Semaine « rouge » à la SNCF : derrière le « cheminots bashing », les raisons de la grève (H.fr-4/05/25)

À l’appel de la CGT, les conducteurs et agents du service commercial trains (ASCT, soit les contrôleurs) sont appelés à faire grève, à compter de ce lundi 5 mai. © Eric Broncard/Hans Lucas

Ce lundi 5 mai débute une période de conflit social dans la compagnie nationale ferroviaire. La CGT cheminots et SUD dénoncent une flexibilité accrue des temps de travail et réclament une révision des primes.

Par Naïm SAKHI.

Les cheminots roulants voient rouge. À l’appel de la CGT, les conducteurs et agents du service commercial trains (ASCT, soit les contrôleurs) sont appelés à faire grève, à compter de ce lundi 5 mai. « À l’heure actuelle, la direction entend faire l’impasse pour les négociations annuelles obligatoires (NAO) en 2025, renvoyant l’échéance en janvier 2026. Ce n’est pas tolérable », assure Cédric Robert, secrétaire fédéral de la CGT cheminots.

Son syndicat envisage même une « semaine noire » en Île-de-France. La SNCF a déjà annoncé des perturbations sur les lignes RER et Transilien qu’elle opère, dès lundi. De son côté, SUD rail entend construire un mouvement avec une montée progressive sur la semaine : agents des dépôts le 6 mai et les conducteurs le lendemain. Puis les contrôleurs sont invités à débrayer du 9 au 11 mai. Au-delà des tâches de contrôle des billets, les ASCT, au nombre de 8 000, sont indispensables pour la sécurité des voyages. Leur présence est notamment obligatoire à bord des TGV.

« Nous sommes loin d’une semaine noire, il n’y aura pas de semaine à l’arrêt, mais une semaine aussi normale que possible », a rétorqué à l’AFP, dimanche, le PDG de SNCF Voyageurs, Christophe Fanichet, concernant le trafic TGV. A contrario, Fabien Villedieu (SUD rail) prévient que de « très fortes perturbations » sont à prévoir à partir de mercredi, l’influent Collectif national ASCT (CNA) ayant prévu de se joindre au mouvement en fin de semaine.

Les nouveaux logiciels ciblés par les cheminots roulants

Cette mobilisation sociale cheminote s’appuie sur deux revendications principales. D’abord, la CGT et SUD rail dénoncent les conséquences de l’instauration des logiciels Score et Hastus, courant 2024, qui pousse la flexibilité des emplois du temps des personnels roulants à l’extrême. « Avant, nous avions une visibilité d’un an sur nos roulements. Avec ces logiciels, ce délai est ramené à trois mois, insiste Fabien Villedieu. Plus encore, il est très fréquent que nos services soient modifiés 24 heures à l’avance. »

Pas en reste, Cédric Robert assure que « les effectifs de la SNCF étant à flux tendu, cette flexibilité est imposée pour combler le manque de cheminots ». Et le cégétiste d’ajouter : « Les conducteurs et contrôleurs sont soumis au bon vouloir de l’offre de trains, avec des conséquences concrètes pour la vie privée des collègues pour s’occuper des enfants ou anticiper des rendez-vous médicaux. »

Une difficulté qui s’ajoute aux fortes contraintes déjà exigées par ces métiers. Ainsi, à cause du « découchage », un ASCT passe environ cinq années hors de chez lui en trente-cinq ans de carrière, sans compter le travail de nuit. Pour répondre à cette colère, Jean-Pierre Farandou a adressé un courrier aux agents de la SNCF Voyageurs, que l’Humanité a pu consulter. Le PDG de la SNCF dit « comprendre parfaitement le sens et la légitimité des revendications » et avance que « des engagements concrets seront mis en œuvre dès le mois de mai 2025 par SNCF Voyageurs », laquelle se chargera « d’identifier les axes qui devront être approfondis au cours d’un audit externe indépendant ». « La direction reconnaît des difficultés dans l’organisation du travail mais ne propose qu’un audit pour défricher le terrain », résume Cédric Robert, qui souligne que ce dialogue est rendu possible « par l’instauration d’un rapport de force ».

