
L’Ukraine et ses soutiens occidentaux, sentant le déséquilibre vis-à-vis de l’armement et de la puissance de feu russes, font face au spectre d’une implosion de type Première Guerre mondiale tôt ou tard.
Par M. K. Bhadrakumar
L’opération Spiderweb, l’attaque du 1er juin contre la force nucléaire russe au cours de laquelle Moscou a détecté l’empreinte de l’OTAN – du MI6 en particulier- était un point d’inflexion dans le conflit ukrainien qui aurait pu perturber les pourparlers de paix, obliger le président Donald Trump à se désengager du président Vladimir Poutine et faire dérailler la normalisation américano-russe, mais dans les 11 jours qui ont suivi, rien de tel s’est produit.
La diplomatie se poursuit ; Trump reste engagé avec Poutine et ne montre aucun enthousiasme pour la « guerre de Biden ». Une rencontre en tête-à-tête dans le bureau ovale le 5 juin entre Trump et le chancelier allemand Friedrich Merz, en visite, n’a pu qu’étouffer leurs divergences. Merz a déclaré plus tard qu’il avait dit à Trump en privé qu’il était « la personne clé dans le monde qui peut vraiment faire cela [apporter la paix] – en mettant la pression sur la Russie ». Toutefois, Trump n’a pas bronché.
De nouveaux faits sur le terrain continueront à façonner la diplomatie, un phénomène endémique des guerres majeures (par exemple, la guerre de Corée ou du Viêt Nam). Le week-end dernier, une division de chars russes est entrée dans la province de Dnipropetrovsk en direction du fleuve Dniepr pour la première fois depuis le début de la guerre, tandis qu’au Nord il y a une avance rapide en direction de la ville stratégique de Soumy, à 25 km de la ligne de front et à 200 km de Kiev.
L’Ukraine et ses partisans occidentaux, conscients du déséquilibre par rapport à l’armement et à la puissance de feu russes, de la vulnérabilité face aux attaques de missiles russes à grande échelle et de la pénurie aiguë de combattants entraînés, font face au spectre d’une implosion style Première Guerre mondiale à plus ou moins brève échéance. Ce sombre scénario donne lieu à des actes désespérés de guerre asymétrique. Selon le chroniqueur du Washington Post David Ignatius, qui est connecté à l’establishment sécuritaire étatsunien, « l’Ukraine dépendra plus que jamais de ses services de renseignement… les opérations secrètes pourraient s’étendre à une “sale guerre” au-delà du front, avec davantage d’assassinats ciblés, de sabotages et de frappes… L’opération « toile d’araignée » était une tentative ukrainienne audacieuse de remettre les pendules à l’heure… D’autres opérations sophistiquées sont en préparation, m’ont dit des sources de renseignement ».
Qu’est-ce que l’opération « toile d’araignée » a permis d’accomplir ? En termes militaires, rien. Les Russes affirment qu’aucun bombardier stratégique n’a été détruit et que les avions endommagés ne sont qu’une demi-douzaine. L’équilibre stratégique mondial n’a pas basculé en défaveur de la Russie. En fait, la communauté stratégique, y compris les États-Unis, est choquée et effrayée par le fait que le traité START, qui a été négocié à grand-peine par les États-Unis et la Russie, a été violé par l’attaque de la triade nucléaire, et que l’accord mutuel selon lequel les bombardiers nucléaires des deux grandes puissances doivent être stationnés à tout moment dans un espace ouvert visible par les satellites a été rompu.
Il ne fait aucun doute que sans les données satellitaires en temps réel et l’expertise des services de renseignement occidentaux, l’Ukraine n’aurait tout simplement pas pu entreprendre une opération aussi sophistiquée avec une précision mathématique à travers la vaste étendue de la Russie couvrant 11 fuseaux horaires.
Nous vivons une époque pleine de dangers. Les États-Unis se sont retirés des traités de contrôle des armements datant de la guerre froide, en particulier du traité fondamental sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de 1987, et de nouvelles négociations sont impossibles sans un règlement en Ukraine. Pendant ce temps, le réarmement de l’Europe est une réalité émergente, et la frontière de la Russie avec l’OTAN vient de doubler de taille après que l’administration Biden a pressé la Finlande de rejoindre l’alliance. De nouveaux sous-groupes de l’OTAN, tels que l’axe nordique et balte, font leur apparition dans la partie nord de l’Arctique russe, caractérisée par un haut degré de capacité militaire et des attitudes profondément hostiles à l’égard de Moscou.
