Cancer, asbestose, silicose… Face à l’État, l’ultime bataille des mineurs de fond pour la reconnaissance d’une faute inexcusable (H.fr-27/06/25)

Exposés au charbon, à l’amiante et à la silice, les mineurs développent 40 fois plus de cancers du rein.
© Daniel O/Archives de Mineurs

Si la dernière mine de charbon a fermé en 2004 dans l’Hexagone, 75 000 anciens ouvriers des mines restent pris en charge par leur caisse de régime social. Un collectif de syndicats et d’associations des victimes de maladies professionnelles se bat pour la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, l’État.

Par Naïm SAKHI.

Freyming-Merlebach (Moselle), envoyé spécial.

Dans le local du syndicat des mineurs CFDT de Freyming-Merlebach (Moselle), Ernest reprend son souffle. « Parfois, en parlant, je n’arrive plus à respirer. Alors je m’énerve. Et en retour, c’est ma femme qui s’agace et tout mon entourage pâtit indirectement de mon état de santé. » Sur les murs, un appel unitaire est visible : « Reconnaissance des expositions de tous les anciens salariés de la corporation minière à l’amiante, à la silice cristalline et à d’autres substances. »

Main droite sur la bouche, pour un exercice sur sa respiration entre deux blocs de phrase, l’ex-mineur de fond de 74 ans, poursuit : « Je ne vis plus sans avoir ma Ventoline à proximité. Avec mes petits-enfants ? Deux petits coups dans un ballon et je m’arrête. Et surtout, la nuit, à cause de la désaturation, je dors avec un masque pour respirer suffisamment d’oxygène. »

À Freyming-Merlebach, le souvenir de l’exploitation des mines de houille est encore palpable. L’ancien siège des Houillères du bassin de Lorraine (HBL) et ses douze étages surplombent encore la commune. Le 20 septembre 2003, les quatre dernières berlines de charbon étaient symboliquement remontées du fond de la mine. Vingt-deux ans plus tard, les corps des anciens ouvriers subissent encore les conséquences de l’exploitation de l’or noir.

Chez ces ex-mineurs, les maladies se conjuguent au pluriel

Ce mardi de juin, sous le soleil lorrain, le local syndical tient permanence. Dans le bureau dédié aux contentieux, plus de 2000 dossiers sont « ouverts ». Soit pour une demande de reconnaissance de maladies professionnelles. Soit pour obtenir reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, l’État, propriétaire des ex-sociétés minières, Charbonnages de France, depuis la Libération. En Lorraine, l’entreprise a exploité le minerai, parfois à plus de mille mètres de fond.

Chez ces ex-mineurs, les maladies se conjuguent au pluriel. Ernest a passé trente ans « au fond », c’est-à-dire dans la mine. D’abord à l’avancement, pour dynamiter les blocs de pierre et de charbon. Puis au quartier charbon, pour extraire le minerai. Avant de monter en galon, comme chef de taille puis de compagnie. « En plus du charbon, nous avons été exposés à l’amiante, présente dans les freins des machines, aux résines pour maintenir les renforcements en grillages dans la mine et aux huiles en tout genre pour les machines. Nos pieds pataugeaient dans ce mélange. »

Trois maladies professionnelles lui ont été reconnues : l’asbestose, provoquée par l’amiante, la silicose, une maladie pulmonaire imputable aux fines particules de poussière de silice, et un cancer de la vessie. Mais, pour cette dernière, la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) se refuse de reconnaître la faute inexcusable de l’employeur. « Les conditions constitutives ne sont pas réunies », lui écrivait la caisse dans une lettre de 2019. Comme pour tant d’autres, la bataille a pris un tournant judiciaire.

