Pierre-Édouard Stérin, saint patron de l’extrême droite française #45. Murmures de la cité à Moulins : l’Humanité a assisté au spectacle du mini-Puy du Fou, et c’est encore pire que prévu (H.fr-13/07/25)

À la fin de la représentation, le 11 juillet 2025, du spectacle pseudo-historique et ultra-identitaire Murmures de la cité, subventionné par les collectivités locales et Pierre-Edouard Stérin, sur le parvis du Centre national du costume et de la scène (CNCS) à Moulins (Allier). © Thomas Lemahieu

Mise en scène complaisante des symboles nazis, éviction pure et simple de la Révolution et même de la République dans l’Histoire de France, appels permanents à la « foi », aux « rois » et aux « empires » pour sauver le pays des envahisseurs… Les médias Bolloré et la fachosphère en auront fait des tonnes pour défendre la rengaine purement révisionniste, écrite par une petite équipe d’extrême droite radicale en Auvergne, qui se joue jusqu’à ce dimanche 13 juillet. Un projet monté, toute honte bue, avec des subventions publiques et l’aide de Pierre-Edouard Stérin, qui devrait désormais être discuté en connaissance de cause…

Par Thomas LEMAHIEU.

Moulins (Allier), envoyé spécial.

L’instant d’avant, il y avait encore les logos des partenaires en pagaille : Région, Département, Agglo, Ville et – comme chacun sait depuis qu’il fait scandale – Fonds du bien commun de Pierre-Edouard Stérin. Puis, sans transition, ce sont cinq immenses drapeaux nazis. Oui, oui : nazis. Rouges, frappés de croix gammées. Vendredi 11 juillet au soir, du toit au rez-de-chaussée, ces gigantesques oriflammes envahissent la façade du Centre national du costume et de la scène (CNCS), le grand musée public de Moulins (Allier).

La scène n’intervient pas dans une fugace ou anodine transition de Murmures de la cité, ce mini-Puy du Fou qui se tient en Auvergne trois soirs d’affilée jusqu’au dimanche 13 juillet ; c’est carrément l’ouverture d’un spectacle bien plus politique que culturel, foncièrement révisionniste et carrément anti-républicain. La séquence en elle-même dure près de cinq minutes… Un accident ? Sûrement pas, quand on veut bien se donner la peine de scruter la petite équipe aux manettes, émanant du groupuscule traditionaliste identitaire Sophia Polis dont l’écrivain fasciste et collabo Robert Brasillach reste une référence cardinale.

Le show démarre sur les chapeaux de roues, avec ces singuliers « murmures » sur les murs d’un établissement public. © Thomas Lemahieu

Bien au-delà du placement de produit subliminal, cette projection sur un édifice public français ressemble furieusement à un bras d’honneur, voire à un fantasme assouvi. Des têtes blondes aux tempes grises, le public sera cueilli à froid, mais pas de problème, apparemment : à présent que ça bouge enfin, avec du son et de la lumière, on ne va tout de même pas se plaindre que le show ne respecte pas la consigne sarcastique de Godard : « L’objectivité, c’est cinq minutes pour les Juifs et cinq minutes pour Hitler. » Les premiers étant complètement effacés, comme tant d’autres, dans cette affaire qui ne renverra même pas au roman national de la IIIe République mais plutôt à une romance nationaliste…

Rembobinons : cela fait une bonne heure qu’environ 600 spectateurs s’ennuient ferme en attendant le démarrage de la soirée. Ces deux amoureux ont, depuis un bon moment, fini leurs kebabs, en rigolant d’avoir entendu le service d’ordre interloqué devant leur outrage. « Ben oui, ce n’est pas du pâté-croûte, mais on est passés… »

Mais, à présent, dans la catégorie bronze (15 euros la place) comme en argent (25 euros), sur des chaises de chaque côté du parvis, et même aux premières loges, en or (40 euros), sur quelques gradins au centre, partout, la patience atteint ses limites.

Après avoir épuisé toutes leurs railleries contre « les écolos de merde qui ont dû encore trouver une chouette à trois pattes et demie pour casser les pieds », contre « Bidule (Emmanuel Macron, N.D.L.R.) qui va encore faire des annonces bidons le 14 juillet », contre le maire du village à qui il faudrait signaler quand on remplit sa piscine, deux couples de retraités maugréent en chœur : « Ils ne pourraient pas nous mettre un peu de musique ? »

« On est quand même dans un environnement particulier »

Heureusement, un abbé en robe de bure et col romain offre une distraction générale en fonçant vers les coulisses, escorté par un vigile. « C’est un figurant, ou un vrai ? », demande à la cantonade une dame. « Parce qu’aujourd’hui, il faut se méfier, on est quand même dans un environnement particulier avec les gens qui font ce spectacle », admet-elle, à mots couverts.

L’interminable parade des légionnaires romains, en attendant la tombée de la nuit. © Thomas Lemahieu

Plus personne ne regarde les légionnaires romains ou les hiérarques napoléoniens qui font les cent pas sur l’esplanade en attendant la tombée de la nuit. Tout juste un dignitaire en redingote hitlérienne, grommelant de l’allemand, recueille-t-il un « Guten Tag ». Pas grand monde n’écoute cette nonne à cornette qui, glisse-t-elle accoudée à une barrière, n’est arrivée « que lundi dernier » comme bénévole dans Murmures de la cité et s’enquiert de « la polémique » auprès du public. « J’ai entendu qu’il devait y avoir 1 200 spectateurs par soir, mais que la mairie a fixé la jauge à 6-700 », se lamente-t-elle.

En fin d’après-midi, sur la rive opposée, au cours d’un rassemblement unitaire contre Murmures sur la cité, une citoyenne qui a quitté le spectacle avant d’y figurer n’avait, elle, pas mâché ses mots : « Je me sens profondément trahie. Quand j’ai vu le site internet de Sophia Polis, j’ai été terrifiée, j’ai compris que beaucoup de bénévoles sont proches de Sophia Polis, et ceux qui, comme moi, venaient par plaisir, se faisaient avoir. Ils ont avancé masqués. »

Le 11 juillet 2025, quelques heures avant la première représentation à Moulins (Allier), près de 300 manifestants se sont rassemblés contre Murmures de la cité et, plus globalement, contre le monde de Pierre-Edouard Stérin. © Thomas Lemahieu

Retour au CNCS, avec un dernier supplice qui s’avance avant le calvaire suprême. C’est un présentateur qui invite à n’utiliser « ni flashs, ni pétards, ni armes à feu » quand Jeanne d’Arc sera sur son cheval. Et d’aligner, devant une assemblée de descendants ou sympathisants des Bourbon-Parme qui n’en croient pas leurs chastes oreilles, les blagues calamiteuses : flop sur flop avec « les belles vaches mais aussi les belles femmes » qu’on trouve dans l’Allier, les Toulousains qui « mettent leurs grosses saucisses dans le cassoulet », les gens du Nord « tous alcooliques », etc.

Malgré son échec sur toute la ligne à lancer la représentation à l’applaudimètre, tente encore de mobiliser les gamins : « Vous voulez voir des Gaulois ? » Oui, mollement. « Vous voulez voir des Gauloises ? » Oui, sans plus. « Vous voulez voir Mickey ? » Oui aussi pour les enfants, mais cette fois, les parents protestent…

De toute façon, le public prendra ce qu’on lui donne. Et comme le dit une voix off qui, pénétrée et lyrique, tombe sur la ville, ce qu’on leur propose, ici, de gober, c’est « un héritage riche et profond qui ne demande qu’à renaître, une mémoire endormie mais toujours vivante que Murmures de la cité va réveiller, une fresque où les gestes et les lumières nous livrent ce que nous avons de plus précieux ». Et là, pile derrière cet exorde donc : voici les nazis sur la plaine et leurs croix gammées sur la façade.

Au bout de quelques minutes, la bande-son court derrière l’image destinée à imprimer les esprits. « Pourquoi ils crient tout le temps, les Allemands ? », chuchote un gamin. Sa grand-mère répond : « Ils cherchent ceux qui refusent de baisser la tête, ceux qui gardent en eux la flamme de la liberté. » Le grand-père ajoute : « Cette flamme, mon garçon, les Allemands voudraient l’éteindre, mais tant qu’elle brille encore quelque part, elle peut rallumer un peuple. »

Des « résistants » à ne pas confondre avec la Résistance

Une fois que ces « Allemands » qui « crient tout le temps » auront été boutés hors du parvis par des bombardements et des jeeps, les aïeux continuent d’étaler leur sagesse ancestrale. « Mes chers enfants, la guerre, c’est terrible, mais ça n’est pas la première fois que notre terre connaît la douleur. En d’autres temps, des femmes, des hommes ont également souffert. Ils se sont relevés. » Et d’ajouter : ces gens, ce sont « des bâtisseurs, des rois, des résistants, mais cette histoire remonte très loin dans le temps, on va vous raconter. D’abord il y a les Gaulois… »

Et c’est parti pour la saga où les « résistants » – à ne pas confondre avec la Résistance qui, on le voit et on sait pourquoi, est complètement évincée – ont des visages bien précis et situés : Vercingétorix, Clovis, Saint-Louis, Jeanne d’Arc et une procession de saints ou de moines… Sur le terrain, devant les décors en 3D et sur fond de grandes pompes musicales, le spectacle s’avère plutôt pauvre et monotone : quelques cavaliers sur des chevaux et des figurants disséminés sur le parvis qui, pendant une heure et trente minutes, exécuteront grosso modo la même scène en changeant juste de costumes…

Le tout sous une pluie d’eau bénite : un coup, les bénévoles applaudissent une conversion ; un autre, ils s’agenouillent devant les seigneurs sur la terre comme aux cieux. Au cours de ce récit exalté, pas de dates, peu de faits mais beaucoup de symboles et d’emphase : dans toutes les séquences, il ne s’agit, au fond, que de « se relever » encore et toujours, sous la conduite de glorieux sauveurs qui, guidés par une « foi inébranlable », repoussent les assauts des étrangers.

Un bal sous le Second Empire, une période qui, nous dit-on, a été marquée par « son faste », mais pas par un coup d’État. © Thomas Lemahieu

Voici Vercingétorix qui exhorte : « Un seul peuple, un seul combat, la Gaule se lève et rien ne l’arrêtera. » Un Arverne emboîte le pas : « Tiens bon, mon frère, ils prendront nos vies mais jamais notre liberté. » Clovis rapplique fissa : « Nous ne sommes plus divisés, nous sommes unis sous un même dieu pour un même royaume. »

Les bénédictins de Cluny et de Souvigny traversent la cour sur fond de péroraisons psalmodiées : « Chaque pierre est un pas vers le ciel » ou « Celui qui bâtit dans la foi ne construit jamais seul ». Un pauvre diable ronchonne devant Saint-Louis avant de se reprendre : « Ah, encore des taxes à payer, mais nous avons la protection du Seigneur. » Vedette parmi les vedettes, Jeanne d’Arc se présente pour « rendre la France à elle-même ».

Les ellipses se multiplient, et la plus remarquable, sans doute, restera la Révolution. Une vraie prouesse par laquelle l’Ancien Régime se perpétue et, au passage, la guerre mondiale ne renvoie qu’à la première… « La France s’est affirmée comme une puissance incontournable, édicte le narrateur de Murmures de la cité. Les siècles qui suivent verront le pays vaciller entre gloire et déchirement : des champs de bataille de Napoléon aux révolutions qui secouent le trône, jusqu’à cette guerre mondiale qui marquera à jamais son peuple, la France est rentrée dans une ère de bouleversements sans précédent. Une nation en quête en résilience et d’unité. »

De Napoléon, dont le manifeste de Sophia Polis salue « le génie » qui « sauva notre pays de la disparition », Murmures de la cité veut bien nous dire qu’il a « marqué l’Histoire », et qu’il a « aussi laissé bien des blessures ». Mais foin de repentance, n’est-ce pas ? Sous le Second Empire, marqué par « son faste et sa volonté de moderniser la France » – là, des figurants se lancent dans un bal sous les lustres -, « Vichy est devenu une station thermale renommée ». Ce sera curieusement (non) la seule mention à la ville toute proche de Moulins : comme quoi, dans ses Murmures, la cité sait se montrer aphone.

Un symbole républicain s’est glissé dans cette séquence de Murmures de la cité, mais pas de panique, c’est le seul… © Thomas Lemahieu

La République, ça n’existe pas ; de manière on ne peut plus révélatrice, elle n’apparaîtra, dans Murmures de la cité, que sous ses initiales « RF » comme une armoirie cerclée de sa couronne de feuilles de chêne et de laurier. « Liberté, égalité, fraternité » ? Ils ne connaissent pas. La laïcité ? C’est une farce ? Le spectacle livre sa conclusion programmatique sur fond de Marseillaise et d’accordéon.

« Toujours la France a trouvé la force de se relever, portée par la foi de ses enfants, le courage de ses héros et la lumière de son histoire. La France demeure inébranlable, éternelle. » Et encore : « Ce que vous avez vu ce soir, ce ne sont pas seulement les batailles des rois et des empires, ce sont les échos d’un passé qui ne demande qu’à être entendu. »

Les applaudissements seront certes longs mais, disons-le, pas nourris du tout… C’est qu’il faut du temps pour vider l’esplanade de ses dizaines de bénévoles. Plus encore, quand le canasson de Jeanne d’Arc se cabre et proteste. Quoi qu’il soit, c’est fini : après des mois de camouflage et de diversion de ses promoteurs, l’essence et la nature de Murmures de la cité sont affichées. Chacun peut en débattre en connaissance de cause, puis choisir son camp. Et ça, c’est un dernier truc dont il n’aura jamais été question dans Murmures de la cité, ces jours-ci, à Moulins : la démocratie.

°°°

Source: https://www.humanite.fr/politique/extreme-droite/murmures-de-la-cite-a-moulins-lhumanite-a-assiste-au-spectacle-du-mini-puy-du-fou-et-cest-encore-pire-que-prevu

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/pierre-edouard-sterin-saint-patron-de-lextreme-droite-francaise-45-murmures-de-la-cite-a-moulins-lhumanite-a-assiste-au-spectacle-du-mini-puy-du-fou-et-cest-encor/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *