
Les chantres de la « dédiabolisation » l’assurent : le Rassemblement national aurait coupé les ponts avec les groupes dits d’ultradroite. Mais, à rebours du discours officiel, le parti de Marine Le Pen continue de maintenir des liens avec eux et va même jusqu’à puiser dans ce vivier de militants pour trouver des collaborateurs à ses députés.
Par Florent LE DU & Bruno RIETH.
C’est une surveillance classique qui va réserver quelques surprises. Le 14 décembre 2023, des agents de la direction nationale du renseignement territorial (DNRT) procèdent à une opération « d’identification de participants au rassemblement à l’initiative d’Auctorum en hommage à Thomas » à Versailles (Yvelines), selon une note que l’Humanité s’est procurée.
Un mois plus tôt, à Crépol (Drôme), le jeune homme était poignardé lors d’une rixe avec des jeunes des quartiers populaires de Romans-sur-Isère. Partis et mouvance d’« ultradroite » s’emparent de l’affaire pour dénoncer le « racisme anti-Blancs » qui se cacherait derrière ce meurtre – bien que les éléments de l’enquête contredisent cette thèse.
Des figures de la frange radicale du PSG au Collectif Némésis
Parmi la centaine de participants au rassemblement, organisé par Auctorum, un « groupuscule d’ultradroite versaillais », selon la terminologie du service de renseignement, les policiers notent la présence de membres de Jeunesse Boulogne – frange radicale des supporters du PSG –, des pétainistes du Renouveau français ou encore d’activistes du « groupuscule féministe identitaire Collectif Némésis », toujours selon la note.
Deux individus, qui pourraient être des anciens de la Division Martel, un groupe néonazi dissous en 2023, sont repérés. Plus surprenant, les policiers identifient aussi, photo à l’appui, enroulée dans une grande écharpe beige, Clotilde Guery, collaboratrice de Lisette Pollet, alors conseillère régionale de l’Auvergne-Rhône-Alpes et députée (Drôme) pour le Rassemblement national.
Auctorum est un groupe que la collaboratrice connaît bien, son frère« connu TAJ (le fichier du traitement des antécédents judiciaires – N.D.L.R.) pour une infraction en lien avec son activité militante », selon le renseignement territorial, en est l’un des membres.
Leur père est, lui, connu pour évoluer « au sein de l’ultra-droite pétainiste et de la sphère catholique traditionaliste », écrivent les agents. Ces liens avec l’extrême droite radicale n’empêcheront pas le RN de propulser quelques mois plus tard la jeune femme à la candidature dans la 15e circonscription de Paris en juin 2024.
À ce jour, elle fait toujours partie de l’équipe de la députée RN Lisette Pollet. Contactée par l’Humanité, l’élue nie en bloc, malgré les éléments de la note : « Ma collaboratrice n’a jamais fait partie de ce groupe, ni participé à aucune manifestation. »
Racisme, homophobie et néofascisme
Comme elle, ils sont plus d’une vingtaine de collaborateurs parlementaires du RN à avoir, depuis 2022, été épinglés dans la presse pour leurs propos ouvertement racistes et homophobes ou leur appartenance à des groupuscules fascisants. Certains en ont perdu leur poste.
En septembre dernier, un article de Libérationrévèle que Rafael Ferron, assistant parlementaire du député Philippe Schreck,est en réalité un militant néofasciste bien connu sous le nom de Raphaël Ayma. Soit le leader du groupuscule identitaire provençal Tenesoun, partie prenante du Comité du 9-Mai (C9M) qui, depuis trente ans, organise à Paris le rendez-vous annuel de tout ce que la France compte d’identitaires et de néonazis.
Figure de la mouvance au niveau national, il avait aussi pris la parole, en 2023, à une conférence de l’Association culturelle des amis de Léon Degrelle, ancien SS belge et l’un des principaux défenseurs du nazisme de l’après-guerre. Un tableau trop noir pour Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée nationale, qui a exigé de Philippe Schreck qu’il se sépare de Rafael Ferron.
Le député avait déjà dû remercier quelques mois plus tôt son ancienne collaboratrice Maylis de Cibon, figure du groupe fémonationaliste parisien Luminis, qui en avril diffusait des tracts « Français, bats-toi », illustrés d’un poignard ensanglanté. C’est également elle qui, en mai, a fait la demande d’autorisation à la préfecture pour la manifestation du C9M.
Des collaborateurs poussés vers la sortie après des révélations
Ces derniers mois, plusieurs autres collaborateurs radicaux ont dû quitter leurs postes, comme Ralph Atrach, militant de l’Action française, qui travaillait aux côtés du député des Bouches-du-Rhône Romain Tonussi ou, dans le même département, de Nina Azamberti et Clémence Le Saint, militantes de Némésis, proches de Tenesoun, un temps embauchées par le député (Bouches-du-Rhône) Romain Baudry comme assistantes parlementaires.
Capucine Colombo, qui travaillait pour trois députés du RN, avait démissionné en mars selon Mediapart, un mois après sa garde à vue et sa convocation au procès du groupe identitaire des Natifs pour une banderole raciste contre la chanteuse Aya Nakamura. Mais ces purges sont loin d’être la norme.
« Quand le stigmate est trop visible, ils se séparent. Le parti réagit et se protège, analyse la politologue Marion Jacquet-Vaillant à propos de Raphaël Ayma. Leur choix de travailler ou non avec certains membres de ces mouvements peut dépendre du stigmate publiquement attaché à eux. » Une dizaine de militants identitaires, anciens ou actuels, sont toujours collaborateurs parlementaires en juillet 2025, malgré des révélations datant de plusieurs mois.
Des profils issus de l’ultradroite toujours employés par le parti de Marine Le Pen
C’est le cas, pour les exemples les plus éloquents, d’André-Yves Beck, le cerveau des groupuscules néofascistes des années 1980-1990 Troisième Voie et Nouvelle Résistance. Également passé par Unité radicale, le mouvement auquel appartenait Maxime Brunerie, qui avait tenté d’assassiner Jacques Chirac en 2002, il est aujourd’hui collaborateur de la députée (Vaucluse) Bénédicte Auzanot.
Dans l’équipe de son collègue Laurent Jacobelli, on retrouve Bastien Holingue, ex-responsable de Génération identitaire Normandie. Il est en première ligne sur certaines actions du groupe, comme en 2020 devant la permanence de la députée macroniste d’origine sénégalaise Sira Sylla, brandissant une banderole « Pour aider l’Afrique : moins de défiscalisation, plus de remigration ».
Rémi Meurin, pilier du bar des identitaires lillois du groupe la Citadelle, ancien membre actif de Génération identitaire, deux organisations dissoutes, assiste Valérie Deloge au Parlement européen. Jordi Vives Carceller, ex-cadre de la Ligue du Midi, comme l’a révélé le site les Jours, travaille quant à lui pour Edwige Diaz. Confrontée, la députée de Gironde ne voit rien à y redire, estimant que cet engagement date de dix ans.
La liste montre que le Rassemblement national n’a pas coupé les ponts avec les groupuscules identitaires, contrairement au discours officiel de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, qui répètent à l’envi leur volonté de « dissoudre les groupes d’ultradroite ». La mouvance et le parti trouvent des intérêts réciproques à travailler ensemble.
