Face à la tuberculose, ils créent une VAD, pour «vaches à défendre» (Reporterre-26/06/25)

Le 5 juin 2025, à Eyzerac, en Dordogne. L’éleveur Serge Deschamps et ses soutiens contestent la demande d’abattage total de son troupeau de vaches limousines dans le cadre de la lutte contre la tuberculose bovine. – © Christophe Noisette / Hans Lucas via AFP

Côté pile, il y a l’État, qui gère avec fermeté les suspicions de tuberculose bovine. Côté face, des éleveurs dégoûtés qu’on fasse abattre tout leur troupeau. En Dordogne, une « VAD », pour vaches à défendre, s’est même montée.

Par Lisa DOUARD .

Eyzerac (Dordogne), correspondance

« Ce sont les drones au-dessus de la maison qui m’ont réveillé. On aurait cru à une opération antiterroriste. » Serge Deschamps est encore abasourdi par la journée du 5 juin. Ce jour-là, les services vétérinaires comptaient saisir ses derniers bovins. Nichée dans un vallon du Périgord vert, son exploitation étendue sur 22 hectares a été décrétée foyer de tuberculose bovine au printemps 2024. Depuis, l’administration requiert l’abattage total de son cheptel, mais l’éleveur refuse de laisser partir des bêtes qui ne seraient pas infectées. Un cas symbolique d’un affrontement entre deux mondes qui peinent à trouver un terrain d’entente.

La problématique de « la tub » a souvent été cantonnée à la sphère agricole. Pour la première fois, en Dordogne, des citoyens se sont emparés du sujet en se mobilisant autour du cas Deschamps. Lorsque les services vétérinaires et les gendarmes ont débarqué chez lui, ce matin du 5 juin, une quinzaine de résistants étaient présents : voilà quinze jours qu’ils tenaient, nuit et jour, un campement provisoire qu’ils ont appelé la VAD — pour « vaches à défendre ».

Les drones et le passage des hélicoptères a traumatisé ses bêtes, assure l’éleveur. © Alban Dejong / Reporterre

« C’était une zad, mais pour les vaches », résume Véronique Cluzaud, maraîchère dans le coin et membre très active du collectif de soutien, composé de « défenseurs du monde vivant » de tous les âges.

« Les agriculteurs sont totalement dépossédés des décisions »

Ils et elles sont restés sur place pour épauler Serge Deschamps — la petite troupe est partie le jour de l’intervention des services vétérinaires. Munis de pancartes type « Ce n’est pas la tuberculose qui tue, c’est leur protocole », ils souhaitaient dénoncer ce qu’ils appellent « les drames des abattages totaux ». Même si les cas sont rares, la maladie est transmissible à l’humain et les services sanitaires cherchent à empêcher sa propagation en appliquant une gestion sévère des cas.

« C’est très dur émotionnellement d’aider une personne en détresse qui voit partir toute une vie d’élevage. Les agriculteurs sont totalement dépossédés des décisions », s’indigne Véronique Cluzaud.

La présence de la VAD a « compliqué l’opération » du 5 juin, selon un communiqué de la préfecture, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. Seulement 13 bêtes ont été embarquées par les agents, 14 sont restées chez l’éleveur.

Véronique Cluzaud montre des photos prises lors de l’intervention des services vétérinaires, épaulés par la gendarmerie. © Alban Dejong / Reporterre

Ce sont les dernières que possède Serge Deschamps et il espère bien leur éviter le même sort. En moins d’un an, au total, 33 de ses vaches ont été tuées dans le cadre des protocoles de lutte contre la tuberculose bovine. Parmi elles, seulement 3 étaient effectivement infectées par la bactérie. L’éleveur et ses soutiens dénoncent des « abattages pour rien ».

Pour savoir si les animaux sont infectés — sachant qu’ils ne présentent généralement pas de symptômes — il faut procéder à un test allergique : on inocule la bactérie puis on mesure l’épaississement de la peau pour voir s’il y a une réaction. Quand doutes il y a, il faut procéder à un abattage diagnostic. « Les animaux ne peuvent être considérés tuberculeux que post-mortem », explique l’agriculteur, qui trouve cela absurde : pour vérifier si les bovins sont bien malades, il faut les tuer.

La Dordogne l’un des territoires les plus touchés par la maladie

Une fois que les services de l’État ont décelé la bactérie chez deux bêtes, en mars 2024, ils ont déclaré le cheptel infecté et réclamé une première fois son abattage total. Serge Deschamps est tout de même parvenu à négocier un abattage partiel. Quelques mois plus tard, dix-huit de ses vaches, veaux et broutards ont été tués. Examinées post-mortem, seule l’une d’entre elles présentait des lésions. Estimant tout de même une « persistance de la tuberculose bovine dans ce cheptel », les services de l’État ont demandé de nouveau un abattage total — ce pourquoi ils se sont déplacés le 5 juin.

Avec la Côte-d’Or et les Pyrénées-Atlantiques, la Dordogne l’un des territoires les plus touchés par la maladie en France : lors de la dernière campagne de prophylaxie, douze foyers ont été détectés. Elle circule « depuis aussi longtemps que les vieux s’en souviennent », commente François Soulard, le porte-parole local de la Confédération paysanne.

