Quand le syndicalisme fait plier Nestlé, un film en accès libre (reporterre-2/05/25)

Deux salariés, appuyés par les syndicats, ont contraint Nestlé à annuler un projet de chaudières à biomasse, sauvant la forêt voisine. Le film qui relate leur combat est à voir sur Reporterre jusqu’au 4 mai.

Par Catherine MARIN.

Le Nid et l’Oiseau, documentaire réalisé bénévolement et présenté en accès libre jusque dimanche 4 mai sur Reporterre, nous invite à contrôler la reconversion écologique des entreprises. Au rythme de nombreux entretiens, il raconte les deux ans de combat de Fred et Alex, deux salariés de l’usine Nestlé Purina de Veauche, dans la Loire, pour faire annuler un projet de chaudières à biomasse. Lancé dans le cadre d’un plan de décarbonation de l’entreprise — de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre —, il menaçait de transformer une grande part des forêts environnantes en plaquettes de bois pour les alimenter.

Didactique, précis, le scénario expose, étape par étape, toutes les recherches que le duo a dû mener, tous les nouveaux engagements, notamment syndical, qu’il a dû prendre pour pallier l’absence d’accès à l’information sur le projet et exposer le manque de légitimité de celui-ci. En cela, cette « victoire écologique, pleine d’humanité », comme la qualifie le réalisateur du Nid et l’Oiseau, Ewen Barraud, plaide avec force pour une organisation démocratique des relations collectives de travail.

Un chantier de coupe rase visité par Fred : «  Après arrachage des arbres, on voit bien qu’il ne reste rien… un désert  !  » © Ewen Beraud

Au départ, Fred et Alex ont eu de la chance. Si la direction n’avait pas eu besoin des compétences en traitement de données de Fred, elle n’aurait eu aucune raison de l’informer de son projet de chaudières biomasse, pas plus que les autres employés.

De même, si les autres formations syndicales de l’usine (Unsa, CGT, CFDT…) ne les avaient pas soutenus pour défendre un contre-projet au CSE (instance de représentation du personnel d’une entreprise), les forêts auraient pu être détruites à la vitesse d’un hectare par jour (soit la superficie d’environ un terrain de football). Et « non pas pour construire un hôpital, mais pour produire de la pâtée pour chats ! » se récrie Alex dans Le Nid et l’Oiseau, en soulignant la disproportion entre l’activité de l’usine de Veauche et les conséquences écologiques du projet.

À voir les splendides feuillus dorés et fauves au début du documentaire, on comprend son indignation. Et aussi son agacement lorsqu’on découvre le logo du groupe Nestlé : un nid d’oiseaux — d’où le titre du film.

Dessin satirique présenté en tête d’une pétition syndicale pour répondre à la direction : un chat, de ceux qui sont censés manger la pâtée produite par Nestlé, coupe la branche d’arbre sur laquelle le nid-logo de l’entreprise est posé. © Ewen Beraud

Pour éviter de tels carnages, il faudrait faire évoluer la législation. Notamment obliger les entreprises à informer leurs employés, et même leurs riverains, des projets qui pourraient chambouler, voire abîmer leur environnement. Le Manifeste Travail de 2020, rédigé par des chercheuses sociologues, proposait même d’instituer « un droit de blocage collectif sur [leurs] décisions stratégiques ».

Ce texte, qui voulait « créer des ponts entre la recherche et la pratique pour travailler ensemble à la refonte de notre système économique et social », fut dès sa parution si prisé dans le monde entier qu’il fut traduit en 23 langues — on peut le retrouver aujourd’hui dans l’ouvrage Le Manifeste Travail — Démocratiser, démarchandiser, dépolluer, publié aux éditions du Seuil.

Quoi qu’on en pense, une telle possibilité de « blocage » aurait évité aux deux lanceurs d’alerte de Veauche une bonne partie de leur parcours du combattant : lancement d’une pétition pour informer leurs collègues de l’usine des conséquences écologiques du projet de la direction, fondation d’une cellule syndicale Printemps écologique — écosyndicat auprès duquel ils ont trouvé un « soutien infaillible », selon Fred —, puis d’une intersyndicale avec les formations déjà présentes dans l’entreprise pour acquérir la légitimité institutionnelle nécessaire à la discussion du projet.

