
La proposition de loi sur l’agriculture a été largement coécrite par la FNSEA. Concentré de reculs environnementaux, elle est portée par le sénateur Laurent Duplomb, lui-même ancien élu du syndicat productiviste.
Par Lorène LAVOCAT.
« Enfin ! » : mardi 6 mai, Arnaud Rousseau ne cachait pas sa joie. Le patron de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) saluait l’arrivée à l’Assemblée nationale de la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Un texte controversé, au contenu explosif : réautorisation des néonicotinoïdes, soutien aux projets de mégabassines et d’élevages industriels… Du pain bénit pour l’agrobusinessman, qui encensait ce « moteur législatif dont notre agriculture a besoin pour redémarrer ».
Si le président du puissant syndicat agricole apparaît si satisfait, c’est que le texte — examiné les mardi 13 et mercredi 14 mai en commission des affaires économiques — reprend quasiment mot pour mot ses revendications productivistes. Fin août 2024, FNSEA et Jeunes agriculteurs présentaient en effet leur loi idéale, pour « entreprendre en agriculture ». Au menu, déjà : l’épandage par drone, la réintroduction de pesticides interdits et la remise en cause du fonctionnement de l’Anses, l’agence chargée de donner le feu vert à la vente des produits phytosanitaires.
« Connivence » avec la ministre de l’Agriculture
« Clairement, il y a une filiation entre les demandes du syndicat et plusieurs articles de la loi », remarque Yoan Coulmont, chargé de mission plaidoyer de l’association Générations futures. Rien d’étonnant à cela : avant d’être le sénateur portant cette proposition de loi, Laurent Duplomb a été président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire, président pour sa région du géant du lait Sodiaal, membre du conseil de surveillance de la marque Candia. En bref, il est le petit messager de l’agro-industrie au palais du Luxembourg.
Une liaison dangereuse facilitée par « la connivence » entre l’élu auvergnat et la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, selon Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la Fondation pour la nature et pour l’Homme. La locataire de la rue de Varenne s’est toujours montrée en phase avec les positions du syndicat majoritaire. Sans surprise, elle a défendu bec et ongles cette proposition de loi, qu’elle juge « consensuelle ».
« Le RN agit comme le relais parlementaire de la FNSEA »
Mais la FNSEA ne s’est pas contentée de tenir le stylo du sénateur Duplomb. Comme relevé par « l’éco-lobbyiste » Jordan Allouche, la députée Renaissance Danielle Brulebois a ainsi déposé huit amendements explicitement coécrits avec le syndicat agricole. Ceux-ci proposent de supprimer la séparation entre vente et conseil en matière de pesticides, de reconnaître les bassines comme d’intérêt majeur, ou encore de restreindre la définition des zones humides afin de limiter leur protection.
Même scénario avec le Rassemblement national : sur les 54 amendements du parti d’extrême droite, pas moins de 15, tous déposés par la députée du Lot-et-Garonne Hélène Laporte, ont été « travaillés en collaboration avec la FNSEA ». La plupart concernent les élevages industriels, selon le pointage de Jordan Allouche, pour qui « le RN agit comme le relais parlementaire » du syndicat.
Par ailleurs, d’autres articles déposés par des députés du Rassemblement national reprennent fidèlement les positions de la FNSEA, sur l’Anses, notamment. Aucun de ces amendements n’est sourcé, mais rien n’oblige les députés à le faire. « C’est là que le bât blesse, pour le lobbyiste citoyen. Cette opacité pose une question de transparence démocratique. »
Coup de téléphone à François Bayrou
Outre cette influence rédactionnelle, l’organisation agricole a fortement poussé pour accélérer l’examen du texte. Mi-mars, Arnaud Rousseau téléphonait directement à François Bayrou afin de mettre la proposition Duplomb en haut de l’agenda parlementaire.
Avec succès. « Alors qu’on croule sous les textes à examiner, qu’on peine à trouver du temps pour débattre de l’énergie ou de la fin de vie, on arrive à débloquer une semaine entière pour étudier ce texte, s’agace la députée écologiste Marie Pochon. Et ce, alors même que des textes qui parlent plus directement des revenus agricoles, comme celui baptisé Egalim 4, ont été remis aux calendes grecques. »
Dernier point de pression, et non des moindres : nombre de députés ont reçu lettres, courriels et coups de fil de représentants agro-industriels les incitant à voter le texte. L’association nationale des producteurs de noisettes a par exemple écrit aux parlementaires du Sud-Ouest en dénonçant « les situations de distorsion de concurrence auxquelles ce texte pourrait mettre fin ». Lors d’une rencontre avec les élus de la Loire, la FNSEA leur a remis une « note d’analyse » — que Reporterre a consultée — sur la proposition de loi, rappelant la position « favorable » du syndicat sur ce texte.
