Pourquoi Israël s’est-il précipité ? (Arrêt Sur Info – 14/06/25)

Parviz Tanavoli (Iran), ancien poète d’Iran, 1968.

Par M.K. Bhadrakumar

Le Moyen-Orient en crise

Les forces de défense israéliennes ont qualifié de « frappe préventive » l’attaque aérienne menée par quelque 200 avions contre l’Iran aux premières heures du vendredi 13 juin. Le droit international ne permet pas d’attaquer un pays situé à plus de 1 000 km sous un vague prétexte de « légitime défense » ou de « nécessité opérationnelle immédiate ».

La Charte des Nations unies autorise les actes de légitime défense, mais l’Iran n’a rien fait ces derniers temps – du moins après le retour du président Donald Trump à la Maison-Blanche – qui puisse être interprété comme une menace pour Israël. Les Israéliens affirment avoir considérablement affaibli la capacité de l’Iran à menacer leur pays.

Il s’agit donc d’une agression pure et simple. La déclaration du secrétaire d’État américain Marco Rubio a cherché à distancier les États-Unis des frappes israéliennes en soulignant qu’ »Israël a pris des mesures unilatérales » et qu’il a informé Washington qu’ il « pense que cette action était nécessaire pour se défendre ».

Trump avait déclaré au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu que de telles attaques ne feraient que saper les négociations nucléaires en cours avec l’Iran. Le sixième cycle de négociations entre les États-Unis et l’Iran est prévu à Mascate le 15 juin.

La déclaration de Rubio souligne que « nous ne sommes pas impliqués dans des frappes contre l’Iran et que notre priorité absolue est de protéger les forces américaines dans la région ». Rubio n’a pas fait la moindre tentative pour exprimer le soutien des États-Unis à Israël dans sa défense contre d’éventuelles contre-attaques iraniennes. C’est extrêmement inhabituel.

La grande question est de savoir ce qui a forcé la main de M. Netanyahou – en dehors de l’objectif évident de détourner l’attention de l’aggravation de la crise politique intérieure.

L’un des facteurs est que ses relations personnelles avec M. Trump n’ont cessé de se détériorer, en particulier depuis que Mike Waltz a été démis, le 1er mai, du poste crucial de conseiller à la sécurité nationale, un rôle clé dans l’élaboration des politiques à la Maison-Blanche.

La réaffectation de M. Waltz en tant qu’ambassadeur auprès des Nations unies est intervenue à la suite de l’incident dit du « Signalgate », mais avec le recul, son penchant pour une action militaire agressive contre l’ennemi juré qu’est l’Iran a également pesé sur la décision de M. Trump.

Dès que M. Waltz a perdu son poste, une purge des postes clés de la politique étrangère et de la sécurité nationale à la Maison Blanche a commencé. Les « faucons iraniens » connus que Waltz avait triés sur le volet pour l’assister ont été écartés tandis que les réalistes de « l’Amérique d’abord » sont en train de monter en puissance.

Il s’agit notamment d’Eric Trager, qui dirigeait les portefeuilles du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord pour le Conseil national de sécurité et qui est considéré comme un « faucon iranien », que Waltz a fait venir au poste de l’Institut pro-israélien de Washington pour la politique du Proche-Orient. Morgan Ortagus, considéré comme l’un des « plus fervents partisans pro-israéliens de l’administration », a été démis de son rôle d’envoyé pour le Liban par l’envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff.

Selon YNet News, le retrait d’Ortagus de ce poste « a stupéfié les fonctionnaires de Jérusalem, où elle est considérée comme étroitement alignée sur les intérêts israéliens ». Par ailleurs, Merav Ceran (une Israélo-Américaine qui a été fonctionnaire au ministère israélien de la défense) a été démise de ses fonctions au sein du bureau chargé de l’Iran et d’Israël au sein du Conseil national de sécurité.

Il est certain que les taupes d’Israël qui préféraient la guerre à la diplomatie avec l’Iran ont été mises à la porte alors que le président lui-même négocie avec l’Iran pour limiter son programme nucléaire ! (Voir un compte-rendu plus complet des changements à la Maison Blanche dans deux rapports du site Web Responsible Statecraft du Quincy Institute – ici, ici et ici).

Les Israéliens affirment qu’il y a eu une « coordination pleine et entière » avec les Américains avant les attaques de vendredi, mais ce sentiment n’a pas encore été repris dans la déclaration de Rubio. Certes, Rubio a lancé un avertissement à l’Iran : « Permettez-moi d’être clair : l’Iran ne doit pas prendre pour cible les intérêts ou le personnel des États-Unis. Mais il s’agit plutôt d’une ligne rouge« .

