Majed Nehmé : « Si les Israéliens veulent vivre en sécurité, ils doivent respecter le droit international. Ils n’ont pas d’autres solutions » (Investig’Action – 27/06/25)

Par Grégoire Lalieu

Après la Palestine, le Liban et le Yémen, Israël a ouvert un nouveau front en Iran. Mais la guerre a tourné court. Quels sont les objectifs de Benyamin Netanyahou ? Comment analyser les circonvolutions de Donald Trump ? Quelles conséquences pour l’Iran ? Politologue et rédacteur en chef du magazine Afrique-Asie, Majed Nehmé analyse les enjeux de cette guerre des 12 jours.

Pourquoi Israël a-t-il mené cette offensive contre l’Iran maintenant ?

Cette histoire de bombe nucléaire est un prétexte. Depuis une trentaine d’années, la clique de Netanyahou prétend que l’Iran est sur le point de développer l’arme nucléaire. En réalité, les motivations sont d’abord internes à Israël. Et pour les comprendre, il faut remonter un peu dans l’Histoire.

Les accords d’Oslo de 1993 conclus entre Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, et Yasser Arafat, chef de l’OLP, prévoyaient notamment la création d’un État palestinien. Alors président du Likoud dans l’opposition, Benyamin Netanyahou y était fermement opposé. Il accusait Yitzhak Rabin d’avoir accordé des concessions excessives aux Palestiniens qui mettraient en péril la sécurité d’Israël. Dans des rassemblements du Likoud, Rabin était régulièrement comparé à un nazi.

Finalement, Yitzhak Rabin a été assassiné en 1995 et la création d’un État palestinien a valsé au placard…

Oui, et depuis, Israël a tout fait pour empêcher la création de cet État palestinien. En 2019, Benyamin Netanyahou a même déclaré ouvertement que toute personne qui défendait réellement les intérêts israéliens devait empêcher l’avènement de cet État à tout prix, car cela impliquerait la fin du projet sioniste. Pour y arriver, Netanyahou a instrumentalisé la menace terroriste ainsi que la menace existentielle que représenterait le nucléaire iranien.

Ça a plutôt bien fonctionné jusqu’à maintenant, non ?

Pas vraiment depuis le 7 octobre. Israël voulait entretenir indéfiniment la division au sein des Palestiniens et  maintenir Gaza comme une prison à ciel ouvert. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a vu d’un bon œil le développement du Hamas comme un mouvement caritatif et politique indépendant de l’OLP. Ces divisions devaient empêcher la création d’un État palestinien. Mais le Hamas est devenu un véritable mouvement de résistance, et la logique israélienne a volé en éclats avec le 7 octobre. Depuis deux ans, Israël mène une guerre qui lui coûte cher à tous les niveaux, sans parvenir à liquider le Hamas.

De même, Netanyahou s’est attaqué à d’autres acteurs de la région. Ceux qu’il considère les « supplétifs » iraniens dans le dénommé « Axe du Mal ». Israël a liquidé des cadres du Hezbollah, dont le leader Hassan Nasrallah. Mais il a dû accepter un cessez-le-feu qu’il viole tous les jours avec la bénédiction des Etats-Unis. En Syrie, il a soutenu le renversement du gouvernement pour voir le chef d’une organisation terroriste prendre le pouvoir. Mais c’est le chaos dans le pays. Quant aux Houthis du Yémen, Trump avait annoncé qu’ils étaient vaincus. Puis il a dû négocier un accord de non-agression avec eux pour sécuriser le trafic en mer Rouge. Netanyahou voulait poursuivre avec l’Iran, mais la guerre a tourné court. En réalité, Israël voulait en découdre avec tous ces acteurs régionaux pour accomplir sa politique d’expansion – politique dont Netanyahou ne se cache pas, il avait présenté aux Nations unies sa carte du Moyen-Orient remodelé. Mais au-delà de victoires tactiques, Israël est incapable de liquider la résistance à ses ambitions coloniales.

Et les États-Unis dans tout ça ? On a l’impression que Donald Trump ne voulait pas se laisser embarquer dans une guerre contre l’Iran. Après des frappes manifestement sans grands effets sur les installations nucléaires iraniennes, il a laissé Téhéran riposter contre une base militaire US au Qatar que les soldats avaient désertée, parce qu’ils avaient été prévenus. Le président Trump a ensuite imposé un cessez-le-feu à Israël…

Dans cette administration bizarre, on trouve de tout. Il y a les tenants du mouvement MAGA de Donald Trump, mais aussi des néoconservateurs qui comptent parmi les sionistes les plus acharnés. Et cela crée des divisions internes. Or, paradoxalement, on a vu des néoconservateurs de l’équipe Trump s’opposer à l’aventure contre l’Iran : le vice-président J.D. Vance ou le Secrétaire d’État Marco Rubio notamment.