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Une force de frappe inégalée par les associations écologistes. Tandis que certaines ONG ne sont jamais reçues par le ministère de l’Agriculture, « le syndicat majoritaire a ses entrées dans le bureau d’Annie Genevard », illustre Henri Clément, membre de l’Union nationale de l’apiculture française.
Pour l’apiculteur, le poids de la FNSEA tient aussi à ses muscles. « Ils peuvent bloquer des routes avec leurs tracteurs, mettre le bazar jusque dans des ministères [comme le saccage du bureau de Dominique Voynet en 1999], rappelle-t-il. Et bien souvent, ils ne sont pas — ou peu — poursuivis. »
« Ces revendications n’émanent pas de la base »
Qu’il soit discret ou offensif, « il y a un fort lobbying de la FNSEA », constate Pierrick Courbon, député socialiste de la Loire et apiculteur amateur. Avec un discours bien rôdé : « Tandis qu’ils minimisent fortement les enjeux autour des néonicotinoïdes, ils sur-dramatisent la portée de ce texte, observe-t-il, avec des propos comme “si vous êtres contre ce texte, c’est que vous êtes contre apporter une réponse à la crise agricole”. »
D’après l’élu, l’effervescence autour de la loi Duplomb tient surtout de « la mobilisation corporatiste ». En clair : le texte est davantage porté par la direction nationale de la FNSEA plutôt que par une volonté paysanne. « On entend partout que la loi répondrait aux demandes des agriculteurs, mais je n’ai pas entendu d’agriculteurs réclamer plus de néonicotinoïdes ou d’élevages industriels, abonde Marie Pochon. Ces revendications n’émanent pas de la base. »
« La FNSEA et les sénateurs de droite savent qu’ils ont l’oreille attentive de la ministre de l’Agriculture, donc ils foncent »
Un avis partagé par le sénateur socialiste de la Loire Jean-Claude Tissot, lui-même agriculteur : « Est-ce que le fait de supprimer toutes les avancées environnementales va apporter du revenu aux agriculteurs ? Pas du tout », nous disait-il en janvier. Le texte ne propose rien sur les prix agricoles, rien non plus sur le changement climatique. Selon un sondage du collectif Nourrir, seuls 4 % des agriculteurs répondants se disent préoccupés par « l’interdiction et la réduction de l’usage des phytosanitaires », quand ils sont 21 % à s’inquiéter du dérèglement climatique.
Alors, pourquoi une telle offensive ? « C’est une politique de la terre brûlée, estimait Jean-Claude Tissot en janvier. La FNSEA et les sénateurs de droite savent qu’ils ont l’oreille attentive de la ministre de l’Agriculture, donc ils foncent. » Pour Marie Pochon, les défenseurs de l’agroproductivisme entendent également surfer sur la vague réactionnaire. « Il existe une “internationale fasciste” qui a une lourde capacité d’entraînement et d’influence, dit-elle, avec des relais politiques et médiatiques qui sont des fabriques de l’ignorance et des fake news. »
Des décennies de bataille
Apiculteur retraité, Henri Clément connaît bien la FNSEA, pour avoir ferraillé contre elle depuis trente ans. « C’est l’agrobusiness qui pilote le syndicat, estime-t-il. Et c’est le syndicat qui copilote les politiques agricoles en France depuis des décennies. » Pour lui, la loi Duplomb n’est donc qu’un énième épisode dans une bataille de longue date.
« Dès la fin des années 1990, le syndicat agricole et ses antennes, comme l’Association générale des producteurs de maïs, ont tout fait pour défendre les néonicotinoïdes, se souvient le défenseur des abeilles. Ils n’ont jamais cessé de se battre contre leur interdiction. »
Dit autrement, les dirigeants syndicaux profitent d’un contexte favorable à leurs idées productivistes pour pousser leur avantage. Mais cette machine apparemment bien huilée n’avance pas sans embûches. Le 7 mai, la commission développement durable de l’Assemblée a vidé de sa substance la proposition de loi, en supprimant toutes les mesures controversées. Bien que cette instance n’ait été saisie que « pour avis », « c’est une première victoire, insiste le député insoumis Sylvain Carrère. Il y a un fort rejet de ce texte, parmi la population et parmi les députés. »
Le texte doit désormais être examiné les 13 et 14 mai par la commission des affaires économiques, dont la version sera soumise en séance plénière à la fin du mois.
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Source: https://reporterre.net/Loi-Duplomb-un-texte-ecocidaire-redige-par-la-FNSEA
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