
Des paysans, militants écologistes et collectifs de défense de l’eau ont bloqué l’usine de pesticides Phyteurop, dans le Maine-et-Loire, vendredi 27 juin. Ils dénoncent la « bombe à retardement » que représente ce site.
Par Léa GUEDJ.
Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), reportage
« Loi Duplomb, des pesticides dans nos champs, des cancers dans nos sangs ». C’est derrière cette banderole que se sont rassemblés environ 150 paysans de la Confédération paysanne, militants des Soulèvements de la Terre, d’Extinction Rebellion et de collectifs de défense de l’eau comme Eau Secours 44, vendredi 27 juin au matin. Ils ont bloqué pendant cinq heures le site agrochimique de l’entreprise Phyteurop Industry, à Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire.
L’objectif était de braquer les projecteurs sur cette filiale du groupe coopératif agricole InVivo, qui produit des pesticides depuis plus de cinquante ans dans cette usine, en amont de l’examen en commission mixte paritaire de la Loi Duplomb, qui vise à réintroduire à titre dérogatoire certains pesticides néonicotinoïdes, à partir de lundi 30 juin.
« C’est une société opaque »
« C’est une bombe à retardement, cette usine », soupire Jean-Louis, éleveur et viticulteur bio, dont l’exploitation se trouve à 2 km du site. Au sein du Collectif d’actions citoyennes de Montreuil-Bellay, il tente depuis des années de suivre les activités de Phyteurop : « C’est une société opaque, et cette manifestation permet de la sortir de l’anonymat aux yeux du grand public ». Que produit Phyteurop ? Impossible de le savoir exactement. La liste de ses produits n’est plus accessible sur son site.
Les militants ont franchi les barrières aux alentours de 8 heures, installé des palettes et débuté une occupation, tandis que six tracteurs se positionnaient devant les barrières pour bloquer toute entrée ou sortie de l’usine classée Seveso seuil haut. Au volant de l’un d’entre eux, Enzo, 27 ans, éleveur de vaches laitières qui cultive aussi des pommes dans le Maine-et-Loire. « Je suis issu d’une famille d’agriculteurs, mes grands-parents sont morts de cancers », raconte le paysan. De nombreux agriculteurs, pour la plupart membres de la Confédération paysanne du Maine-et-Loire et des Deux-Sèvres, ont fait le déplacement.
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L’alarme s’est déclenchée dès leur arrivée et l’activité de l’usine a été mise à l’arrêt. « C’est chargé d’émotion d’être ici », soupire Etienne, derrière une banderole « Tueurs de paysans ». Ancien producteur de lait bio dans le Maine-et-Loire, il tenait à venir « à la source du problème ». Il avait repris l’exploitation de son père, frappé successivement par trois affections, reconnues comme des maladies professionnelles agricoles liées à l’usage des pesticides : le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson, puis une tumeur au cerveau. « Tout le monde dans le milieu agricole a peur de mourir d’un cancer », dit-il.
20 000 tonnes de produits chaque année
« On cible le lobby de l’agroindustrie, plutôt que les agriculteurs, qui sont en réalité victimes du système. Ils ne mettent pas des pesticides par plaisir, mais parce qu’ils sont en concurrence sur le marché international, qui force à l’usage des pesticides pour sortir une production à un coût compétitif », insiste Thomas Gibert, porte-parole national de la Confédération paysanne.
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Selon le directeur de l’usine, Martin Dellamaggiore, interrogé en 2019 par Ouest-France, 20 000 tonnes de produits en sortent chaque année, dont une trentaine d’herbicides (dont cinq à base de glyphosate), une soixantaine de fongicides (contre les champignons) et un insecticide.

Des salariés ont accepté d’accompagner des militants en déambulation sur le site, à proximité de bidons contenant des produits, recouverts pour la plupart de pictogrammes alertant sur leur caractère inflammable ou dangereux pour l’environnement. Sur place, des bidons portent encore des étiquettes indiquant « eaux à base de glyphosate, à incinérer ». Au milieu de ces stocks, une odeur prend aux narines et à la gorge. « Ce sont les solvants, des sous-produits du pétrole, c’est la base de certains produits », indique un salarié, qui précise que l’entreprise est sous-traitante pour des géants des phytosanitaires, comme Syngenta, Bayer et ISK Biocides.
« Des pollutions invisibles, diffuses, mais bien réelles »
Le directeur adjoint de l’usine, Gilles Piaumier, présent sur site, a refusé de répondre à nos questions, que nous lui avons aussi adressées dans un courriel, également resté sans réponse.
« Je m’adresse à votre entreprise », a lancé, en le regardant, Flora, venue de La Rochelle pour porter la parole des familles de l’association Avenir Santé Environnement, qui se mobilisent pour éclaircir les liens entre un cluster de cancers pédiatriques et les pesticides. « Parmi toutes les menaces environnementales, les pollutions agricoles figurent parmi les plus préoccupantes, parce qu’elles sont invisibles, diffuses, mais bien réelles. Désormais, nul ne pourra dire qu’il ne savait pas », assène-t-elle.
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Phyteurop est membre de l’ex-Union de l’industrie de la protection des plantes (UIPP), rebaptisée Phyteis en 2022, qui a déposé un recours, rejeté le 5 juin par le Conseil d’État, contre l’interdiction de trois substances relevant de la famille des néonicotinoïdes, en particulier l’insecticide acétamipride, banni depuis 2020, mais que la loi Duplomb souhaite réautoriser.
En 2018, Phyteurop faisait déjà partie des entreprises de l’agrochimie qui ont mené un lobbying intense contre un article de la loi Egalim qui prévoyait d’interdire la production et l’export de produits phytosanitaires contenant des substances actives non-autorisées en Union européenne, en raison de leur toxicité.
Le directeur du site Phyteurop de Montreuil-Bellay y était même allé de son propre courrier, selon Le Monde. Il n’a finalement pas obtenu gain de cause. Mais pendant des années, l’usine a donc produit et exporté des produits phytosanitaires interdits dans l’Union européenne. Depuis, ce ne serait plus le cas, selon les déclarations du directeur du site, qui affirmait en 2019 à Ouest-France : « Nous respectons la loi. Nous avons arrêté leur production et leur commercialisation ». Impossible, néanmoins, de le vérifier. Ces substances bannies sont toujours produites et exportées par d’autres acteurs du secteur depuis la France, certaines ont été retrouvées chez le géant de l’agrochimie BASF.
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