Le kabuki d’Istanbul – décrypté. (SFOS – 17/05/25)

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La fin de partie est claire : les États-Unis perdent tout le continent eurasien. L’Ukraine, soumise à ces immenses impératifs géopolitiques, n’est qu’un pion privé de souveraineté dans le (Grand) Jeu.

👁‍🗨 La comédie d’Istanbul – décrypté

Par Pepe Escobar, le 17 mai 2025


Le président Poutine a-t-il vraiment changé la donne en proposant la reprise des négociations sur la guerre par procuration en Ukraine à Istanbul, plus de trois ans après que les premières aient été sabotées par l’OTAN ?

Ce n’est pas si simple. Tout dépend de quel “jeu” on parle.

Ce que l’initiative russe a instantanément réalisé, c’est de semer une confusion totale chez les trois mousquetaires bellicistes européens (Starmer, le chancelier BlackRock, Le Petit Roi) – Cocaine Express.

L’Europe, incapable et hors jeu, n’était même pas présente à Istanbul, si ce n’est par le biais d’un briefing préalable très complet de la délégation ukrainienne, médiocre et mal fagotée. Le tout couronné par les jappements rageurs en coulisses réclamant “plus de sanctions” pour “faire pression sur la Russie”.

En mars 2022, à Istanbul, Kiev aurait pu mettre fin à la guerre. Tous ceux d’entre nous qui étaient présents à Istanbul à l’époque, pouvaient prédire que Kiev allait finalement être contrainte de revenir à la table des négociations.

On en revient donc essentiellement aux mêmes négociations, avec le même négociateur russe au sommet, l’historien chevronné Vladimir Medinsky, à la tête d’une délégation composée de professionnels, face à une Ukraine qui compte désormais plus d’un million de morts, privée d’au moins quatre régions, et bientôt de plusieurs autres, dont les richesses minérales sont contrôlées de facto par les États-Unis, et dont l’économie n’est plus qu’un immense trou noir. Nous parlons ici d’un pays en zone 404.

Lors des négociations de vendredi, Medinsky est allé droit au but :

“Nous ne voulons pas la guerre, mais nous sommes prêts à nous battre pendant un an, deux ans, trois ans, aussi longtemps qu’il le faudra. Nous avons combattu la Suède pendant 21 ans [la Grande Guerre du Nord, 1700-1721, comme on l’appelle en Russie]. Combien de temps êtes-vous prêts à vous battre ?”

Telle est la situation géopolitique et militaire pour Kiev et ses partisans bellicistes “jusqu’au dernier Ukrainien” : soit vous capitulez, soit vous souffrirez davantage.

Quel est l’intérêt de ces négociations ?

La Turquie, sous la houlette du sultan Erdogan, opportuniste hors pair, a en fait accueilli une séance de relations publiques entre Moscou, Kiev et elle-même, les Ukrainiens se livrant à un blitzkrieg de caprices infantiles destinés uniquement à influencer l’opinion publique mondiale. Dans un contraste saisissant, le directeur du Fonds russe pour les investissements directs, Kirill Dmitriev, a fait de son mieux pour présenter les discussions sous un jour positif.

Istanbul 2.0, a affirmé Dmitriev, a permis un important échange de prisonniers (1 000 de chaque côté), la présentation par les deux parties d’options de cessez-le-feu et la poursuite du dialogue.

C’est peu. Mais au moins, ils se seront exprimés dans la même langue : le russe. Sans risque de malentendu.

Proposer la reprise de ces négociations, sous cette forme, est sans doute sans intérêt. Rien ne laisse présager que les deux parties abordent prochainement la question fondamentale : l’équation géopolitique stratégique dans toute l’Europe de l’Est, de la mer de Barents à la mer Noire et au-delà, débouchant sur un nouveau pacte d’“indivisibilité de la sécurité” aux répercussions mondiales.

Quelles que soient les voies que ces négociations puissent emprunter à l’avenir, elles sont objectivement vouées à l’échec.