Bref les scénarios de décapitation nucléaire et les alertes instantanées sont de retour, alors que les États-Unis devraient déployer de nouveaux missiles à portée intermédiaire en Allemagne l’année prochaine, et que la pression politique pour qu’ils soient équipés d’ogives nucléaires sera énorme. Les nouveaux dirigeants allemands caressent l’idée de se doter de leurs propres armes nucléaires ! Merz a déclaré publiquement qu’il souhaitait discuter avec la France et la Grande-Bretagne du partage de leurs armes nucléaires.

C’est dans ce contexte complexe de sécurité européenne et eurasienne que la réponse de Poutine à l’opération « toile d’araignée » se déploiera. La Russie a tout intérêt à ce que la roue de la diplomatie tourne. Il n’est pas sous pression, car Moscou a conclu que l’opération du MI6 du 1er juin n’a pas entamé la capacité de dissuasion nucléaire de la Russie ni eu d’impact sur l’équilibre militaire dans la guerre. Par le passé, la Russie a également réparé des bombardiers stratégiques. Mais Poutine est furieux de cette tentative fébrile des services de renseignement occidentaux de saper les pourparlers de paix.
Il n’y a aucune raison de mettre en doute le pronostic de Fyodor Lukyanov, éminent analyste russe, publié dans le quotidien gouvernemental Rossiyskaya Gazeta : « Une réponse de la Russie aux attaques de dimanche est inévitable. Elle sera probablement proportionnelle à l’ampleur des attaques de l’Ukraine. Il est important de noter que cette réponse ne visera pas uniquement Kiev. Elle sera un message adressé à toutes les parties concernées, y compris les États-Unis et l’Europe occidentale. La réponse de la Russie doit refléter les multiples facettes du conflit et ses nombreux destinataires ».
En fin de compte, la position de Poutine est justifiée : aucun cessez-le-feu n’est possible sans un accord de base sur les conditions d’un futur règlement et, dans l’intervalle, la force militaire pour créer de nouveaux faits sur le terrain reste le principal outil de négociation. Jusqu’à présent, les pourparlers se sont déroulés selon les conditions fixées par la Russie, à savoir pas d’ultimatums, pas de délais artificiels et une approche du dialogue soigneusement échelonnée. Le processus devrait donc se poursuivre, d’autant plus que Trump, qui souhaite également des pourparlers, est un acteur essentiel et le restera inévitablement, alors que les véritables conversations visant à façonner une architecture de sécurité européenne doivent encore commencer. Les « causes profondes du conflit » doivent également être abordées, et l’évolution des conditions sur le terrain dans une guerre d’usure assouplit presque toujours les positions les plus rigides.
Trump a discrètement signalé son intention de rester engagé avec Poutine en l’invitant à servir de médiateur avec l’Iran sur la question du nucléaire, qui est une priorité de sa politique étrangère. Poutine a accepté et se rendra à Téhéran dans les prochaines semaines.
Il y a également d’autres signaux. Trump aurait conseillé aux législateurs d’y aller doucement sur un projet de loi du sénateur Lindsey Graham appelant à des sanctions qui «briseraient les os » de la Russie. Il est fort probable que Trump édulcore la déclaration du G7 après le sommet qui se tiendra au Canada du 15 au 17 juin. Le sommet de l’OTAN (24-25 juin) à La Haye est en train de réduire la partie de l’ordre du jour relative à l’Ukraine. Les Européens sont furieux. Le président français Emmanuel Macron exprime sa colère en se rendant au Groenland le 15 juin, en route vers le sommet du G-7, en signe de soutien au territoire convoité par Trump.
Source : The New Indian Express
Source en français et traduction : https://investigaction.net/loperation-toile-daraignee-echoue-a-mettre-lukraine-a-labri-de-trump/
URL de cet article : https://lherminerouge.fr/loperation-toile-daraignee-echoue-a-mettre-lukraine-a-labri-de-trump-investigaction-12-06-25/