« La grève, c’est le 49.3 des travailleurs » : à la SNCF, les cheminots rappellent à l’État ses responsabilités (LI.fr-09/05/25)

SNCF. Depuis le lundi 6 mai, les cheminots sont en grève à l’appel de SUD-Rail et de la CGT, soutenus par le collectif CNA (chefs de bord). Le mouvement, centré sur les personnels roulants – conducteurs et contrôleurs – dénonce une désorganisation chronique du travail, l’instabilité des plannings et des mécanismes de rémunération opaques et dégradés. La direction reporte toute négociation sérieuse, pendant que le gouvernement criminalise le conflit.

Ce mouvement met à nu une impasse plus large : celle d’un service public ferroviaire placé sous pression depuis des décennies. Libéralisation du rail, externalisations, désengagement financier de l’État : autant de réformes qui, sous couvert de modernisation, ont fragilisé le quotidien des agents et sapé les fondements du collectif. L’Insoumission a interrogé Bérenger Cernon, conducteur de train devenu député LFI, pour détailler les revendications des cheminots. Notre article.

À la SNCF, une détérioration organisée des conditions de travail

Au cœur de la mobilisation : la gestion des plannings. Les cheminots dénoncent une automatisation brutale de l’organisation du travail, où les agents humains ont été remplacés par des logiciels incapables de prendre en compte les situations personnelles. Résultat : roulements changés à la dernière minute, repos supprimés, vie privée désarticulée.

Ce n’est pas un caprice, estime Bérenger Cernon, député insoumis et ancien cheminot, que nous avons interrogé tout au long de ce dossier. Il détaille : « Les logiciels ont remplacé des humains. Résultat : des changements de planning en dernière minute, sans prise en compte des situations personnelles. Ce n’est pas une défaillance technique, c’est un choix de gestion qui détruit l’organisation du travail. »

Les réorganisations internes constantes imposent des journées plus longues, plus d’arrêts, plus de responsabilités – sans moyens supplémentaires. La direction en demande toujours davantage, sans reconnaître l’usure que cela provoque.

Un système de primes qui entretient la précarité

Les grévistes réclament également la revalorisation des primes de traction (conducteurs) et de travail (chefs de bord), figées depuis des décennies. Mais surtout, ils exigent une réforme en profondeur des « éléments variables de solde », ces primes qui peuvent représenter jusqu’à 50 % du revenu et qui ne sont ni garanties ni cotisées. Elles disparaissent en cas de maladie ou de congé maternité.

Sur la question des primes et de l’individualisation croissante des rémunérations, il explique : « Cette individualisation alimente la concurrence et tire vers le bas les solidarités collectives. Et comme ces primes ne sont pas cotisées, elles n’ouvrent pas de droits pour la retraite. »

Pour aller plus loin : Traitement politico-médiatique des mobilisations des cheminots : concerto de mensonges et de mépris 

Une direction dans le déni, la droite à l’offensive

La direction de la SNCF repousse les discussions à plus tard. Pendant ce temps, la droite s’attaque frontalement au droit de grève, avec notamment la proposition de loi portée par le sénateur Hervé Marseille, adoptée en première lecture au Sénat en avril 2024, qui vise à renforcer les obligations de service garanti dans les transports. Valérie Pécresse et Philippe Tabarot fustigent également les grévistes en plein pont du 8 mai. Le débat public glisse vers le fantasme d’un service minimum, sans jamais aborder le fond des revendications.

À propos de la tentative de délégitimation du droit de grève, Cernon observe : « Ce discours vise à décrédibiliser les grévistes pour éviter de parler des vrais enjeux : le partage des richesses et le rôle du service public. »

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Où vont les bénéfices ?

En 2024, la SNCF a dégagé 1,6 milliard d’euros de bénéfices. Mais cet argent ne sert ni à améliorer les salaires, ni à embaucher. Il est absorbé par un fonds de concours destiné à financer l’entretien du réseau, une mission qui relève normalement de l’État.

Concernant le financement du réseau et la ponction des bénéfices, Bérenger Cernon constate : « L’État se désengage de ses missions. Ce sont les cheminots qui en subissent les conséquences : bénéfices captés pour le réseau, salaires bloqués. »

Le désengagement de l’État est documenté. La France investit 51 euros par an et par habitant dans le rail, contre 115 en Allemagne, 512 au Luxembourg. La conférence gouvernementale sur le financement des infrastructures de transports « Ambition France Transports » s’est ouverte ce lundi à Marseille et dans son discours d’ouverture François Bayrou a pointé un « modèle de financement à bout de souffle ». Pour Bérenger Cernon, il s’agit d’un coup de communication destiné à temporiser. La suite des discussions montrera si cette initiative débouche sur des engagements tangibles ou reste un affichage sans suites. Nul doute qu’y sera plaidé un plus grand désengagement de l’État.

Une grève pour défendre le service public ferroviaire

Ce mouvement révèle un conflit plus profond : celui entre une gestion industrielle du rail centrée sur la performance et un besoin collectif de stabilité, de continuité et de reconnaissance. Les cheminots ne défendent pas des privilèges : ils défendent la possibilité de faire leur métier dans des conditions dignes.

Le député LFI conclut : « Si la SNCF était réellement un bastion de privilèges, on ne peinerait pas autant à recruter. Je n’ai jamais vu un fils de ministre finir cheminot. » Une formule qui souligne l’angle mort des commentateurs de plateau, prompts à parler de « privilégiés » réalisant une “grève de confort” sans jamais s’être souciés des réalités de terrain.

Cette grève est un refus : de la précarisation organisée, du mépris, de la désorganisation managériale. Elle est aussi une alerte : sans investissement public massif, sans gouvernance claire, sans stabilité pour les agents, le rail public est condamné à reculer.

Des leviers existent : sécuriser les rémunérations, investir sur plusieurs années, ré-internaliser les fonctions essentielles, assumer que la gestion du rail ne peut obéir à une logique d’entreprise privée. Encore faut-il que ce choix soit posé.

La France insoumise, elle, se tient aux côtés des cheminots avec pour vision l’abandon de la logique de rentabilité, en reconstituant un pôle ferroviaire public dans lequel l’État jouerait pleinement son rôle de financeur, afin de garantir une offre de transport accessible aux usagers tout en restaurant la dignité et la fierté de celles et ceux qui font le rail.

Crédits photo : « A SNCF TGV inOui Reseau Duplex at Paris Gare de Lyon, in the new Carmillon livery. This somewhat peculiar trainset was formed from older power cars, and newer double-deck trailer cars. », Superlabs, Wikimedias Commons, CC BY-SA 4.0, pas de modifications apportées.

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Source: https://linsoumission.fr/2025/05/09/sncf-cheminots-greve-49-3/

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/la-greve-cest-le-49-3-des-travailleurs-a-la-sncf-les-cheminots-rappellent-a-letat-ses-responsabilites-li-fr-09-05-25/

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