
La Fondation Goldman a désigné les lauréats 2025 de son prix de défense de l’environnement. En Europe, deux militants albanais ont été honorés pour leur défense de la Vjosa, l’un des derniers fleuves sauvages du continent.
Par Louis SEILLER.
« Quand on m’a annoncé la nouvelle, c’était un choc et une immense surprise. Pour être honnête, je ne connaissais même pas ce prix, ce que c’était et ce qu’il représentait… » C’est une consécration plus qu’inattendue pour Olsi Nika, 39 ans. Le responsable de l’ONG EcoAlbania et sa camarade, Besjana Guri, 37 ans, se sont vus décerner lundi 21 avril à San Francisco le prix Goldman, surnommé le « Nobel de l’environnement », attribué annuellement à des militants écologistes sur chaque continent.
Ce premier prix albanais récompense leur incroyable campagne pour protéger la Vjosa, un fleuve de 270 km de long qui coule dans le sud du pays, considéré comme l’un des derniers grands fleuves sauvages du continent.

Manifestations, soutien aux communautés locales, expéditions scientifiques, mobilisation des médias internationaux, poursuites judiciaires… En plus de dix ans d’activisme, « Besi » et « Olsi » ont fait échouer les multiples projets de barrages qui menaçaient « le cœur bleu de l’Europe ». Et pas seulement : depuis mars 2023, la Vjosa ainsi que plusieurs de ses affluents ont été officiellement désignés parc national par le gouvernement albanais.
Dans cette région d’élevage et d’agriculture paysanne, le projet de parc était largement soutenu par les habitants : le fruit d’un intense et patient travail de terrain des militants écologistes. Olsi et Besi ne cessent d’arpenter chaque village de la vallée afin d’aider les populations locales à faire face aux mensonges des promoteurs de barrages et des autorités.

« En tant que femme, cela n’a pas toujours été facile, car on se retrouve devant une foule composée uniquement d’hommes, raconte Besjana Guri. Mais grâce à notre travail, j’ai réussi à créer une relation de respect et d’accord réciproques. À la fin, ils voyaient bien que c’était pour eux que j’étais là, pour les défendre et les épauler. » Aidés par les ONG autrichienne et allemande, RiverWatch et EuroNatur, les militants d’EcoAlbania ont aussi bénéficié du soutien de la marque Patagonia et de personnalités comme Leonardo Di Caprio.
Demeurée libre d’obstacles, l’exceptionnelle dynamique fluviale du bassin versant de la Vjosa est ainsi protégée. Soit 13 000 hectares de cours d’eau à écoulement libre, et avec eux, une multitude d’habitats sensibles ainsi qu’une biodiversité exceptionnelle qui passionnent les chercheurs.

« Ce prix prestigieux peut être une source d’inspiration pour les autres mobilisations en faveur de la nature en Albanie et ailleurs, se félicite Olsi Nika. Le modèle de la Vjosa comme parc national est vraiment spécial : il montre que la nature doit être protégée en considérant l’intégrité des écosystèmes et pas seulement de petits bouts de territoires. »
Le parc national de la Vjosa : un « modèle » déjà menacé
Si ce prix est d’abord synonyme de réjouissances, il vient aussi conforter les militants face à des défis toujours plus nombreux. « Nous n’avions pas envisagé tous les problèmes qu’il faudrait affronter après la proclamation du parc, explique Besjana Guri. Extraction de graviers et de pétrole, déchetteries illégales, dérivation d’eau… Le problème le plus urgent est le détournement de l’eau du principal affluent pour alimenter le développement du tourisme de masse sur la côte. » Depuis des semaines, les habitants de la vallée de la Shushica bloquent le chantier et ils empêchent la mise en tuyau de cet affluent de 80 km, partie intégrante du parc national.
Dans un pays d’à peine plus de deux millions d’habitants, le gouvernement albanais vise fièrement les 30 millions de visiteurs d’ici 2030. Ce développement effréné du tourisme met à rude épreuve les milieux naturels : la côte comme les villages de montagnes sont défigurés par d’innombrables édifices de béton, et un aéroport se construit dans le delta de la Vjosa. « Nous sommes face à un grand dilemme entre un développement économique rapide et la préservation de notre patrimoine environnemental exceptionnel, constate Olsi Nika. Nous sommes là pour le défendre. »
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