
Pierre et Myriam Cabon ont traversé le Canada en train, avec le fauteuil roulant de Pierre. En plein hiver, ils ont découvert une contrée très accessible aux personnes à mobilité réduite.
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Montréal (Canada), correspondance
« C’est le voyage d’une vie ! » Pour Pierre et Myriam Cabon, le duo derrière le site Wheeled World (Un Monde roulant), experts des aventures en mobilité réduite, le Canada est le coup de cœur ultime. Durant trois semaines en février dernier, ils ont traversé le pays en train, 4 000 km de Toronto à Vancouver, à bord du paisible Canadien. « Dans les wagons, tu n’as pas de wifi, et pendant une grande partie du trajet, les données n’arrivent pas. C’est un hymne à la déconnexion, ce train-là ! » raconte Myriam, originaire d’Aix-en-Provence.
À l’extérieur, le thermomètre affiche parfois -30 °C. Les paysages s’étirent, les heures s’allongent dans ce cocon d’acier. Le train s’évade de l’effervescence de Toronto, traverse la région des Grands Lacs, puis atteint les prairies céréalières du Manitoba et de la Saskatchewan, avant que l’Alberta vienne rompre la monotonie des plaines. Les Rocheuses surgissent, toisant les passagers. Entre pics et vallées, l’air marin finit par se frayer un chemin : la Colombie-Britannique et l’océan Pacifique sont au bout du chemin. Mais pas trop vite. Car le Canadien prend son temps, pépère, à 60 km à l’heure, en moyenne.
Ce train est aussi un voyage dans l’histoire du Canada, celle de villes nées au bord d’un rail qui a uni le pays, avec le premier train transcontinental en 1885, une promesse envers la Colombie-Britannique lors de son entrée dans la Confédération, en 1871.

Mais depuis, le chemin de fer n’a jamais réussi à s’imposer réellement. Dans la zone la plus peuplée du Canada, le corridor Toronto-Québec, seulement 2 % des déplacements se font en train. Les locomotives, en cours de renouvellement, polluent trop, sont vieillissantes, et les infrastructures ne rajeunissent pas non plus, en raison d’un sous-investissement dans ce mode de transport. Les trajets sont donc plus longs que par le passé. Entre 2018 et 2022, la ponctualité des trains de passagers fluctuait de 57 à 72 %. En comparaison, en France, seuls 11,2 % des TER avaient des retards de plus de 5 minutes, en 2023.
Et, comme au Canada les trains de marchandises ont priorité sur ceux de passagers, le Canadien peut parfois être arrêté des heures pour les laisser passer. « Un des arrêts à duré six heures. On a pu regarder le coucher de soleil », se remémore Pierre, originaire de Paris.
Impossible ou presque de prévoir l’heure d’arrivée au point final de cette traversée, dans cette capsule hors du temps. Et si l’on veut s’arrêter en chemin, il faut patienter trois jours avant que le Canadien ne revienne. « Ça laisse le temps de voir passer des pygargues, quelques renards, des cerfs. Tu restes dans la cabine, ça défile doucement, c’est planant. Tout ralentit, et tu es obligé de t’adapter au rythme du train », raconte Myriam Cabon.

« Toute sortie semble faisable, envisageable »
S’adapter, c’est le quotidien du couple de Wheeled World, de 34 ans chacun. Pierre est un survivant de l’attentat au Bataclan, à Paris. Le 13 novembre 2015, il a reçu une balle dans la moelle épinière, lui imposant de vivre en fauteuil. Myriam et Pierre étaient ensemble depuis peu.
Leur vie depuis ce jour tragique est guidée par les défis, tous réussis : traverser la Nouvelle-Zélande en tandem, escalader les 5 895 mètres du Kilimandjaro ou tester le parahockey sur une rivière gelée. « En multipliant les voyages, on se rend compte à quel point le handicap n’est pas compris de la même manière partout. Et en France, il y a un retard évident », dit Myriam.
Le voyage au Canada leur a donc permis de tester l’accessibilité du pays. Ils en reviennent conquis. « La neige fait un peu peur au début en fauteuil, mais les Canadiens déneigent tous les trottoirs. Dans les restaurants, les musées, toutes les portes sont automatiques ou presque. Ils pensent aux paraplégiques, mais aussi aux tétraplégiques, qui ne peuvent utiliser leurs bras. Aux toilettes, par exemple, tu vas avoir un bouton au sol pour pouvoir ouvrir la porte directement avec le fauteuil », raconte Pierre.

C’est l’accessibilité dans les parcs nationaux qui les a le plus surpris. « À Jasper, en Alberta, c’est magnifique, tu es baigné dans les montagnes, mais surtout, c’est hyper accessible ! Les rangers prêtent des fauteuils roulants tout terrain, avec de gros pneus pour passer partout. Et quand tu leur demandes des itinéraires faciles en fauteuil, ils t’en donnent qui sont complètement praticables, même au milieu de l’hiver. Sans ça, en voyage, il y a souvent des achats supplémentaires à faire pour les personnes à mobilité réduite », explique Myriam Cabon.
« Tu ne te censures pas
dans tes sorties en plein air »
Pierre a aussi découvert une perception du handicap différente de celle qu’il observe dans l’Hexagone. « Quand j’étais avec mon fauteuil, dans le parc enneigé, on ne me dévisageait pas, on ne me demandait pas comment j’avais fait pour arriver là. C’était normal. Et comme à chaque fois ou presque, tu te rends compte qu’ils ont les infrastructures adaptées, ça enlève un verrou dans ta tête : toute sortie semble faisable, envisageable, tu ne te censures pas dans tes sorties en plein air. »

Sur les rails, le couple a vécu plusieurs coups de cœur. Saskatoon, en Saskatchewan, et son coucher de soleil rouge « de l’espace ! ». Le Manitoba, où ils ont découvert comment les autochtones transformaient la stéatite, ou soapstone, en œuvre d’art. Et la Colombie-Britannique, où le Canadien met fin à son doux trajet…
« Des arbres géants, une mousse dense, une atmosphère apaisante. J’avais l’impression d’être dans Avatar, s’exclame Myriam. Mais le pays est trop grand, j’ai encore l’impression qu’on en a vu qu’un petit bout, il va falloir qu’on revienne ! »
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Source: https://reporterre.net/Ils-ont-traverse-le-Canada-en-train-et-en-fauteuil-roulant
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