Un autre facteur sensible à l’œuvre est la pression croissante exercée sur Trump par certaines figures reconnues du camp « Make America Great Again » (MAGA) qui le soutiennent, comme Steve Bannon, ancien stratège en chef de la Maison Blanche et personnalité influente. Ils mettent en garde Donald Trump contre une politique étrangère trop dure, notamment en soutenant des interventions militaires à l’étranger, qui risquerait de diviser le camp MAGA, ce qui serait politiquement préjudiciable.

Enfin, il y a le tableau d’ensemble des réalignements géopolitiques. Les quinze derniers jours ont été une période critique. L’audacieuse attaque ukrainienne contre la triade nucléaire russe le 1er juin a incité Trump à appeler le président russe Vladimir Poutine dans les quarante-huit heures.

Le résultat de leur conversation semble être que : i) l’engagement constructif entre les États-Unis et la Russie doit arriver à son terme ; ii) la diplomatie se poursuivra sur la question de l’Ukraine même si de nouveaux faits sur le terrain peuvent continuer à influencer la diplomatie ; et iii) les États-Unis se désolidarisent des alliés européens dans la guerre par procuration qui se déroule en Ukraine.

La partie la plus étonnante de l’appel téléphonique est que Trump a demandé l’intervention de Poutine dans le dossier nucléaire iranien. Poutine a accepté de l’aider. Une semaine plus tard, la porte-parole du gouvernement iranien, Fatemeh Mohajerani, a été citée par l’agence de presse russe RIA comme ayant déclaré : « Le voyage de Poutine à Téhéran est en cours d’élaboration, les préparatifs sont en cours. »

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, tient Poutine en grande estime. En bref, le pire cauchemar d’Israël est en train de se réaliser : les négociations entre les États-Unis et l’Iran bénéficient de l’autorité d’un leader mondial. Il ne fait aucun doute que Poutine sait que cela pourrait changer la donne dans les relations entre la Russie et les États-Unis, car la résolution de la question iranienne reste essentielle à la stabilisation du Moyen-Orient et d’autres occasions pourraient se présenter pour résoudre la crise au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne.

De toute évidence, le temps presse pour Israël. Et Netanyahou a choisi d’agir maintenant, que cela plaise ou non à Trump. Du point de vue iranien, l’avantage réside dans la poursuite des pourparlers avec Steve Witkoff à Mascate dimanche. Toute attaque contre les bases américaines dans la région peut être évitée, en raison des représailles auxquelles on peut s’attendre à coup sûr. Laissons Israël se complaire dans son agression.  Blessons les là où c’est le plus important dans la guerre à venir.

La BBC a rapporté que « dans les heures qui ont précédé les attaques de jeudi, des fonctionnaires américains ont indiqué qu’il n’y aurait pas de soutien américain en cas d’action israélienne, allant même jusqu’à dire qu’ils n’aideraient pas au ravitaillement en vol. Cette information était destinée à Téhéran ».

La première réaction de M. Trump aux frappes israéliennes s’apparente également à un plaidoyer en faveur des négociations et du compromis :

« J’ai donné à l’Iran toutes les chances de conclure un accord. Je leur ai dit, avec les mots les plus forts, de « le faire », mais ils ont eu beau essayer, se rapprocher, ils n’y sont pas parvenus.

« Je leur ai dit que ce serait bien pire que tout ce qu’ils connaissaient, anticipaient ou qu’on leur avait dit, que les États-Unis fabriquent les équipements militaires les meilleurs et les plus meurtriers au monde et qu’Israël en possède beaucoup, et bien plus encore à l’avenir – et qu’ils savent comment s’en servir.

« Certains partisans de la ligne dure iranienne ont parlé avec courage, mais ils ne savaient pas ce qui allait se passer. Ils sont tous morts maintenant, et la situation ne fera qu’empirer !

« Il y a déjà eu beaucoup de morts et de destructions, mais il est encore temps de mettre fin à ce massacre, les prochaines attaques déjà prévues étant encore plus brutales.

« L’Iran doit conclure un accord, avant qu’il ne reste plus rien, et sauver ce qui était autrefois connu sous le nom d’Empire iranien. Plus de morts, plus de destructions, faite le avant qu’il ne soit trop tard. Que Dieu vous bénisse tous ! » 

Par M.K. Bhadrakumar, Ancien diplomate indien

Source originale : https://www.indianpunchline.com/middle-east-in-crisis-1/

Source en français : https://arretsurinfo.ch/pourquoi-israel-sest-il-precipite/

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/pourquoi-israel-sest-il-precipite-arret-sur-info-14-06-25/

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