L’establishment sécuritaire de Moscou considère donc apparemment que les néo-nazis instrumentalisés à Kiev ne sont au mieux qu’une réincarnation de la 6e armée de Paulus, avec laquelle on négocie la fin d’une bataille, mais pas la fin de la guerre.

Même les semi-réalistes de l’OTAN, comme l’amiral à la retraite Steven Jermy, ont été contraints d’admettre que

“la Russie est aux commandes”, et que les Européens, dans leur ignorance, “semblent croire que c’est aux perdants de dicter les conditions du cessez-le-feu ou de la capitulation”.

Même les aboiements des chihuahuas euro-guerriers ne peuvent escamoter une réalité géopolitique et militaire fondamentale : l’humiliation massive de l’OTAN. Pour Trump, la difficulté réside désormais dans la gestion de cette situation et la manière de la présenter à l’opinion publique américaine et mondiale comme une sorte de “deal” conclu avec Poutine.

Il est là encore instructif de revenir sur les propos du grand maître Lavrov, toujours aussi réaliste, en septembre 2024 :

“En avril 2022, les négociateurs russes et ukrainiens sont parvenus à un accord à Istanbul. Si cet accord avait été respecté, l’Ukraine aurait conservé une partie du Donbass. Mais chaque fois qu’un nouvel accord, toujours accepté par la Russie, a été rompu, l’Ukraine a perdu davantage de territoire”.

Le (Grand) Jeu, nouvelle édition

Revenons maintenant au (Grand) Jeu. Les négociateurs de Kiev ont finalement admis que la capitulation de l’Ukraine revient à une capitulation de l’OTAN – et de l’Empire du Chaos. C’est l’anathème ultime pour les classes dirigeantes américaines. Même une capitulation ukrainienne ultra-négociée et soigneusement orchestrée serait difficile à faire avaler – sans parler, pour Washington dirigé par Narcissus Trump, de reconnaître une défaite stratégique.

Car cela voudrait dire pour l’Empire du Chaos la perte définitive de l’Eurasie : le pire cauchemar de Mackinder/Brzezinski. Sans compter la consolidation du monde multinodal et multipolaire en conséquence.

Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine est pleinement conscient de tous les rouages de ce processus titanesque. Au-delà du cabotinage turc actuel, ils perçoivent clairement la Grande Équation eurasienne.

Pékin sait parfaitement que le véritable objectif de l’OTAN a toujours été de la confronter via la Russie. L’Ukraine n’était qu’un pion de l’OTAN pour faire tomber la Russie, puis s’attaquer à la Chine par l’Ouest. L’objectif des élites dirigeantes américaines, telles qu’elles ont conçu leur empire thalassocratique, est de contenir la Chine par l’Ouest, par voie terrestre et maritime, en se servant de la Russie, pour ensuite utiliser Taïwan comme base arrière pour la contenir par l’Est, via la mer. Rien d’étonnant à ce que le contrôle de Taïwan soit un impératif stratégique pour la Chine.

C’est là qu’entre en scène l’angoisse de Mackinder : le partenariat stratégique sino-russe peut battre l’OTAN à plate couture, et la Russie, à elle seule, est déjà en train de le faire. Xi et Poutine ont une nouvelle fois examiné en détail la situation sur l’échiquier, et en personne, avant le défilé de la Journée de la Victoire la semaine dernière à Moscou.

Là encore, la fin de partie est évidente : les États-Unis vont perdre l’ensemble du continent eurasien. Dans ce contexte géopolitique, l’Ukraine n’est qu’un pion dépouillé de sa souveraineté pris dans le (Grand) Jeu.

Quant au clown colérique de Kiev, il n’est qu’un acteur sans autorité aucune, y compris en matière de négociations. Il est sous la coupe des néo-nazis ukrainiens qui le tueront dès que la guerre sera finie. Il n’est que leur homme de paille, et il est payé pour ça. D’où son obsession, soutenue en fanfare par Londres, Paris et Berlin, de poursuivre une guerre éternelle qui détruit la nation qu’il prétend servir.

Source : https://ssofidelis.substack.com/p/le-kabuki-distanbul-decrypte

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/le-kabuki-distanbul-decrypte-sfos-17-05-25/

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