
Un insecticide interdit en Europe a été identifié dans une usine du chimiste Basf. Malgré la loi Egalim de 2018, des substances bannies sont toujours produites et exportées depuis la France. Sans que les ministères agissent.
Par Moran KERINEC.
L’intrusion des Faucheurs volontaires d’OGM dans l’usine du géant de l’agrochimie Basf à Genay, au nord de Lyon, n’a duré que trente minutes le 23 juin. Cette « inspection citoyenne », comme la nomment les militants écologistes, leur a permis de découvrir un pesticide particulièrement toxique dont la production, le stockage et la circulation sont interdits en France. C’est ce que prouvent des photos du site de Genay publiées par Mediapart, où apparaissent des bidons de Fastac, un insecticide retiré du marché français depuis octobre 2020.
D’après ces photos, que Reporterre a également consultées, au moins une palette de 250 kg de Fastac, fabriquée en janvier 2025, était présente dans l’usine. Or, depuis un décret de 2022 de la loi Egalim, « la production, le stockage et la circulation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées » par la réglementation européenne sont interdits. Selon sa fiche technique rédigée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), le Fastac « peut être mortel en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires » et est « très toxique pour les organismes aquatiques ».

Importé d’Inde, un bidon de 50 kg d’alpha-cyperméthrine, la substance active du Fastac, a aussi été photographié sur les lieux. Ce qui laisserait supposer que le Fastac pourrait être fabriqué sur le site de Genay.
Sollicité par Reporterre sur la présence de ce pesticide interdit dans son usine, Basf n’a pas répondu à nos questions. « Basf tient à réaffirmer que la société opère dans le respect des différentes réglementations qui encadrent son activité », nous a seulement indiqué le chimiste par e-mail.
Des failles exploitées par les producteurs de pesticides
C’est la seconde fois que Basf est pris la main dans le pot à pesticide. Une première « inspection citoyenne » avait déjà eu lieu sur le site de Genay le 3 mars 2022.
Alain [*], arboriculteur à la retraite et membre des Faucheurs volontaires, s’en souvient : c’est lui qui a coupé le grillage à la pince. Alors que les sirènes sonnaient pour faire sortir les employés, lui a pénétré dans l’usine pour documenter les pesticides qui y sont produits. C’est par hasard qu’il est tombé sur des fûts de Régent TS, un insecticide neurotoxique à base de fipronil, théoriquement banni en France par la loi Egalim. « On le pensait interdit à la production, on avait tort », soupire le paysan. C’est à partir de cette découverte que les associations de protection de l’environnement ont découvert les failles dans la législation.
Le décret d’application de la loi Egalim, publié le 23 mars 2022, soit vingt jours après la première intrusion sur le site de Genay, a été rédigé avec deux failles juridiques dans lesquelles se sont engouffrés les producteurs de pesticides. La première brèche a été révélée par l’ONG suisse Public Eye, qui a repéré que la loi française interdit l’exportation de produits phytosanitaires, mais pas les molécules qui les composent elle-même. « C’est équivalent à interdire l’exportation des gâteaux au chocolat, mais pas leurs ingrédients », soupire Alain. Il est donc toujours possible de vendre hors de l’Union européenne les substances fabriquées en France et qui seront transformées dans les pays consommateurs de pesticides.
Seconde faille : le décret précise que dans le cas où l’approbation d’une substance est arrivée à échéance et que son renouvellement n’est pas demandé, les produits phytosanitaires qui la contiennent peuvent continuer à être produits et exportés jusqu’à une date fixée par un arrêté conjoint des ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique. Cette date est elle-même déterminée par une étude d’impact économique de l’interdiction de production, stockage et mise en circulation de ces substances.
Le cadre et le calendrier de cette étude sont, eux aussi, obscurs. Interrogé par Reporterre en 2022 sur cette interdiction à trous, le ministère de la Transition bottait en touche : « Les modalités précises (notamment qui va réaliser cette évaluation) de cette évaluation d’impact sont en cours de discussion entre les ministères concernés. Le décret ne prévoit pas de délai pour cette évaluation. »
Des pesticides répandus dans le monde
Grâce à ces dispositions laxistes, la France a ainsi autorisé l’exportation de 7 300 tonnes de pesticides interdits en 2023, a chiffré Public Eye. Cette faille dans la loi a été utilisée quasi exclusivement par Basf et son confrère étasunien Corteva, responsables à eux deux de 97 % des volumes de substances actives exportées.
Ces produits phytosanitaires ont été acheminés vers des pays où les contrôles et les réglementations sont particulièrement faibles : au Brésil (2 997 tonnes), en Ukraine (1 322 tonnes), aux États-Unis (897 tonnes) et en Russie (367 tonnes).
Les autorités françaises ont autorisé Corteva à exporter plus de 3 000 tonnes de picoxystrobine, un fongicide interdit en 2017 en raison d’un risque génotoxique. Basf a, lui, vendu 1 400 tonnes de fipronil, un insecticide si toxique qu’il est banni de l’agriculture française depuis 2004. Aujourd’hui, l’industriel allemand continue de produire cette substance active sur son site de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime.
Les promesses enterrées des ministères
Confronté à ces faits, l’ancien ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, avait promis en décembre 2022 de rectifier la législation française. « Cela va être corrigé », avait-il annoncé, précisant être en train de « finaliser le décret d’application » avec l’ex-ministre de l’Agriculture Marc Fesneau pour « combler les brèches ». La promesse a fait flop.
Saisi par Générations futures, le Conseil d’État a partiellement annulé le décret d’application le 6 mars 2024. « L’arrêté n’a donc pas été pris, précise aujourd’hui à Reporterre l’équipe d’Agnès Pannier-Runacher, actuelle ministre de la Transition écologique. À ce jour, il n’y a pas de nouveau chantier réglementaire en cours. »
Plutôt que de renforcer la législation française, « le ministère est mobilisé en priorité pour que cette interdiction soit désormais étendue au niveau européen », assure l’hôtel de Roquelaure, car « seule une action à l’échelle communautaire est de nature à réellement progresser sur le sujet ». Une manière d’enterrer les promesses françaises en rejetant la responsabilité future sur l’Europe.
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Source: https://reporterre.net/Un-pesticide-interdit-decouvert-chez-Basf-embarrasse-le-ministere
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