À Freyming-Merlebach, en Moselle, le souvenir de l’exploitation des mines de houille est encore palpable.© Jérémy BAUMERT/REA

« Les risques d’exposition au charbon et à la silice cristalline sont reconnus depuis trente-deux ans par la médecine du travail, mais l’État refuse d’assumer ses responsabilités et conteste en justice les demandes pour fautes inexcusables de l’employeur, tance François Dosso (CFDT). C’est à se demander si l’État ne mise pas sur le temps qui passe pour clore les contentieux sur les maladies professionnelles des mineurs. » Le 16 avril dernier, un large collectif rassemblant l’ensemble des fédérations syndicales minières (CGT, CFDT, CFTC, FO et CFE-CGC) ainsi que des associations de victimes au travail (Andeva, Cavam, Fnath…) se fendait d’une lettre au ministre de l’Économie, Éric Lombard.

« Les chiffres récents que nous avons pu obtenir par les organismes de la Sécurité sociale font état d’un surrisque très important pour les anciens mineurs : 94 fois plus de maladies provoquées par la silice cristalline, 15 fois plus pour l’amiante, 39 fois plus de cancers de la peau et 40 fois plus de cancers du rein », peut-on lire dans la missive.

Des données évaluées entre 2017 et 2023, que les syndicats ont arrachées auprès du conseil d’administration de la caisse des mines… pour la première fois depuis la Libération. Au total, 75 000 anciens ouvriers restent pris en charge par leur caisse de régime social. « La reconnaissance des nuisances que nous avons subies devient délicate. La moyenne d’âge des ex-mineurs est de 80 ans et les mines sont aujourd’hui fermées, si bien que des familles sont parfois obligées de poursuivre le combat », mesure Richard Caudy, de la CGT.

Une situation de blocage qui fait enrager Freddy Maugiron, ancien électromécanicien et délégué CGT détaché à la sécurité des mines : « Quand un mineur de fond veut obtenir la faute inexcusable de l’employeur dans une maladie professionnelle reconnue, on nous parle de susceptibilité d’être exposé et non d’exposition. »

Permanence pour anciens mineurs de fond au siège de la CFDT de Freyming-Merlebach.
©️ Jérémy BAUMERT/REA

« Nous avons porté l’économie française en respirant des poussières »

Le cégétiste dénonce une véritable « omerta », alors que « la médecine du travail a couvert les expositions des risques ». « Il n’y a pas de preuve de contamination car dans les archives, on ne retrouve pas les traces de fiches de poste, tout simplement parce qu’elles n’existaient pas. Les dossiers médicaux ne sont pas archivés, les attestations d’exposition n’ont pas été faites par les médecins. Cela permet à l’État de contester les demandes de faute inexcusable », poursuit-il.

Pour pallier ces manques, la fédération FNME CGT a bâti un livre (Re) connaissance des risques cancérogènes au travail dans les mines (Arcane 17), pour reconstituer les fiches de poste, en guise de suivi professionnel. « J’ai découvert une catastrophe sanitaire. Les conditions de travail conjuguaient exposition à des cancérogènes et conditions favorables à leurs proliférations. Je pense à la chaleur qui provoque une dilatation des bronches, ce qui peut favoriser l’entrée des toxiques dans le système respiratoire », insiste le docteur du travail Alain Carré, coordinateur de l’ouvrage.

Lillo, 67 ans, était « riper piles » : « On intervenait une fois que la haveuse, la machine qui récupérait le charbon, était passée, pour solidifier les toits, en les reboisant avec des grillages apposés par des piles de vérins hydrauliques. » En plus des plaques pleurales dans ses poumons et de la silicose, le retraité souffre d’un cancer de la peau. « C’est apparu plus de dix ans après mon départ en retraite. Des boutons cutanés sont apparus sur mon épaule et dans mon dos. C’est le dermatologue qui a fait le lien avec les expositions subies au travail », confesse Lillo.

Ancien bâtiment minier à Freyming-Merlebach. Dans cette ville de Moselle, les dernières berlines de charbon ont été remontées du fond de la mine en 2003.
Jérémy BAUMERT/REA

Les masques de protection ? « On en avait un par jour. Mais au bout d’une demi-heure, impossible de respirer. On secouait nos masques tant bien que mal avant de les remettre. » Le dossier pour son cancer de la peau a subi quatre renvois pour vice de forme depuis 2019, date à laquelle il s’est lancé dans une bataille judiciaire pour obtenir la faute inexcusable de l’employeur. « Les dossiers ne sont jamais assez précis. J’ai surtout l’impression qu’on nous prend pour des imbéciles. Nous avons porté l’économie française en respirant des poussières, en subissant les bruits et la soif. Où est la reconnaissance ? », s’emporte Lillo, désormais dépressif et obligé d’être suivi par un psychiatre.

Alois, 66 ans, a lui les yeux rivés sur sa main droite. « Au début, une forme de verrue est apparue. Puis au bout de quinze jours, c’était un vrai champignon noir ». Le verdict est formel : cancer de la peau. « J’ai tout de suite fait le rapprochement avec les huiles présentes dans les houilles. Nos gants en étaient imbibés. Parfois à cause de la chaleur, on se retrouvait en sous-vêtements, et toutes les vingt minutes, on vidait nos bottes humides à cause de la chaleur. » Déterminé, Alois entend obtenir réparation : « C’est une question de dignité et je serai mieux indemnisé, mais l’inquiétude reste. La première chose que je fais le matin est un contrôle général de l’état de ma peau. »

« Les délais peuvent aller jusqu’à douze ans, ce qui décourage des gars d’aller en justice »

François Dosso, le syndicaliste CFDT, entré à la mine en 1968, récite les procédures. « L’enjeu est de démontrer qu’un mineur remplit les conditions administratives pour justifier son exposition. S’agissant de la silice cristalline, la durée doit être de cinq ans, avec une cessation d’expositions de moins de trente-cinq ans avant la détection de la maladie. » C’est ensuite qu’intervient le blocage : « L’État reprend les discours de nos pires DRH, affirmant que les salariés dans les installations de surface ne sont pas exposés à la silice cristalline. Et que ceux du fond, en dehors de la maintenance, n’ont pas été exposés à l’amiante. Ce qui est faux. »

Dans la constitution des dossiers, l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) réclame aux ex-mineurs de fournir des relevés de carrière des victimes et de ses témoins, plus de vingt ans après la fermeture des puits. « Entre-temps, des collègues ont déménagé, sont décédés, ou ont été perdus de vue… C’est très compliqué », mesure Alois.

Ce qui permet aux avocats de l’État de s’engouffrer dans les brèches des dossiers, espérant ainsi éviter de payer des indemnisations. « Ces avocats nous demandent de fournir les relevés de carrière des victimes et de ses témoins, pour corroborer les accusations. Or, ces documents sont en possession de l’ANGDM, c’est-à-dire l’État lui-même », souligne François Dosso.

Les mineurs, qui passaient la journée au fond, repas compris, ne disposaient que d’un masque de protection par jour, rapidement inutilisable en raison des nombreuses poussières.
© Daniel O/Archives de Mineurs

Selon les décomptes du cédétiste, sur les 850 dossiers pour faute inexcusable de l’employeur auprès de la cour d’appel de Metz, les trois quarts proviendraient des ex-mines de Lorraine. « Les délais peuvent aller jusqu’à douze ans. Ce qui décourage des gars d’aller en justice, assure François Dosso. Mais à l’arrivée, il gagne, lui ou ses ayants droit. Au prix d’un gaspillage de temps et d’une grande souffrance. »

Impliqué dans le collectif, Raphaël Lenoir, de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath), assure que « ces travailleurs retraités sont en détresse totale et subissent une double peine : leur santé est détruite par le travail avec des pathologies les condamnant et sans reconnaissance de la responsabilité de l’État, malgré les preuves et la connaissance scientifique ». Des victoires restent cependant possibles. En 2021, la cour d’appel de Douai avait reconnu le préjudice d’anxiété pour 726 anciens mineurs de Lorraine, leur octroyant 10 000 euros chacun pour avoir été exposés à des produits dangereux.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/cgt-mines-energie/cancer-asbestose-silicose-face-a-letat-lultime-bataille-des-mineurs-de-fond-pour-la-reconnaissance-dune-faute-inexcusable

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/cancer-asbestose-silicose-face-a-letat-lultime-bataille-des-mineurs-de-fond-pour-la-reconnaissance-dune-faute-inexcusable-h-fr-27-06-25/

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