La CGT porte un projet de refonte des primes

Second axe de revendication, la rémunération des cheminots. SUD rail réclame une hausse minimale de 100 euros des primes de traction des conducteurs et des primes de travail des ASCT. De son côté, la CGT porte depuis 2022 un projet de refonte de ces primes tenant compte des évolutions de ces métiers, avec à la clé des hausses pouvant atteindre 175 euros.

En l’état, ces primes représentent autour de 25 % de la rémunération des cheminots roulants. « Les précédentes NAO ont garanti une augmentation moyenne des salaires de 2,2 % en 2025, supérieure à l’inflation, rétorque par courrier Jean-Pierre Farandou. Depuis 2022, alors que l’inflation a progressé de 14,1 %, la rémunération moyenne aura ainsi progressé de 19,6 %. »

Pas de quoi convaincre Cédric Robert. « Je pense qu’un jour, la direction annoncera que les cheminots ont été augmentés de 50 %. Et tout le monde avalera cet élément de langage. La vérité est que ces chiffres sont invérifiables, puisqu’ils prennent en compte l’ensemble des évolutions, et notamment l’ancienneté. Les augmentations de salaire brut, cotisable pour la retraite, se font attendre », rétorque le cégétiste. Selon son syndicat, deux tables rondes sont programmées les 4 (pour les conducteurs) et 11 juin (pour les contrôleurs). « Des réunions qui n’étaient pas dans le paysage social il y a de cela quinze jours », se félicite le cégétiste.

Au sujet des compléments de rémunération, la CGT cheminots propose une prime calculée en trois temps : un socle de base « garantissant la rémunération en cas d’arrêt maladie, d’inaptitude ou de baisse du plan de transports » ; le versement d’une prime technicité en fonction du matériel roulant ; ainsi que l’instauration d’une prime production « variable en fonction de l’amplitude de travail et du travail de nuit ». En 2022, une pétition appuyant ce projet de refonte avait récolté les signatures de près de 50 % des effectifs de conduite et des contrôleurs de la SNCF.

Le financement du rail par les profits de la SNCF Voyageurs

Pourtant, la direction de la SNCF semble inflexible. « Il y a bien eu partage de la valeur par les augmentations substantielles de la rémunération depuis quatre ans pour tous les cheminots », maintient le PDG du groupe ferroviaire. Mais, rappelle Fabien Villedieu, « la SNCF a réalisé 1,6 milliard d’euros de bénéfice en 2024, plus de 5 milliards cumulés depuis la crise Covid. Quand ses concurrents européens perdent 1,8 milliard l’an passé, comme la Deutsche Bahn, ou 208 millions pour l’italien FS ». « Les syndicats sont dans leur rôle de réclamer un meilleur partage de la valeur créée par les cheminots », poursuit le responsable de SUD rail.

Pourtant, au nom de l’ouverture à la concurrence, Jean-Pierre Farandou prévient des conséquences de cette grève. « Que vont penser les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), au moment où s’accélère l’ouverture à la concurrence des TER ? » écrit aux cheminots le PDG de la SNCF. C’est oublier que la régénération du réseau ferré repose sur les bénéfices de la société anonyme SNCF Voyageurs, qui alimente chaque année un fonds de concours palliant le désengagement de l’État. En 2024, 1,71 milliard d’euros ont ainsi été versés par la SNCF pour le réseau, là où ses concurrents en sont dispensés. Un effort en grande partie rendu possible par une pressurisation des effectifs et une flexibilisation du travail des cheminots. Les causes de cette grève…

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/cgt-cheminots/semaine-rouge-a-sncf-pourquoi-les-cheminots-commence-une-greve-ce-lundi-5-mai

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/semaine-rouge-a-la-sncf-derriere-le-cheminots-bashing-les-raisons-de-la-greve-h-fr-4-05-25/

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