« Si ce film peut éclairer ceux qui veulent contester un projet destructeur du vivant, tant mieux, dit Ewen Barraud, adhérent lui aussi de Printemps écologique. J’assume ce côté militant du film. C’était aussi mon désir de montrer que le syndicalisme reste un moyen actif de défendre l’environnement. »

Un doux rêve

Pour mieux éclairer le besoin d’une réforme de la législation dans les entreprises, il faudrait aussi parler du handicap de la méconnaissance technique des énergies dites renouvelables et du besoin d’argent pour contacter des experts (dans le film, le collectif Pour un réveil écologique et le cabinet de conseil Carbone 4). Mais arrêtons-nous plutôt sur cette remarque de Fred : malgré les soutiens et coups de pouce, il reste difficile de s’opposer à un tel projet quand tout, alentour, « enjolive » la situation.

Comment croire en effet que l’entreprise Nestlé, avec son logo aux petits oiseaux, accepte de bouleverser les écosystèmes et les paysages jusqu’à 100 km à la ronde autour de Veauche, petit bourg de la Loire gratifié du label national de la qualité de vie ?

Comment croire que l’Ademe, l’Agence de la transition écologique de l’État, puisse subventionner, en pleine « crise budgétaire », les deux chaudières biomasse de la multinationale Nestlé à hauteur de 3 millions d’euros, sans s’être assurée qu’il n’y avait pas d’alternative moins destructrice de biodiversité, et moins coûteuse — notamment en vérifiant les déperditions d’énergie dans l’entreprise ?

Un arbre visiblement très heureux de brûler dans une vidéo en faveur des chaudières biomasse diffusée dans l’usine Nestlé Purina de Veauche. © Ewen Beraud

Il faut une bonne dose d’esprit critique. Bien sûr, on peut sourire en découvrant la vidéo de la direction diffusée dans l’entreprise, qui montrait un arbre rigolard en train de cramer — le ministère de la Vérité du célèbre roman d’Orwell, 1984, n’aurait sans doute pas fait mieux pour inverser la réalité ! Mais encaisser les rebuffades de la hiérarchie, ça peut être éprouvant.

« Nous, on le voit beaucoup, les directions, quand des salariés arrivent avec des alternatives, c’est : “Vous vous prenez pour qui ?” Ç’a été la force de la section syndicale de Veauche de se dire : “Nous, on sait ce qu’on vaut, on sait ce qu’on a le droit de dire, et pourquoi on a le droit à des réponses” », souligne Armand Blondeau, cofondateur de Printemps écologique avec Anne Le Corre.

Vu le conservatisme de l’époque, vous vous dites peut-être qu’imaginer une démocratisation de l’entreprise aujourd’hui est un doux rêve. Mais repensons à nos frères et sœurs d’armes de 1890, lors du premier 1ᵉʳ mai : n’ont-ils pas fini, collectivement, par obtenir la journée de travail à huit heures (1919) ?

Et ce, malgré « la résistance continue du patronat en particulier, et des élites en général, face à la demande d’allègement du temps de travail des classes laborieuses », insiste l’historienne Mathilde Larrère dans sa stimulante Histoire de la conquête des droits en France.

Alors pourquoi les travailleurs et travailleuses d’aujourd’hui ne pourraient-ils faire advenir des réformes législatives propres à hâter un changement de société plus juste et réellement plus « verte » ?

Le Nid et l’Oiseau — L’histoire vraie d’une fausse décarbonation, d’Ewen Barraud, scénario écrit avec Alix Haeringer, prise de vue d’Antoine Héaulme-Lavergne, 1re diffusion en mars 2025, 43 minutes. Diffusé à prix libre ici et lors de projections organisées un peu partout en France.

°°°

Source: https://reporterre.net/Quand-le-syndicalisme-fait-plier-Nestle-un-film-en-acces-libre

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/quand-le-syndicalisme-fait-plier-nestle-un-film-en-acces-libre-reporterre-2-05-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *