
Près de Brest, des activistes ont installé une zad dans la nuit du 11 au 12 juillet pour s’opposer à la construction d’un stade de football. Ils espèrent être largement rejoints pour préserver cet écrin de verdure des bétonneurs.
Par Vincent LUCCHESE et Jean-Marie HEIDINGER (photographies).
Guipavas (Finistère), reportage
La longue banderole claque entre deux arbres. Elle célèbre le nouveau nom du lieu : « Maner CoZad ». Les militants installés dans les branches — les « écureuils » — finissent tout juste de la hisser. C’est le signal officiel : nous sommes en milieu d’après-midi, le 12 juillet 2025, et une nouvelle zad est inaugurée en Bretagne, aux abords de Brest.
Retranchés derrière des barricades de palettes, une vingtaine de zadistes célèbre discrètement cette première victoire. Peu après, un tracteur débarque sur la zone. Un paysan du coin, sympathisant de la lutte, dépose une citerne d’eau. L’occupation a vocation à durer.

La Maner CoZad, ou zad de Maner Coz, tire son nom du lieu-dit où elle est installée, sur la commune de Guipavas. Dix-huit hectares de terres agricoles et naturelles menacées de destruction par un projet de nouveau stade de foot, l’Arkéa Park, que veut construire le Stade brestois 29, club de Ligue 1, la première division du football français.
Une trame verte pour la faune
Un projet vivement contesté par les militants écologistes locaux. Sur un territoire déjà fortement artificialisé, à la limite de la zone commerciale du Froutven, ces terres verdoyantes constituent un refuge précieux pour la faune et la flore, pour l’eau et pour la qualité de vie des riverains.
De son côté, le porteur du projet se défend en disant que la surface de la zone à artificialiser a été largement réduite depuis les premiers plans. Il promet également que des nichoirs à hirondelles et chauve-souris, dont plusieurs espèces protégées ont été observées sur les lieux, seront installés dans une « zone sanctuarisée ».

L’artificialisation des terres et le coût climatique du projet pourraient cependant être intégralement évités en privilégiant la rénovation du stade existant situé dans le centre-ville de Brest, comme l’expliquait Reporterre en novembre dernier.
Mais pour Denis Le Saint, président du club et puissant industriel local, construire un nouveau stade serait beaucoup plus lucratif. Soutenu par François Cuillandre, le maire de Brest et président de Brest Métropole, il a obtenu du ministère des Sports que son projet soit reconnu d’intérêt général en février dernier. L’enquête publique est terminée. Le rendu de ses conclusions est imminent et pourrait signaler le lancement des travaux dans les prochains mois.

« On ne sait pas exactement quand débuteront les travaux mais ils pourraient commencer par détruire des arbres prochainement. On veut empêcher ça. Tenir, jusqu’à ce qu’on gagne les recours juridiques, ou jusqu’aux élections municipales, pour que cet enjeu soit au cœur des débats », nous dit Pierre [*], l’un des activistes.
« On va avoir besoin de relais »
Faire vivre la zad au long cours est un défi ambitieux. « On va avoir besoin de relais, on compte sur tous les collectifs militants bretons, sur les Brestois et les gens motivés au-delà pour nous rejoindre, un jour ou un mois, et pour soutenir financièrement et matériellement la lutte », appelle Camille [*]. Il est l’un des coordinateurs du collectif de citoyens anonymes ayant monté la zad, autodissout dans la foulée.

La première étape de ce plan a été un succès retentissant pour les militants. Dans la nuit de 11 au 12 juillet, la zad a poussé à la vitesse de l’éclair au milieu des broussailles, fruit d’un déploiement logistique et d’un savoir-faire particulièrement efficaces.
Nous les avons suivis au crépuscule, le 11 juillet, depuis la base arrière où furent données les instructions à la vingtaine de volontaires patiemment et prudemment cooptés au fil des derniers mois. Certains venaient de Brest, d’autres de Quimper ou encore de Paris.

Puis est venue la marche d’approche : mille méandres et détours dans les sous-bois et entre les sillons des champs, lampes frontales éteintes, parfois accroupis pour éviter les feux des véhicules de la route lointaine. La procession de silhouettes furtives, tendue vers sa mission, a été guidée par-dessus les grillages et fossés par ceux qui avaient repéré les lieux, bien épaulés par la lumière du ciel : la date avait été choisie en prévision de la pleine lune.
Écureuils expérimentés
Arrivés sur la zone à défendre, les arbres grouillaient déjà de militants-écureuils, bardés de dégaines et baudriers. Grimper et équiper les arbres en pleine nuit est un savoir-faire précieux ; certains écureuils sont venus équipés de l’expérience acquise et partagée depuis d’autres luttes.

Alignement des planètes : la nouvelle route, construite en prévision du futur stade et encore en travaux, a offert une voie déserte et discrète, parfaite pour accueillir le camion. À peine quelques coups de pioches furent nécessaires pour aplanir le chemin attenant, et le véhicule put décharger son matériel.
Un hurlement soudain depuis la route en direction du camion et des militants mit le groupe sur le qui-vive. Fausse alerte, juste un fêtard ivre, manifestement un peu perdu. Mais une piqûre de rappel pour redoubler de discrétion : à ce stade, la réussite de l’opération aurait pu basculer à tout moment.
Puis la zad s’est élevée : une centaine de palettes, préassemblées, vissées et articulées ces dernières semaines, n’ont plus eu qu’à être ajustées les unes aux autres. « J’ai la palette 4b, qui a la 4c ? » chuchote un zadiste bâtisseur.

Clouées aux tôles et aux bâches, renforcées par des piquets à l’arrières, les barricades ont pris forme en quelques heures. L’ensemble comble les trous dans le mur en ruine qui cercle la zad : les restes du vieux manoir — maner coz en breton — présent sur le terrain. Le temps de faire les photos, on ratait l’installation des toilettes sèches.
Bataille de l’opinion
Le camp retranché est impressionnant. Mais impressionnera-t-il les forces de police ? La zad gagnera-t-elle la sympathie de l’opinion locale ? Les questions n’ont pas encore de réponse sur les visages réjouis et fatigués, au lendemain de l’installation. Un gros enjeu pour les activistes sera aussi de ne pas se faire piéger par l’opposition entre écologie et football, quintessence du loisir populaire.

« Au contraire, c’est ce nouveau stade, avec des places plus chères, loin du centre, qui marquerait la fin du foot populaire brestois, dit Camille. C’est un projet dont les bénéfices seront privatisés alors qu’il coûtera au moins 30 millions d’euros d’argent public. On veut un club qui ne soit plus contrôlé par un oligarque local et que ces terres soient sanctuarisées. »
L’espoir des militants, c’est aussi que leur lutte déborde largement la Maner CoZad, « qu’elle soit la première pierre à l’arrêt de l’étalement urbain et à la préservation des terres agricoles pour nous nourrir ». La zad pourrait alors devenir un point névralgique, pour nourrir et catalyser les luttes de la région. Si elle tient. Et que les sympathisants bretons répondent à l’appel.

°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/reportage-tenir-jusqua-ce-quon-gagne-a-brest-une-zad-contre-le-futur-stade-de-football-reporterre-14-07-25/