Emmanuel Macron ont-ils marqué une rupture dans l’histoire de la simplification ?

Ce processus de dérégulation s’est accéléré depuis son arrivée au pouvoir. Il y a eu le projet de loi Essoc (loi pour un État au service d’une société de confiance), Elan (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), Asap (loi d’accélération et de simplification de l’action publique), la loi Industrie verte, etc.

La régression la plus significative sous son mandat est sûrement celle de l’évaluation environnementale. De plus en plus de projets n’y sont pas soumis. Cela a été fait de façon assez insidieuse au début, en ne concernant que les projets d’énergies renouvelables (pouvant avoir des effets néfastes sur l’environnement, et devant être évalués). Puis cela s’est étendu.

« La simplification aboutit à des conflits, à des contentieux, à des actions violentes… »

Avec la loi Industrie verte, il y a eu une reconnaissance anticipée de la « raison impérative d’intérêt public majeur » pour tous les projets considérés par décret comme participant à la transition écologique ou à la souveraineté nationale. C’est extrêmement large : le projet de mines de lithium dans l’Allier a par exemple été qualifié ainsi. L’actuel projet de loi de Simplification prévoit carrément une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur.

Depuis la loi Essoc, les préfets décident généralement si un projet doit être soumis ou non à une évaluation environnementale. Dans la majorité des cas, ils décident que non. En Bretagne, par exemple, 80 % des installations agricoles autorisées n’ont fait l’objet d’aucune autorisation environnementale, alors que la région est menacée par les algues vertes [dont la prolifération est liée à l’élevage intensif].

Le rôle de l’État est certes de favoriser l’activité économique, mais aussi de protéger l’intérêt général dans toutes ses composantes, y compris la protection de l’environnement et de la santé humaine. Quand l’État prévoit de ne plus évaluer les impacts d’un certain nombre de projets, il démissionne de son rôle.

Dans votre rapport, vous affirmez que la simplification porte préjudice à la vie démocratique. Pourquoi ?

À chaque fois qu’il y a un texte de simplification, la consultation est présentée comme une procédure contraignante. C’est faux. On parle de projets mettant des années à se concrétiser, ce ne sont pas ces consultations de quelques semaines qui font perdre du temps. Un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable montre d’ailleurs que les délais des procédures en Allemagne sont en moyenne plus longs qu’en France.

La simplification accélère les tensions sociales. Faire participer le public, c’est l’occasion de prendre conscience des réalités du territoire, d’essayer de trouver des solutions pour qu’un projet industriel soit le moins impactant possible. Faire disparaître la consultation ne supprime pas la contestation, au contraire. Cela aboutit à davantage de conflits, de contentieux, d’actions violentes… Cela braque les gens dans les territoires, au risque d’y mettre le feu.

Les concertations mal menées peuvent créer beaucoup de tensions, voire des drames. On l’a vu avec le barrage de Sivens [le militant Rémi Fraisse a été tué par un gendarme en 2014 lors d’une manifestation contre la création de ce barrage, déclaré illégal a posteriori]. Avec l’A69 [l’autoroute entre Toulouse et Castres], les porteurs du projet ont tenté de passer en force et ont lancé les travaux grâce à des dispositifs de simplification. La justice a finalement donné raison aux associations. Avec davantage de consultations, on aurait économisé beaucoup d’argent, de colère et de destruction de la biodiversité.

Les défenseurs de la simplification la justifient souvent par les effets supposément néfastes des normes sur l’attractivité de la France. Est-ce justifié ?

Non, c’est un faux argument. Sur le baromètre du cabinet d’audit financier Ernst & Young — que l’on ne peut pas accuser d’être composé d’ayatollahs verts —, la France se trouve à la première place des pays les plus attractifs pour les investissements étrangers en Europe. Notre législation environnementale n’est pas un frein à la compétitivité, elle n’entraîne pas une baisse de rentabilité pour les entreprises françaises.

Le droit de l’environnement est également accusé d’être trop complexe…

C’est particulièrement ironique, parce que c’est par la création de nouvelles dérogations — au prétexte de simplifier la vie des entreprises — que l’on a rendu le droit de l’environnement trop complexe. La Commission nationale des commissaires enquêteurs elle-même estime que l’accroissement des régimes d’exception rend illisible la réglementation.

Faisons un droit clair en supprimant les dispositifs dérogatoires. Cela donnera de la lisibilité à tout le monde, et le droit sera mieux appliqué. Nous, défenseurs de l’environnement, nous serons ravis. Et ce sera véritablement plus simple pour les porteurs de projets.

Entretien réalisé par Hortense CHAUVIN.

Morgane Piederriere est responsable de plaidoyer au sein de France Nature Environnement (FNE). La fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement a publié le 2 avril un rapport sur les dangers des politiques de simplification menées depuis plusieurs décennies en France.

Reporterre — Le 8 avril commence l’examen du projet de loi de Simplification de la vie économique, qui promet d’en finir avec une bureaucratie décrite par la droite comme « obèse ». Faut-il craindre pour l’écologie ?

Morgane Piederriere — Clairement. La plus grosse régression concerne le dialogue environnemental. Le gouvernement a notamment annoncé que les projets industriels ne feraient plus l’objet d’un débat public mené par la Commission nationale du débat public. C’est aberrant.

Les députés ayant proposé et voté ces amendements se comportent comme s’ils étaient les seuls à même de faire fonctionner la démocratie. C’est faux. On ne peut pas, d’un côté, se plaindre de l’existence de fractures dans le pays et, de l’autre, supprimer les instances de dialogue. Pour que la démocratie soit fonctionnelle, il faut des espaces de consensus, où l’on règle d’éventuels conflits de façon pacifique et constructive.

