
© Lafargue Raphael/ABACA
Le gouvernement prépare le terrain à une baisse des effectifs dans la fonction publique, en vue d’atteindre ses 40 milliards d’économies dans le budget 2026. Comme à chaque poussée austéritaire, le discours fallacieux sur le poids des fonctionnaires revient comme une obsession, qui a pourtant démontré ses effets délétères : dégradation du service public, incapacité à réduire le déficit, et coûts supplémentaires pour les caisses de l’État.
Par Hayet KECHIT.
Face A : des services d’urgence aux abois, des élèves sans enseignants, des guichets de La Poste et des impôts qui ferment à tour de bras. Face B : un gouvernement qui rempile avec la même rengaine sur l’hypertrophie supposée des services publics et de son nombre de fonctionnaires. Encore une fois, la dissonance est flagrante entre la réalité renvoyée par le terrain et les récentes annonces de l’exécutif, visant à revoir à la baisse les effectifs de la fonction publique, en vue de trouver coûte que coûte les 40 milliards d’euros d’économies pour son budget 2026.
En attendant les annonces sur ces arbitrages prévues le 14 juillet, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin et son homologue de l’Économie, Éric Lombard, préparent le terrain. Ils ont lancé de concert l’offensive dès le 8 juin : la première en pointant, sur le ton de l’évidence, la nécessité de « revoir la tendance » de l’augmentation du nombre de fonctionnaires pour réduire le déficit public, le second enfonçant le clou le même jour sur France inter en affirmant « qu’il faut engager la baisse du nombre de fonctionnaires. »
La part des fonctionnaires dans l’emploi total a diminué
Comme à chaque fois, les chiffres sont exposés sous l’apparence fallacieuse du simple constat. « L’année dernière, il y a eu une augmentation importante du nombre de fonctionnaires qui a participé au dérapage budgétaire », justifie Éric Lombard, sur France inter. L’étude la plus récente sur le sujet de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) apporte notamment ces données : « La fonction publique comptait 5,8 millions d’agents fin 2023, soit près de 62 000 de plus qu’un an auparavant. »
Mais elle révèle aussi que cette hausse des effectifs est essentiellement portée par l’augmentation du nombre de contractuels, à savoir des agents précarisés assis sur un siège éjectable. Ce que le locataire de Bercy se garde soigneusement de préciser en utilisant à tort le terme de « fonctionnaires ». Le nombre d’agents sous statut aurait ainsi au contraire baissé, selon cette même étude, particulièrement dans la fonction publique territoriale, qui accuse un recul de 0,7 %, soit 9 400 fonctionnaires de moins, une tendance qui suit celle des années précédentes (-1,0 % en 2022 et -0,6 % en 2021).
« Contrairement aux idées reçues, la part des fonctionnaires dans l’emploi total et par rapport à la population a tendance à diminuer », analyse également Lucie Castets, dans son essai Où sont passés nos milliards ? (Seuil, mai 2024). Selon la haut fonctionnaire, cofondatrice du collectif Nos services publics (et ex-candidate du Nouveau front populaire aux dernières élections législatives anticipées), la part des fonctionnaires dans l’emploi total s’établirait autour de 20 % entre 2002 et 2017, « avec une tendance continue à la baisse depuis 2015 ». « Nous sommes donc bien loin de la situation décrite par la droite et l’extrême droite sur une supposée explosion du nombre de fonctionnaires », conclut l’experte financière.
« Qui va faire le travail ? »
« Si on décide de supprimer des emplois, de ne pas remplacer les départs à la retraite, qui va faire le travail ? Qui va rendre le service public ? », interroge pour sa part Stanislas Gaudon, président de la fédération des services publics de la CFE-CGC, qui ne décolère pas face à cette nouvelle offensive du gouvernement. Car pour le syndicaliste, selon qui, contrairement aux insinuations de l’exécutif, « personne ne peut se permettre de se tourner les pouces dans les services publics », baisser les effectifs n’en supprimera pas moins les besoins de la population.
Force est de constater que dans certains organismes publics, la parade est déjà trouvée pour ne pas exploser les « plafonds d’emploi », à travers une sous-traitance accrue vers le privé. Quoi qu’il en coûte. La situation à France Travail en est un exemple particulièrement révélateur : la baisse continue des effectifs ainsi que le recours accru aux contractuels, variables d’ajustement éjectables à merci, ont servi de prétexte à ses dirigeants pour déléguer une large part de ses missions à des entreprises privées.
Recours accru aux prestataires privés
Guillaume Bourdic, représentant syndical à la CGT France Travail, avait ainsi souligné dans nos colonnes en janvier dernier, qu’en 2024, le budget dédié à la sous-traitance avait augmenté de 60 % par rapport à 2023, tandis que le budget prévu pour l’externalisation des relations entreprises s’élèverait à 9 millions d’euros. Aux yeux du syndicaliste, le service public de l’emploi « va devenir une gare de triage au service des prestataires privés ». Des coûts qui, selon nombre d’experts sur le sujet, seraient nettement moins élevés si les missions étaient traitées par les agents eux-mêmes.
Pour Natacha Pommet, secrétaire générale de la fédération CGT des services publics, il suffit de se pencher sur l’échec des mesures mises en place par Nicolas Sarkozy – qui s’est fait le chantre des suppressions d’emplois dans la fonction publique – pour démontrer le non-sens de ce projet. Sa fameuse RGPP (Révision générale des politiques publiques) – prônant le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux — qui « a conduit à la suppression de 85 000 postes, n’aurait rapporté au final, que 3 à 4 milliards d’euros par an », affirme la syndicaliste. Sans pour autant résorber le déficit public.
Les analyses et les chiffres mis au jour par Lucie Castets dans son essai abondent dans ce sens : « Durant les mandats de Nicolas Sarkozy (2007-2012), la dette publique a connu une forte progression, passant de 64 à 90 % du PIB. » En cause : les baisses de recettes engendrées notamment par le bouclier fiscal, la défiscalisation des heures supplémentaires sans effets sur la croissance économique. Pas de quoi infléchir la ligne choisie par Emmanuel Macron, qui suit la voie tracée par son prédécesseur, dont il partage la même vision : les fonctionnaires auront toujours bon dos.
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