La propriété de l’éleveur se trouve au cœur d’une zone boisée, semi-ouverte, en contact rapproché avec la faune sauvage. © Alban Dejong / Reporterre

Dans les années 1950, environ 25 % des élevages et plus de 10 % des bovins étaient effectivement infectés. Aujourd’hui, la France est considérée comme « indemne » car moins de 0,1 % de ses élevages bovins sont infectés. Dans le cas contraire, elle ne pourrait plus exporter dans l’Union européenne.

Des moyens de dépistage peu fiables

« Le sujet est tabou dans notre milieu », estime Véronique Cluzaud, qui souhaiterait davantage d’implication des syndicats professionnels agricoles dans ce dossier. S’ils sont réticents à prendre position, tous semblent au moins s’accorder sur le fait que les moyens de dépistage actuels manquent de fiabilité et mettent en grande difficulté les agriculteurs. Une erreur de diagnostic de tuberculose bovine a d’ailleurs conduit un agriculteur à subir un préjudice évalué à 236 000 euros, comme le racontait Reporterre il y a deux mois.

« On voudrait que les moyens soient mis dans de la recherche scientifique. Pourquoi certains départements l’ont et d’autres pas ? Est-ce que c’est un problème de génétique ? De mode d’élevage ? » s’interroge François Soulard, de la Confédération paysanne. La détresse des agriculteurs suscite, au sein du syndicat, toutes sortes d’hypothèses : l’État n’agirait-il pas ainsi pour des raisons économiques ?

Le tarif d’achat des carcasses après abattage en lien avec la tuberculose bovine et le montant de l’indemnisation versée aux éleveurs font particulièrement débat. À titre d’exemple, il a été proposé 56 971 euros à Serge Deschamps pour sa quarantaine de têtes avec des prix débutant à 1,50 euro le kilo. La somme globale comprend une compensation de l’État, qu’il n’est même pas certain de toucher puisqu’il s’est opposé au protocole d’abattage. Le quinquagénaire bénéficie d’une pension d’invalidité liée à une autre activité sur laquelle s’appuyer. « Pourquoi les autres se taisent ? Ils prennent ce qu’on leur donne et paient leur emprunt parce qu’ils n’ont pas le choix », se désole François Soulard, qui craint que ces protocoles « dissuadent des vocations ».

Véronique Cluzaud, maraîchère en Dordogne et membre très active du collectif de soutien. © Alban Dejong / Reporterre

Autre règle, valable pour tous : la somme de l’indemnisation baisse si un agriculteur ne s’engage pas à remonter un troupeau dans la foulée. Des conditions financières qui mettent les chefs d’exploitation « sous pression », comme le dénonce Amandine Béchade, éleveuse en Dordogne avec son frère Nicolas. Leur cheptel a été abattu le 19 juin, alors qu’ils réclamaient un nouveau diagnostic depuis six mois. D’après la grille de cotation, ils devraient toucher entre 3 et 5 euros par kilo, bien en dessous de ce qu’ils auraient perçu lors d’une vente classique. « Quand la tub vous tombe dessus, vous comprenez que vous êtes condamné autant que vos vaches. On a appris la nouvelle en larmes. Ce sera très dur de repartir, on va se laisser le temps », dit-elle à Reporterre.

Réduction des risques

Depuis 2010, l’abattage sélectif peut être accordé sur dérogation. Les Groupements de défense sanitaire (GDS), composés d’éleveuses et d’éleveurs, se sont battus pour obtenir cette avancée. « Certains préfèrent le total pour partir sur des bases saines rapidement. Pour être déqualifié foyer tuberculeux, il faut trois prophylaxies consécutives négatives. Pendant ce temps-là, les transactions commerciales sont bouleversées. À vouloir absolument sauver son cheptel, il ne faut pas non plus que cela devienne un suicide économique », insiste Jérémy Nadaud, vice-président du GDS de Dordogne, lui-même éleveur de limousines touché en 2018 et 2020.

Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), la maladie, très contagieuse, « se transmet d’abord et avant tout de bovin infecté à bovin sain ». Les sangliers, blaireaux et cervidés peuvent aussi la contracter et « contaminer à leur tour les élevages ». Puisque la bactérie peut survivre plusieurs mois dans l’environnement et « qu’on ne va pas éradiquer toute la faune sauvage, ni tous les bovins », comme le dit Jérémy Nadaud, les GDS préconisent de travailler sur la réduction des risques.

« Concrètement, on incite à ce qu’il n’y ait plus de pâtures en fil à fil pour éviter le contact bovin-bovin. Côté faune sauvage, on s’intéresse aux zones d’abreuvement où la persistance de la mycobactérie est plus importante », poursuit celui qui estime que « l’effort doit être collectif ». L’État a également essayé d’autres mesures telles que la vaccination des blaireaux.

Après une nouvelle négociation avec la préfecture, Serge Deschamps avait jusqu’au jeudi 26 juin pour refaire tester ses quatorze derniers bovins. Les services vétérinaires doivent passer d’ici peu. Le Périgourdin craint de perdre définitivement l’héritage laissé par ses parents agriculteurs. Avant-dernier de la fratrie, il avait 2 ans lorsque son père est mort écrasé sous un tracteur. Sa mère a élevé ses sept garçons et ses vaches seule. « Mes frères ont pris leur envol et moi, je suis resté ancré ici. La ferme, c’était mon parcours de vie, une évidence », dit le paysan qui chérit ses terres, autant que ses bêtes.

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Source: https://reporterre.net/Face-a-la-tuberculose-ils-creent-une-VAD-pour-vaches-a-defendre

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