
Cette question pourrait être l’objet d’un devoir sur table donné à des élèves de lycées, par exemple en cours de SES ou d’histoire : le Ministre de l’Intérieur aime-t-il les néonazis ?
La police en tout cas, n’aime pas qu’on pose la question. Le 13 mai dernier, les travailleurs et travailleuses de la fonction publique manifestaient dans toute la France, pour réclamer des moyens décents pour les services publics. À Grenoble, un défilé calme et bon enfant a réuni 500 personnes. Dans le cortège, H. et G., deux enseignants, ont décoré les rues. Rien de renversant : les deux profs aiment les bons mots, et ont pris l’habitude de déployer des rouleaux de cellophane noirs entre des poteaux puis d’y inscrire des slogans. Un moyen sympa et original de laisser une trace de la manifestation, mais sans causer la moindre dégradation qui pourrait énerver la police.
H. et G. nous ont fait parvenir quelques images de leurs actions : une série d’inscriptions dénonçant le gouvernement, défendant l’éducation, et quelques mots doux contre le Ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Trois jours avant la manifestation des fonctionnaires, un millier de néo-nazis avaient défilé en plein Paris sous protection policière. Cet événement avait réuni des nostalgiques d’Hitler et de Mussolini, qui portaient des drapeaux avec des insignes fascistes, et avait été marqué par des bras tendus, décidément de plus en plus décomplexés.
Non seulement cette marche honteuse avait été autorisée, mais en plus le Ministre de l’Intérieur avait interdit et réprimé la manifestation antifasciste qui avait tenté de s’y opposer ! La préfecture avait déployé des centaines de policiers pour que les nazis ne soient pas embêtés !
C’est avec ces images en tête que les deux collègues ont inscrit sur une de leurs bâche en plastique : «9 mai, Paris : Retailleau ❤ les néonazis». Un rappel factuel. Nous n’avons malheureusement pas de photo de cette création, vite retirée.
Pourtant, ni une ni deux, les deux profs ont été arrêtés par la police, qui leur a passé des menottes métalliques, «serrées très fort» nous explique l’un des arrêtés, et les ont emmené en garde à vue. «Outrage à personne dépositaire de l’autorité publique» parait-il. Et des policiers particulièrement menaçants au poste. Dans la France de 2025, il est plus risqué d’être prof syndiqué que nazi.
L’intersyndicale grenobloise, indignée, rappelle que «la critique d’un ministre ne constitue pas un délit». Nous en sommes là.
Il faut dire que ces dernières années, le crime de lèse-majesté a été remis au goût du jour. Depuis 2017 les plaintes pour des outrages au président de la République se sont multipliées, alors qu’elles avaient quasiment disparu sous la Cinquième République. En 2020, pendant le confinement, plusieurs personnes ayant eu l’insolence de déployer des pancartes ou des banderoles avec le mot «macronavirus» avaient été poursuivies et parfois placées en garde à vue.
En 2021, Macron avait attaqué en justice un afficheur varois qui l’avait représenté en Adolf Hitler, ainsi que la gérante d’un escape game, qui avait fini en garde à vue pour un jeu où il fallait de façon imaginaire «tuer Macron». Lors des manifestations contre la réforme des retraites, la police avait multiplié les arrestations pour crimes de lèse-majesté : un homme de 77 ans pour une banderole «Macron, on t’emmerde» et une femme pour l’avoir traité «d’ordure» sur sa page Facebook. En février dernier, le président portait plainte contre un artiste guadeloupéen qui avait peint un homme noir tenant sa tête tranchée. Une critique artistique du chlordécone, un pesticide qui empoisonne l’île depuis des décennies.
Revenons à Grenoble, et au sort de H. et G. Les deux enseignants sont sortis le jour même de garde à vue, mais leur arrestation constitue un saut répressif dans la ville, et un sérieux coup pour la liberté d’expression en manif. Si même des tags sur des cellophanes jetables sont réprimés, que reste-t-il ?
Les profs assument leur slogan et déclarent : «Nous vivons trop près du Vercors pour l’oublier. Révisons notre Histoire.» Il sont toute de même convoqués «pour une audition ultérieure en juin prochain, en vue d’éventuelles poursuites». Si un magistrat ose leur faire subir un procès, on leur souhaite de pouvoir diffuser des images de la manifestation nazie protégée par la police dans la salle d’audience, et de pouvoir rappeler le pedigree d’extrême droite de Bruno Retailleau, histoire de ridiculiser la procédure.
En 2020, le président Macron déclarait suite à l’assassinat de Samuel Paty : «Nous avons des droits : la liberté d’expression, de caricature, qui a fait couler tant d’encre». Apparemment, cette liberté d’expression n’est pas permise pour des enseignants qui dénoncent le gouvernement.
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Source: https://contre-attaque.net/2025/05/22/bruno-retailleau-aime-t-il-les-neonazis/
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