En fait, c’est la résistance acharnée de l’Iran qui a changé la donne. Israël pensait que l’assassinat de scientifiques iraniens et de responsables militaires allait mettre la République islamique à genoux. Et il voulait embarquer les États-Unis pour détruire ces sites nucléaires qu’il n’avait pas la capacité d’annihiler. Mais la riposte iranienne a montré que le dôme de fer israélien n’était pas invincible. Et elle risquait d’embarquer Trump dans une longue guerre dont il ne veut pas. Sa base électorale au sein du mouvement MAGA est opposée à ce type de conflit. Et d’après les sondages US, cette opposition est même très répandue au sein de la population des États-Unis. L’équipe Trump a donc organisé cette mise en scène – frappe des installations iraniennes, riposte de Téhéran, cessez-le-feu – pour sortir de l’impasse dans laquelle Israël voulait la mener.

Quelles seront les conséquences de cette intervention pour l’Iran ?

Ceux qui attendaient la chute du régime vont devoir constater que l’Iran sort renforcé, même s’il a subi des dégâts. Non seulement la République islamique a démontré qu’elle était solide, mais l’agression israélienne a aussi fait jaillir une forme de solidarité dans toutes les couches de la population iranienne. Y compris parmi une partie importante de l’opposition à l’étranger. Un symbole révélateur : on a pu voir une artiste iranienne, basée au Canada et opposée au régime, chanter l’hymne national de la République islamique par solidarité. Les puissances occidentales voudraient instrumentaliser l’opposition à l’étranger. Mais cette guerre a montré que la grande majorité des militants anti-régime ne sont pas pro-israéliens ou pro-étasuniens ; ils sont pour l’indépendance et l’intégrité de l’Iran.

Par ailleurs, l’échec de l’offensive israélienne contre Téhéran a mis les négociateurs iraniens en position de force. Les États-Unis ne pourront plus exiger la fin du programme nucléaire civil et devront respecter le droit de l’Iran à développer ce type d’énergie. Rappelons que ce programme nucléaire ne date pas de la République islamique. Il avait commencé du temps du Shah, avec le soutien des Occidentaux. Et à l’époque, le programme avait également une vocation militaire. Après le renversement du Shah et l’instauration de la République islamique, le Guide suprême, l’ayatollah Khamenei avait prononcé une fatwa interdisant le développement de la bombe atomique. Ce qui n’a pas empêché Israël et ses partisans de toujours accuser l’Iran de chercher à se procurer l’arme nucléaire. Cette histoire rappelle celle des armes de destruction massive, inexistantes, qui ont servi de prétexte à l’invasion US de l’Irak en 2003. 

Et pour Netanyahou ? Le début de la fin ?

Toute l’attention était fixée sur l’Iran, mais la guerre continue à Gaza. La pseudo-fondation humanitaire est un piège mortel. Chaque jour, des dizaines de Palestiniens affamés sont massacrés. Et personne ne lève le petit doigt. Mais Israël n’est pas capable d’atteindre ses objectifs. À Gaza, comme ailleurs dans la région.

Netanyahou sera certainement poursuivi pour ses scandales de corruption en Israël. Peut-être aussi pour ses crimes à l’international. Il ne peut pas continuer la guerre indéfiniment, il finira par être éjecté. Tout cela démontre l’échec du projet messianique du Grand Israël. Si les Israéliens veulent en sécurité, ils doivent respecter le droit international. Ils n’ont pas d’autres solutions. Ils doivent se retirer des territoires occupés et accepter la création d’un État palestinien. Mais cela ne peut pas se faire avec un gouvernement d’extrémistes comme celui de Netanyahou.


Source: https://investigaction.net/majed-nehme-si-les-israeliens-veulent-vivre-en-securite-ils-doivent-respecter-le-droit-international-ils-nont-pas-dautres-solutions/

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/majed-nehme-si-les-israeliens-veulent-vivre-en-securite-ils-doivent-respecter-le-droit-international-ils-nont-pas-dautres-solutions-investigaction/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *