
Les salariés dunkerquois du géant de l’aciérie ont manifesté sur les 500 derniers mètres de la troisième journée du Tour de France avant de monter sur le podium. Une caisse de résonance idéale pour mettre en lumière leur lutte, alors que la société compte supprimer 600 emplois en France.
Par Marie TOULGOAT.
Dunkerque (Nord), envoyée spéciale.
Voilà une course qui ne nécessitera pas de photo-finish pour connaître le vainqueur. À Dunkerque (Nord), ville d’arrivée de la troisième étape du Tour de France 2025, ce n’est ni Mathieu van der Poel, champion de la veille, ni Tadej Pogacar, grand favori de la reine des compétitions cyclistes, mais bien la CGT qui a fini la course en tête.
Devant les spectateurs massés derrière les barrières attendant que les premiers coureurs déboulent à toute allure dans la ville portuaire du Nord, c’est un cortège de salariés de l’aciérie ArcelorMittal qui a ouvert le peloton, accompagné par Sophie Binet.
Le Tour de France, une tribune pour les salariés d’ArcelorMittal
Alors que les salariés se battent contre le plan de licenciement (636 emplois vont être supprimés dans les sites français) que veut leur imposer leur employeur, les syndicalistes dunkerquois ont profité de l’événement sportif hors norme pour offrir une tribune à leur lutte.
« On veut avertir et faire de la pédagogie. Si ArcelorMittal venait à fermer, je doute sérieusement que Dunkerque serait capable de financer et d’accueillir de nouvelles étapes du Tour de France à l’avenir », prévient Gaëtan Lecocq, délégué syndical CGT des hauts-fourneaux dunkerquois.
Le long des 500 derniers mètres de l’épreuve que parcourent les salariés du géant de l’acier, le public accepte avec le sourire les centaines de tee-shirts que leur tendent les manifestants, ajoutant ainsi aux casquettes jaunes, couleur du Tour, une touche de rouge, symbole d’une lutte que les salariés espèrent victorieuse.
Casquettes jaunes du Tour et tee-shirts rouges de la CGT
Finalement, la secrétaire générale de la CGT et une poignée de salariés montent sur le podium, quelques heures avant les sprinteurs. Les enceintes qui diffusaient jusqu’alors les commentaires sportifs laissent la place à Sophie Binet. « On a recensé en France plus de 400 plans de licenciements. Il n’y aura pas une seule étape du Tour de France épargnée par ces suppressions d’emplois », affirme la syndicaliste devant les centaines de personnes réunies à l’arrivée, sommant le gouvernement d’arrêter d’arroser ces sociétés d’aides publiques.
Si la manifestation prend des atours symboliques, l’objectif est bel et bien de maintenir la pression sur ArcelorMittal. Le 23 avril, ces professionnels de l’acier ont appris que 300 d’entre eux abonderont les rangs des licenciés d’ArcelorMittal.
La multinationale assure que c’est la concurrence déloyale de la Chine, qui inonde sans entrave les marchés de son acier peu cher, qui la force à compresser les effectifs. Elle semble se tourner vers ses installations moins coûteuses à exploiter, en Inde et au Brésil, quitte à se désengager peu à peu de ses usines européennes.
Aline, licenciée après vingt-trois ans de carrière
Feignant l’empathie, ArcelorMittal avait annoncé que la suppression de ces postes ne signifierait pas forcément suppressions d’emplois. Mais, dans le défilé, la réalité rattrape la communication.
« On nous parle de reclassements, mais il n’y a aucun poste disponible pour mes qualifications d’informaticienne. Si je n’accepte pas d’autres fonctions qui n’ont rien à voir avec mon métier, je vais recevoir ma lettre de licenciement en décembre prochain, après vingt-trois ans de carrière chez ArcelorMittal », témoigne Aline. « On va être virés comme des malheureux. L’année dernière, nos salaires n’ont pas été augmentés d’un centime, alors il ne faut pas compter sur eux pour nous verser des indemnités supralégales de licenciement », prédit-elle.
Comme elle, beaucoup d’employés du sidérurgiste peinent à rester optimistes quant au dénouement de ce plan social. Si l’entreprise n’a pas annoncé vouloir fermer l’ensemble de ses sites français, la stratégie du patron indien ne fait guère de doutes, et la funeste issue est sur toutes les lèvres.
« Les patrons ArcelorMittal France ne disent pas frontalement qu’ils veulent fermer, mais c’est ce qu’on peut comprendre quand ils arrêtent leurs investissements pour la décarbonation des usines », souffle Christophe Delhelle, technicien d’exploitation des fours.
«On sent qu’il y a eu un effet de sidération suite aux annonces »
Ce scénario s’est déjà produit fin juin en Allemagne, où la multinationale a annoncé renoncer à verser les 2,5 milliards d’euros essentiels à la transition énergétique de ses sites. « Trois de mes collègues, qui ne sont pourtant pas visés par le plan de licenciement, ont choisi de démissionner récemment. Ils ne voient plus aucun avenir dans cette boîte », continue le spécialiste des hauts-fourneaux.
Si le moral n’est pas toujours au beau fixe, les salariés d’ArcelorMittal peuvent heureusement compter sur le soutien des unions locales et départementales CGT de Dunkerque et du Nord. Celles-ci ont mis à leur disposition, en ce jour de Tour de France, la salle l’Avenir, repaire historique des dockers de la cité nordiste, où les métallos sont venus avec leur famille recharger leurs batteries militantes.
Autour des longues tables dressées pour l’occasion, une poignée d’enfants exhibe fièrement leurs chasubles CGT bien trop grandes, attendant avec hâte le début du défilé pour assurer leur rôle de porte-drapeau. Parmi les familles, des cheminots, des soignants ou encore des retraités sont venus souffler des mots de courage aux salariés en lutte.
« On sent qu’il y a eu un effet de sidération suite aux annonces. Mais ce que je constate en distribuant des tracts, c’est que la population du Dunkerquois est très intéressée et inquiète du destin d’ArcelorMittal », assure Sylvain Ravetta, docker retraité et militant de l’union locale CGT.
Nationaliser pour sauver les emplois ?
Pour cause, la disparition des hauts-fourneaux pourrait marquer la mort du plus important bastion industriel du bassin d’emploi. Sa veste de travail grise et orange sur le dos et son casque de sécurité vissé sur la tête, Gaëtan Lecocq abonde. « Si le site de Dunkerque tombe, celui de Mardyck va suivre, puis Versalis, puis tous les sous-traitants. Si on ne fait rien, d’ici à 2029, on n’aura plus de sidérurgie en France », alerte l’élu syndical.
Toutes les pistes d’espoir n’ont heureusement pas encore été épuisées. La nationalisation, assure la CGT, est la solution pour sauver l’aciérie de l’emprise de la famille Mittal. Encore faut-il de la volonté politique.
« On y travaille avec plusieurs partis politiques, de gauche comme de droite », se réjouit le technicien logistique. Les ArcelorMittal célébreront-ils leur victoire lors de l’édition 2026 du Tour de France ?
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