RN et ultradroite partagent des intérêts communs
« On le voit localement, les groupuscules et les militants du RN font partie des mêmes écosystèmes, ils se côtoient, tractent parfois les uns pour les autres », explique le sociologue Samuel Bouron, auteur de Politiser la haine (la Dispute, 2025). « Le RN a aussi un intérêt à ce que les identitaires prospèrent et multiplient les actions pour porter dans l’espace médiatique les thématiques qui leur sont chères à tous, autour de l’islam et de l’immigration. »
Pendant la campagne des législatives, Raphaël Ayma, pas encore embauché comme assistant parlementaire, s’est fendu d’une « lettre ouverte à la mouvance militante identitaire », appelant à voter pour les candidats RN, une étape selon lui avant de pouvoir aller au-delà de la politique institutionnelle : « L’époque a une odeur d’essence, il manque le choc du briquet contre la pierre. »
D’autre part, ces groupes constituent un important vivier pour le parti lepéniste. Celui-ci est passé d’une trentaine de députés nationaux et européens, début 2022, à 143 aujourd’hui, en comptant l’UDR d’Éric Ciotti. Il a donc dû trouver en peu de temps près de 400 collaborateurs parlementaires.
« En 2022, le RN n’avait pas suffisamment de gens compétents pour devenir des collaborateurs sérieux. En face, ils ont vu des jeunes, sur leur ligne, avec une expérience militante et des compétences universitaires, explique Marion Jacquet-Vaillant. En ce sens, le syndicat la Cocarde étudiante a représenté pour le RN un vivier très intéressant. » Implantée dans de nombreuses universités françaises, la Cocarde leur offre un réseau d’étudiants, notamment en sciences politiques et en droit, sans l’odeur de soufre des groupuscules, alors que le syndicat entretient des liens avec certains d’entre eux.
Des bars identitaires aux Parlement européen
L’ex-président de la Cocarde, Vianney Vonderscher, assistant parlementaire de l’eurodéputé Jean-Paul Garraud, a, selon StreetPress, assisté en septembre 2023 à la conférence de rentrée de Luminis. Une vidéo le montre aussi avec son successeur Luc Lahalle – aujourd’hui collaborateur de la députée européenne Catherine Griset – s’amuser de saluts fascistes dans un bar italien.
Luc Lahalle a également été aperçu aux côtés d’Aloys Vujinovic, leader du groupuscule néofasciste violent les Zouaves, dissous en 2022. La proximité entre le RN et la Cocarde étudiante est ainsi un moyen pour Marine Le Pen de maintenir des liens avec l’extrême droite radicale et violente, tout en la gardant officiellement à distance.
Un double jeu qui l’avait poussée en 2012 à créer le Rassemblement bleu marine, permettant à une cinquantaine de militants identitaires d’être investis aux municipales de 2014 sans pour autant intégrer formellement le Front national. C’est dans ce contexte que Philippe Vardon, figure du Bloc identitaire, a été investi, avant d’intégrer le parti, qu’il quittera en 2022 pour rejoindre Reconquête.
Plus tard, Damien Rieu, cofondateur de Génération identitaire, a, comme Vardon, joué pour le RN les rabatteurs d’électeurs radicaux avant de filer chez Éric Zemmour. Enfin, le parti d’extrême droite maintient ses liens avec des identitaires sulfureux en les embauchant comme prestataires de services. Pendant très longtemps, il a ainsi travaillé avec les anciens chefs du GUD Frédéric Chatillon et Axel Loustau.
Des prestataires identitaires financés par l’argent du Parlement européen
Selon Mediapart, deux sociétés liées à ces amis de fac de Marine Le Pen, adeptes du coup de poing, ont touché plus de 3 millions d’euros de la part du groupe du RN au Parlement européen (Identité et démocratie), entre 2019 et 2023.
L’agence de communication e-Politic, dirigée par Frédéric Chatillon a aussi touché 520 000 euros pour la campagne numérique de Marine Le Pen en 2022. Si leur pedigree d’ex- « gudards » est célèbre, c’est leur soutien public à la manifestation du Comité du 9-Mai, en 2023, qui a provoqué la rupture.
Marine Le Pen déclarait alors dans le Monde que « les gens qui sont des prestataires ou l’ont été, et qui s’exposent dans des manifestations qui portent des idées radicalement différentes de celles du Rassemblement national, doivent s’attendre à en tirer les conséquences, du moins à ce que le RN en tire ». Une règle qui ne semble pas s’appliquer aux collaborateurs parlementaires.
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