Remise en cause de la liberté d’installation des médecins : quel bénéfice pour les malades ? (IO.fr-18/04/25)

AFP

Actuellement se discute à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à subordonner l’installation des médecins à une autorisation des Agences régionales de santé. Est-ce vraiment une solution contre les déserts médicaux ?

Par Nicole BERNARD .

La réalité des déserts médicaux, tout le monde la connaît. Le système de santé français est tellement délabré qu’il n’y a pas un secteur qui échappe à la mise à sac des possibilités de soins.

Des centaines de maternités ont été fermées. Des hôpitaux entiers ont été fermés. Les médecins qui y exerçaient se sont-ils installés dans les territoires pour prendre en charge les malades en ambulatoire ? Bien évidemment non.

En 1970, il y avait 50 000 étudiants en deuxième année de médecine.

En 1971, le gouvernement Pompidou – Chaban-Delmas a décidé que le meilleur moyen de réduire les dépenses de santé était de réduire le nombre de médecins et a instauré le numerus clausus en fin de première année des études médicales. D’abord limité à 8 000 par an, le nombre de postes d’étudiants a été réduit à 3 500 ! Et ce pendant des années. Il était encore, en 2010, de 6 839 pour passer à 8 627 en 2019.

Les résultats du numerus clausus sont catastrophiques. Les déserts médicaux se sont multipliés. De 2010 à 2025, le nombre de médecins en activité régulière a augmenté de 0,6 %. Dans le même temps, la population est passée de 65 millions à 68,6 millions soit + 5,5 %.

D’ores et déjà, les résultats se font sentir : des malades meurent aux urgences, des malades ne trouvent pas de médecins. La mortalité infantile ne cesse d’augmenter. Et l’espérance de vie des femmes, pourtant longtemps très élevée en France, est en train de stagner, voire de diminuer.

Pas question, pour autant, pour le gouvernement, comme pour ses prédécesseurs, d’augmenter de façon significative le nombre de postes. Il a même diminué à la rentrée 2024. Car les gouvernements successifs ont fait leur le raisonnement simple qui suit : pour qu’il y ait moins de dépenses de santé, il faut qu’il y ait moins de médecins.

La solution consisterait-elle à remettre en cause la liberté d’installation des médecins ? Pour supprimer les déserts médicaux, il faut obliger les médecins à s’y installer. Il n’y a plus d’agences postales ? Il n’y a plus d’écoles ? Il n’y a plus d’hôpital dans le canton ? Vous n’avez pas le choix !

L’arrivée d’un médecin compenserait un départ, sans plus

Que dit la proposition de loi ? L’installation d’un médecin exerçant à titre libéral est subordonnée à l’autorisation du directeur de l’Agence régionale de santé.

Pour que l’autorisation soit délivrée, il faut, simultanément, deux conditions :

– que le lieu d’installation soit caractérisé par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins ;

– qu’un médecin de la même spécialité cesse, au même moment, son activité.

Il ne faut pas seulement, pour s’installer, remplacer un départ. Il faut, en même temps, que le secteur soit un désert médical. Vous avez compris.

La situation ne pourra jamais s’améliorer ! Ce sera toujours la pénurie. Simplement, cette pénurie n’empirera pas. De qui se moque-t-on ? Dans l’Essonne, la population a augmenté de 3,6 % entre 2010 et 2025. Le nombre de médecins, lui, a diminué de 5,7 %. Remplacer un pour un n’améliorera rien ! On manquait de médecins. On en manquera toujours puisque l’arrivée d’un médecin compense un départ.

Prenons l’exemple de la gynécologie médicale. Dans l’Aisne, il y avait cinq gynécologues médicaux en 2010. Il n’y en a plus qu’un en 2024. Il ne pourra pas y en avoir deux ! Les femmes devront toujours se passer de ce suivi si important pour leur santé et leur vie. La densité moyenne est de deux gynécologues pour 100 000 femmes. La situation ne s’améliorera pas.

Avec la remise en cause de la liberté d’installation, le gouvernement voudrait imposer aux médecins sa volonté sans que cela n’améliore d’aucune façon la situation des malades. Combien de temps ce saccage de la santé peut-il encore durer ?

LES JEUNES MEDECINS POUSSES VERS LES ACTEURS FINANCIERS DU SYSTEME
Autre conséquence de cette proposition de loi : que deviendront les nouveaux médecins à qui on refusera le droit de s’installer ? Où vont-ils exercer la médecine ? A l’hôpital, dont les budgets sont contraints, et où les perspectives de carrière sont chaque fois plus repoussantes ? Se salarier ? Mais où et vers quoi ? A l’Education nationale, où les postes de médecins scolaires ont tous été supprimés ? Peut-on nous indiquer un service public où ils ne l’ont pas été ?
Il restera donc à notre jeune médecin que la possibilité d’aller vers Doctolib et autres acteurs financiers du système. D’ores et déjà, la financiarisation représente 70 % de l’offre en biologie médicale, 50 % de la radiologie et elle se répand comme une traînée de poudre en dentaire, ou en médecine par téléconsultation.
« LES INTERNES ONT RAISON »
Communiqué du Syndicat national des médecins hospitaliers – Force ouvrière (SNMH-FO) du 10 avril 2025 (extraits)
En juin 2007, le président Sarkozy, fraîchement élu, expliquait dans un discours prononcé à Bordeaux : « nos hôpitaux ont deux problèmes : 1. les patients rentrent par les urgences ; 2. les médecins font ce qu’ils veulent. »Ce discours préfigurait la loi de 2009 (hôpital patient santé territoire). Les hôpitaux dirigés par la coercition à la fois administrative et financière ont fait que les patients ne peuvent plus entrer par les urgences suite aux fermetures de lits souvent en lien avec les fusions. (…)Le Syndicat national des médecins hospitaliers – Force ouvrière considère, à̀ son niveau, que les patients doivent pouvoir entrer par les urgences, être examinés par de vrais médecins et être hospitalisés dans un lit si leur état le nécessite.La France entière est un désert médical. Pour l’accès aux soins, il faut sécuriser l’exercice médical, supprimer le numerus clausus et donner les moyens aux doyens et doyennes des facultés de médecine. La médecine ne peut s’exercer que dans un cadre indépendant de l’Etat (article 47 du code de déontologie) (…). Ceci va jusqu’à la liberté d’installation dans la spécialité, le lieu, et les conditions qui conviennent au médecin : c’est l’intérêt supérieur du malade. C’est pourquoi nous défendons la liberté d’installation et soutenons la révolte des internes contre cette entrave à l’exercice contenu dans la PPL transpartisane.Nous appelons tous les médecins hospitaliers et tous les médecins de cabinet à rejoindre le mouvement des internes et des jeunes chefs de clinique sous la forme qu’ils jugeront appropriée (…).

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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2025/04/18/remise-en-cause-de-la-liberte-dinstallation-des-medecins-quel-benefice-pour-les-malades/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/remise-en-cause-de-la-liberte-dinstallation-des-medecins-quel-benefice-pour-les-malades-io-fr-18-04-25/

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