Dans votre rapport, vous montrez que la volonté d’en finir avec les normes n’a rien de nouveau en France…

C’est le cas depuis les années 1970, quand des réglementations ont été adoptées pour protéger l’environnement, notamment à l’initiative de l’Union européenne. La pression des acteurs économiques a alors augmenté. Selon eux, le droit environnemental était trop compliqué et il fallait le simplifier. Ce lobbying a eu un certain succès. Ces quinze dernières années, une bonne dizaine de lois de simplification ont été votées. Mais sous couvert de simplifier, on régresse. La simplification est le cheval de Troie de la dérégulation environnementale.

Les mandats d’Emmanuel Macron ont-ils marqué une rupture dans l’histoire de la simplification ?

Ce processus de dérégulation s’est accéléré depuis son arrivée au pouvoir. Il y a eu le projet de loi Essoc (loi pour un État au service d’une société de confiance), Elan (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), Asap (loi d’accélération et de simplification de l’action publique), la loi Industrie verte, etc.

La régression la plus significative sous son mandat est sûrement celle de l’évaluation environnementale. De plus en plus de projets n’y sont pas soumis. Cela a été fait de façon assez insidieuse au début, en ne concernant que les projets d’énergies renouvelables (pouvant avoir des effets néfastes sur l’environnement, et devant être évalués). Puis cela s’est étendu.

« La simplification aboutit à des conflits, à des contentieux, à des actions violentes… »

Avec la loi Industrie verte, il y a eu une reconnaissance anticipée de la « raison impérative d’intérêt public majeur » pour tous les projets considérés par décret comme participant à la transition écologique ou à la souveraineté nationale. C’est extrêmement large : le projet de mines de lithium dans l’Allier a par exemple été qualifié ainsi. L’actuel projet de loi de Simplification prévoit carrément une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur.

Depuis la loi Essoc, les préfets décident généralement si un projet doit être soumis ou non à une évaluation environnementale. Dans la majorité des cas, ils décident que non. En Bretagne, par exemple, 80 % des installations agricoles autorisées n’ont fait l’objet d’aucune autorisation environnementale, alors que la région est menacée par les algues vertes [dont la prolifération est liée à l’élevage intensif].

Le rôle de l’État est certes de favoriser l’activité économique, mais aussi de protéger l’intérêt général dans toutes ses composantes, y compris la protection de l’environnement et de la santé humaine. Quand l’État prévoit de ne plus évaluer les impacts d’un certain nombre de projets, il démissionne de son rôle.

Dans votre rapport, vous affirmez que la simplification porte préjudice à la vie démocratique. Pourquoi ?

À chaque fois qu’il y a un texte de simplification, la consultation est présentée comme une procédure contraignante. C’est faux. On parle de projets mettant des années à se concrétiser, ce ne sont pas ces consultations de quelques semaines qui font perdre du temps. Un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable montre d’ailleurs que les délais des procédures en Allemagne sont en moyenne plus longs qu’en France.

La simplification accélère les tensions sociales. Faire participer le public, c’est l’occasion de prendre conscience des réalités du territoire, d’essayer de trouver des solutions pour qu’un projet industriel soit le moins impactant possible. Faire disparaître la consultation ne supprime pas la contestation, au contraire. Cela aboutit à davantage de conflits, de contentieux, d’actions violentes… Cela braque les gens dans les territoires, au risque d’y mettre le feu.

Les concertations mal menées peuvent créer beaucoup de tensions, voire des drames. On l’a vu avec le barrage de Sivens [le militant Rémi Fraisse a été tué par un gendarme en 2014 lors d’une manifestation contre la création de ce barrage, déclaré illégal a posteriori]. Avec l’A69 [l’autoroute entre Toulouse et Castres], les porteurs du projet ont tenté de passer en force et ont lancé les travaux grâce à des dispositifs de simplification. La justice a finalement donné raison aux associations. Avec davantage de consultations, on aurait économisé beaucoup d’argent, de colère et de destruction de la biodiversité.

Les défenseurs de la simplification la justifient souvent par les effets supposément néfastes des normes sur l’attractivité de la France. Est-ce justifié ?

Non, c’est un faux argument. Sur le baromètre du cabinet d’audit financier Ernst & Young — que l’on ne peut pas accuser d’être composé d’ayatollahs verts —, la France se trouve à la première place des pays les plus attractifs pour les investissements étrangers en Europe. Notre législation environnementale n’est pas un frein à la compétitivité, elle n’entraîne pas une baisse de rentabilité pour les entreprises françaises.

Le droit de l’environnement est également accusé d’être trop complexe…

C’est particulièrement ironique, parce que c’est par la création de nouvelles dérogations — au prétexte de simplifier la vie des entreprises — que l’on a rendu le droit de l’environnement trop complexe. La Commission nationale des commissaires enquêteurs elle-même estime que l’accroissement des régimes d’exception rend illisible la réglementation.

Faisons un droit clair en supprimant les dispositifs dérogatoires. Cela donnera de la lisibilité à tout le monde, et le droit sera mieux appliqué. Nous, défenseurs de l’environnement, nous serons ravis. Et ce sera véritablement plus simple pour les porteurs de projets.

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Source: https://reporterre.net/Sous-couvert-de-simplification-des-normes-on-regresse-sur-l-ecologie

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