
Les militants de Greenpeace qui ont subtilisé la statue de cire d’Emmanuel Macron au musée Grévin ont passé trois nuits en cellule avant d’être mis en examen. Une « répression inquiétante », dénonce l’ONG.
Par Vincent LUCCHESE.
Trimballer les effigies d’Emmanuel Macron à son insu ne fait décidément pas rire tout le monde. Après l’acharnement judiciaire contre les décrocheurs de portrait du président de la République, c’est au tour de Greenpeace de dénoncer une « répression inquiétante » et disproportionnée contre ses militants. Ces derniers ont « emprunté » la statue de cire d’Emmanuel Macron, au musée Grévin, lundi 2 juin, avant de la restituer le lendemain.
Deux activistes de Greenpeace avaient rapidement été interpellés, le jour même, avant d’enchaîner plus de soixante heures de privation de liberté, selon l’ONG. « Ils ont passé trois nuits en cellule : deux dans un commissariat du 9e arrondissement de Paris et une au dépôt du tribunal judiciaire de Paris. Hier [le 4 juin], vers 16 h 30, ils ont été transférés au tribunal pour être mis en examen par un juge d’instruction », a écrit Greenpeace, jeudi 5 juin.
Les deux militants doivent être déférés devant la justice dans le cadre de l’ouverture d’une information judiciaire du chef de « vol en réunion d’un bien culturel exposé », a précisé le même jour le parquet de Paris à l’Agence France-Presse.
« Cette outrance dans la réponse pénale signe encore une fois une déviance »
« Quel est l’intérêt pour la justice de criminaliser cette action ? Pourquoi ouvrir une information judiciaire ? s’indigne Marie Dosé, avocate des deux militants. Aucun préjudice ne découle de l’action non violente menée par Greenpeace France. »
De fait, la subtilisation de la statue s’est faite dans le calme, dans le cadre d’une action purement symbolique. Le Macron de cire a ensuite été exposé par les militants devant l’ambassade de Russie. Il s’agissait pour l’ONG de dénoncer le maintien par la France de contrats avec la Russie pour le gaz, le nucléaire et les engrais chimiques.
Le musée Grévin lui-même s’est amusé de cette action potache : « Nous rappelons que l’expérience Grévin est à consommer sur place. Notre offre « à emporter » est UNIQUEMENT disponible en boutique. Merci ! », a réagi l’institution sur Facebook, avec un émoji clin d’œil.

« Cette outrance dans la réponse pénale signe encore une fois une déviance, celle d’une procédure judiciaire qui vise avant tout à dissuader les militants d’agir en toute conscience et de façon non violente. Et c’est aussi regrettable qu’inquiétant », dénonce encore Marie Dosé sur le réseau Bluesky.
« Situation très dégradée »
Cette réponse répressive est d’autant plus inquiétante qu’elle est récurrente. D’autres militants de Greenpeace France avaient déjà été placés pendant vingt heures en garde à vue et perquisitionnés, le 28 mai, pour avoir réalisé des graffitis à la craie et des collages appelant à protéger l’océan.
« La situation est très dégradée. On assiste à une volonté de réprimer toute action de désobéissance civile », s’inquiète également Sébastien Mabile, avocat spécialiste du droit de l’environnement, qui avait notamment défendu Les Soulèvements de la Terre contre la menace de dissolution.
Selon lui, l’action menée par Greenpeace avec la statue de cire relève de la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En France, certains « décrocheurs de portraits » d’Emmanuel Macron avaient vu leurs condamnations cassées, en 2021, par la Cour de cassation. Leurs amendes pour « vol en réunion » constituaient là aussi « une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression », selon la Cour.
« Attachés pendant des heures à des bancs, trimballés de commissariat en commissariat »
Ces garde-fous permettent, pour l’instant, de limiter en France l’intensification de la répression judiciaire des actions de désobéissance civile, même si certains décrocheurs ont, à l’inverse, vu leur condamnation confirmée par la Cour de cassation. « Nous avons une juridiction qui reste moins répressive qu’en Italie ou au Royaume-Uni, où des militants écologistes font actuellement de la prison ferme pour de la désobéissance civile », dit Sébastien Mabile.
Faire taire les militants par la violence
La répression s’exprime, en revanche, de manière particulièrement zélée en France via l’action policière. Michel Forst, rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement aux Nations unies, désigne la France comme le pire pays d’Europe concernant la violence et la répression policières.
À ce titre, les deux militants de Greenpeace arrêtés pour avoir promené la statue de cire ont déjà subi ce qui pourrait s’apparenter à un traitement punitif en détention : « Attachés pendant des heures à des bancs, trimballés de commissariat en commissariat. L’une a passé la nuit sans couverture et n’a pas pu s’allonger car sa cellule était trop petite. L’autre a dû dormir au sol car sa cellule contenait trop de personnes », rapporte l’association écologiste.
« La violence policière et administrative est le principal problème en France. Le déploiement d’une sémantique qui incite à la répression, comme le terme “écoterroriste”, crée une sorte d’hostilité structurelle contre les défenseurs de l’environnement, considérés comme des cibles collectives », estime Sébastien Mabile.
Pour l’avocat, les poursuites systématiques, les violences policières légitimées par cette sémantique, les tentatives de dissolution et les interdictions administratives de manifester, « quasiment systématiques depuis cinq ans », participent à installer une ambiance délétère contre les militants écologistes. Ce que Greenpeace décrit comme une volonté de « faire taire les lanceurs d’alerte ».
°°°
Source: https://reporterre.net/Trois-nuits-en-cellule-pour-l-emprunt-de-la-statue-de-cire-d-Emmanuel-Macron
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/trois-nuits-en-cellule-pour-lemprunt-de-la-statue-de-cire-demmanuel-macron-reporterre-5-06-25/