Sommet sur les océans : Macron boit la tasse (reporterre-13/06/25)

Emmanuel Macron à l’ouverture de l’Unoc, à Nice, le 8 juin 2025. – © Laurent Cipriani / Pool / AFP

« Mensonges » de la France sur les aires marines protégées, brouille avec des ONG, avancées des autres pays : la conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, s’est clôturée sur un bilan mitigé.

Par Hortense CHAUVIN.

Nice (Alpes-Maritimes), envoyée spéciale

Emmanuel Macron se rêvait en Neptune. Il n’est resté qu’en surface. Vendredi 13 juin s’est achevée la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice. Le président souhaitait en faire « un moment fondateur pour la gouvernance de l’océan ». Malgré quelques avancées à l’internationale, force est de constater que, sur la scène française, cette conférence a été un échec, révélatrice du manque d’ambition écologique du pays hôte.

Tout avait pourtant bien commencé, avec une annonce retentissante la veille du sommet : d’ici 2026, a promis le cabinet de la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, 4 % des eaux hexagonales (contre 0,1 % aujourd’hui) seront placées sous « protection forte » et interdites aux activités humaines ayant un effet « sensible » sur les fonds, y compris le chalut de fond.

Le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, a annoncé la création d’une des plus grandes aires marines protégées du monde, s’étendant sur 4,5 millions de km², dont 900 000 km² en « protection stricte » (c’est-à-dire interdites à la pêche et aux activités industrielles). Les aires marines protégées françaises devront en outre se doter, d’ici 2028, d’un plan de lutte contre les pollutions d’origine terrestre, et feront l’objet d’analyse des incidences des activités humaines, ouvrant la voie à d’éventuelles nouvelles régulations.

Mensonges et « mise au point »

Ces déclarations ont été saluées, jusqu’à ce que l’association Bloom soulève un lièvre. D’après leur examen, une large partie des zones choisies pour être classées en « protection forte » dans l’Hexagone sont en réalité déjà interdites au chalut de fond depuis… 2017, année de l’interdiction de la pêche en eau profonde. C’est notamment le cas en Atlantique, d’après la contre-cartographie établie par leurs soins.

La « protection forte » n’interdit en rien d’autres techniques de pêche industrielles, comme le chalut pélagique. Les annonces du gouvernement restent par ailleurs bien en deçà des recommandations de l’Union européenne, qui préconise d’interdire les activités et infrastructures industrielles dans au moins 30 % des eaux, et de fermer un tiers de ce pourcentage à tout type de pêche, même artisanale.

À gauche, la proposition du gouvernement  ; à droite, les aires marines qui seront vraiment protégées, selon Bloom. © Bloom

Malgré les nombreuses relances de Reporterre et d’autres médias, le cabinet de la Transition écologique n’a pas publié de carte précise des nouvelles zones interdites au chalut — document qui aurait éventuellement pu invalider l’analyse de Bloom. Plutôt que de clarifier les choses, le cabinet de la ministre a envoyé un long message de « mise au point » dans une boucle WhatsApp dédiée aux journalistes présents à l’Unoc. Il y défend sa « stratégie cohérente de protection des fonds marins », accuse l’ONG de « mentir » et déplore sa « hargne » — avec un ton évoquant davantage une passe d’armes qu’une communication ministérielle.

Un « mensonge d’État » et un « scandale politique »

Dans un texte destiné à apporter des « éclaircissements » aux professionnels de la pêche auquel Le Monde a eu accès, le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) reconnaît lui-même que « les interdictions existent déjà » ou « sont en passe de l’être » dans les zones prochainement classées sous « protection forte » par le gouvernement.

Interrogé par Reporterre à ce sujet lors d’une conférence de presse, le 13 juin, l’envoyé spécial du président de la République pour l’Unoc, Olivier Poivre d’Arvor, a promis que le gouvernement confrontera « dès lundi [16 juin] » ses cartes à celles de Bloom. « Elles ont été faites de manière assez étudiée, on va voir qui a raison. » En soulignant qu’il y avait « pire » dans le monde, il a tout de même admis que la France « peut faire mieux » : « Ce n’est pas le grand soir. »

Manifestation pour la protection des océans pendant l’Unoc, à Nice, devant des personnes sur la plage, le 7 juin 2025. © Pierre Larrieu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La fondatrice de Bloom, Claire Nouvian, considère l’affaire comme un « mensonge d’État » et un « scandale politique ». « Tout ça pour ça. On a dépensé 60 millions d’euros pour un sommet où l’on met en scène le statu quo et où l’on fait le choix délibéré de défendre quoi qu’il en coûte la pêche industrielle. » Elle dit exiger la démission d’Agnès Pannier-Runacher. Bloom s’apprête à porter plainte contre l’État, annonce-t-elle à Reporterre.

Sans aller jusque là, le chargé de campagne Océans de Greenpeace France, François Chartier, évoque une « vraie déception » : « Ça faisait des mois qu’on nous annonçait qu’on allait nous annoncer quelque chose. Au final, il n’y a rien de significatif. » Parmi les zones sélectionnées par le gouvernement se trouvent des canyons qui ne peuvent techniquement pas être chalutés, pointe-t-il.

Des avancées à l’international

Les annonces du gouvernement désappointent d’autant plus les ONG que d’autres gouvernements ont profité de l’Unoc pour faire des annonces fortes. Le Royaume-Uni a fait part de son intention d’interdire le chalutage de fond dans la moitié de ses aires marines protégées, soit une superficie de 30 000 km². La Tanzanie a annoncé la création de deux nouvelles aires marines protégées de 1 300 km² interdites à la senne et au chalut.

Les Samoa ont décidé d’interdire la pêche dans une zone équivalente à la taille du Vietnam, soit 30 % de ses eaux. Le Ghana s’est quant à lui engagé à exclure le chalutage de fond et les autres pratiques de pêche industrielle de l’ensemble de ses eaux territoriales, c’est-à-dire la zone qui s’étend jusqu’à 12 milles marins (22 km) des côtes.

« On aurait des leçons à apprendre
de ces pays »

Une décision « applaudie » par le représentant de la pêche artisanale ghanéenne, Nana Kweigyah. « On aurait des leçons à apprendre de ces pays », estime Nicolas Fournier, directeur de campagne de l’ONG Oceana. Au lieu de faire preuve d’exemplarité, la France pourtant plus riche s’est contentée de faire de la « communication politique » sans réels effets pour la biodiversité, déplore-t-il.

Grâce à ces nouveaux sanctuaires, 11 % des océans sont désormais classés comme « protégés », salue Olivier Poivre d’Arvor. Nous sommes encore très loin de l’objectif des Nations unies d’interdire la pêche industrielle dans 30 % des océans en 2030.

Lire aussi : La haute mer, zone de non-droit pillée par quelques États

La France peut, malgré tout, s’enorgueillir de belles avancées diplomatiques. L’Unoc a, comme escompté, joué un rôle de « catalyseur » pour le traité de protection de la haute mer — une zone de non-droit —, se félicite François Chartier. 56 États ont ratifié ce traité, a annoncé Olivier Poivre d’Arvor, et 14 autres s’apprêtent à le faire d’ici fin septembre. « C’est une victoire considérable. Il est très difficile de travailler en ce moment sur l’océan », a-t-il souligné en référence au rejet du multilatéralisme des États-Unis. Ce texte permettrait — entre autres — de créer des aires marines protégées en haute mer. Il pourrait être mis en œuvre « dès début janvier 2026 », selon le diplomate.

« Quand on voit qu’on a déjà du mal à gérer nos aires marines protégées là où c’est facile, sur le territoire national… J’ai du mal à croire qu’on y arrivera à l’échelle internationale », tempère Nicolas Fournier.

En ce qui concerne l’exploitation minière des abysses, les avancées sont plus timides. Seuls quatre nouveaux pays (la Slovénie, les Îles Marshall, Chypre et la Lettonie) se sont positionnés en faveur d’un moratoire. La coalition « anti-deep sea mining » s’élève désormais à 37 États. « L’effet épouvantail de Trump et la possibilité d’une exploitation étasunienne hors de tout cadre juridique a clairement remobilisé les promoratoires. Mais il n’y a pas eu de forte émulation pour autant », observe François Chartier.

Consensus sur la pollution plastique

Autre sujet central de la conférence : la lutte contre la pollution plastique. 96 pays (dont la France) ont signé une déclaration appelant à faire preuve « d’ambition » à Genève, où doit se tenir en août la prochaine salve de négociations du traité sur ce fléau. « Si nous continuons comme ça, nous aurons dans vingt-cinq ans plus de plastique que de poissons dans la mer », a alerté le coprésident costaricain de la conférence, Rodrigo Chaves Robles.

La déclaration plaide notamment pour réduire la production de plastique, plutôt que de miser uniquement sur le recyclage. Signal encourageant : cet « appel à l’action » a entre autres été signé par le Mexique, pourtant producteur de pétrole, la matière première du plastique. Sans surprise, le texte a été boudé par l’Arabie saoudite, la Russie et l’Iran, autres pétro-États qui risquent de s’opposer farouchement, à Genève, à toute limitation de la production plastique.

Autres lueurs d’espoir : 37 États ont lancé une coalition contre la pollution sonore, péril méconnu pour les mammifères marins. 103 États — dont 14 en 2025 — ont aussi ratifié l’accord de l’Organisation mondiale du commerce visant à mettre fin aux subventions à la pêche illégale, à la pêche de stocks surexploités et à la pêche de stocks non réglementés en haute mer, accord qui n’a désormais besoin que de 8 ratifications pour entrer en vigueur. Un collectif d’athlètes a également lancé un programme de vulgarisation scientifique par le sport.

François Chartier retient aussi de cette semaine de « grands moments de discussion » entre membres de la société civile : « Il y a eu des réunions de communautés de pêcheurs artisans d’Asie, d’Afrique, du Pacifique, avec une forte présence des représentants de communautés autochtones. Ils ne sont pas venus faire acte de présence, mais réseauter. » Le salut viendra peut-être de là.

°°°

Source: https://reporterre.net/Sommet-sur-les-oceans-Macron-boit-la-tasse

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/sommet-sur-les-oceans-macron-boit-la-tasse-reporterre-13-06-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *