
Par Elias PESCHIER.
Lors de sa conférence pour présenter les pistes de son Gouvernement pour le Budget 2026, François Bayrou a annoncé la couleur : une saignée sociale généralisée. Au programme, notamment : suppression de 3 000 emplois publics, 5,3 milliards d’euros d’économies demandées aux collectivités territoriales, suppression de deux jours fériés, déremboursement de médicaments et mise en place d’une « année blanche » pour 2026 sur le barème des impôts, les prestations sociales et les pensions… Taxer les riches à hauteur de leur fortune gargantuesque ? Que nenni pour le Premier ministre. Ils produisent tellement d’emplois, vous comprenez… À la poubelle, donc, la taxe Zucman pour taxer les ultra-riches, défendue par 7 Prix Nobel d’économie et qui toucherait… 1 800 foyers fiscaux.
« Cette taxe vise juste à s’assurer que les milliardaires ne paient pas presque deux fois moins d’impôts que leur chauffeur » souligne l’économiste Gabriel Zucman, à propos de cette taxe éponyme, défendue par LFI et le reste de la gauche à l’Assemblée nationale. En clair, c’est un impôt plancher de 2 % sur les très grandes fortunes. Un outil concret pour réparer une fiscalité cassée par les cadeaux aux plus riches faits par Emmanuel Macron depis son arrivée à l’Élysée. Dans un pays où l’INSEE révèle que le taux de pauvreté atteint désormais 15,4 % de la population, son plus haut niveau depuis 1996, il est temps de restituer un peu de justice fiscale et sociale. Notre article.
Une taxe née d’un scandale fiscal français
Gabriel Zucman, économiste reconnu mondialement, démontre que « la France est un paradis fiscal pour les milliardaires ». Contrairement à l’idée reçue, les ultra-riches ne sont pas les plus imposés. Au contraire.
Comment ? En passant par ce qu’on appelle des holdings familiales : des sociétés-écrans qui reçoivent les dividendes, encaissent les plus-values, gèrent les portefeuilles financiers. Résultat : aucun revenu personnel déclaré, donc aucun impôt sur le revenu à payer.
Ces revenus ne sont pourtant pas fictifs : ils servent bel et bien. À acheter des yachts, des villas, des journaux. À investir. À financer des campagnes médiatiques. Bref, à faire tout ce qu’on fait quand on est milliardaire, sauf payer l’impôt. Ces sociétés « font écran » à l’impôt, comme le résume Gabriel Zucman. Le revenu existe, mais il est dissimulé derrière une structure juridique. Et c’est parfaitement légal en France.
Cependant, ce type de contournement n’existe pas aux États-Unis. Depuis les années 1930, les revenus perçus par une holding sont automatiquement considérés comme perçus par son propriétaire, et donc imposés à l’impôt sur le revenu.
Prenons l’exemple concret mis en lumière par Zucman : en 2024, Bernard Arnault a perçu environ 3 milliards d’euros de dividendes LVMH. Mais comme ces dividendes ont été versés à sa holding, ils n’ont pas été soumis à la flat tax de 30 %. Résultat : zéro euro d’impôt sur le revenu payé en France sur ces 3 milliards. Et s’il avait vécu à New York ? Ces 3 milliards auraient été immédiatement taxés à hauteur de 23,8 % par l’État fédéral, et 14,8 % par la ville de New York, soit 1,1 milliard d’euros d’impôt.
En clair : un Bernard Arnault américain paie. Un Bernard Arnault français passe entre les mailles du filet.
Ainsi, selon une étude de l’Institut des politiques publiques, le taux de prélèvement global (TVA, impôts, cotisations…) est de 52 % pour la majorité des Français, mais chute à 27 % pour les plus fortunés. Et encore : ce chiffre est surestimé, car il inclut l’impôt sur les sociétés payé par les entreprises, pas directement par les milliardaires eux-mêmes.
Ajoutez à cela des jets privés déclarés comme biens professionnels, et vous obtenez un système où les plus riches ne paient presque rien. La taxe Zucman est donc une réponse directe à cette injustice structurelle : imposer un plancher fiscal minimum aux fortunes supérieures à 100 millions d’euros. Si elles ont payé moins que 2 % de leur patrimoine net, elles paient la différence.
Pour aller plus loin : Désintox – « Taxer les riches est dangereux pour les finances publiques », vraiment ?
Une taxe juste, efficace et parfaitement faisable
Contrairement à ce qu’on entend souvent, la taxe Zucman est simple à mettre en œuvre. Elle ne concernerait qu’environ 1 800 foyers fiscaux, soit une poignée de très grandes fortunes. Son principe ? Instaurer un impôt plancher : un filet fiscal minimum pour éviter que certains milliardaires ne passent complètement entre les mailles du système.
Concrètement, cette taxe ne s’ajoute pas aux autres impôts. Elle agit comme un correcteur. Si un foyer fiscal dont le patrimoine net dépasse 100 millions d’euros n’a pas payé l’équivalent de 2 % de ce patrimoine via l’impôt sur le revenu, l’IFI, la CSG, la CRDS ou la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), alors il devra payer la différence.
Ce principe, loin d’être radical, fait largement consensus chez les économistes. Il permet de court-circuiter les techniques d’optimisation les plus sophistiquées, tout en respectant les grands principes d’équité fiscale. Et sur le plan juridique, la mesure est solide : sa conception évite tout risque de double imposition, un point essentiel face à un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel.
Une autre innovation majeure tient à l’assiette de cette taxe. Contrairement à l’IFI ou à feu l’ISF, la taxe Zucman inclut les biens professionnels dans le calcul du patrimoine. Et ce n’est pas un détail : chez les 380 plus grandes fortunes françaises, ces actifs représentent plus de 60 % de leur richesse totale.
Mais au fait, qu’est-ce qu’un bien professionnel ? Ce sont les actifs détenus dans le cadre d’une activité économique : actions dans une entreprise, parts sociales, titres d’une holding… Tant qu’ils sont considérés comme « professionnels », ils sont exonérés d’IFI et ne sont pas comptabilisés dans le patrimoine personnel. Résultat : un milliardaire peut détenir des dizaines de milliards d’euros via ses entreprises sans que cela ne déclenche le moindre impôt sur la fortune. La taxe Zucman referme cette brèche : elle prend en compte l’ensemble du patrimoine net, qu’il soit immobilier ou financier, personnel ou professionnel.
Les opposants agitent alors un autre chiffon rouge : celui de l’exil fiscal. Mais les faits les contredisent. Une étude menée en Suède et au Danemark montre qu’un impôt de 1 % sur la fortune provoque moins de 2 % de départs, sans impact significatif sur l’investissement ou l’emploi. En France, la suppression de l’ISF n’a provoqué aucun retour de capitaux, selon France Stratégie.
En revanche, elle coûte chaque année 4 milliards d’euros à l’État. D’après Gabriel Zucman, la perte de recettes fiscales causée par d’éventuels départs serait négligeable, estimée à 0,03 % du PIB. Et il existe une solution simple : mettre en place un impôt universel, c’est-à-dire imposer les contribuables français sur leur patrimoine, même s’ils résident à l’étranger. Zucman prévoit lui-même un filet anti-exil dans sa taxe : même en cas de changement de résidence fiscale, le foyer resterait imposé pendant (au moins) cinq ans.
Autre objection classique : « et s’ils n’ont pas de liquidités pour payer ? » Là encore, la réponse est claire. Comme l’explique Gabriel Zucman, l’impôt pourrait être payé en actions, c’est-à-dire en cédant à l’État une partie du capital détenu dans une entreprise ou une holding. Ces actions pourraient être conservées temporairement comme actifs publics, revendues à des investisseurs français, ou même proposées aux salariés, dans une logique de partage du capital. Le manque de cash n’est donc pas un obstacle : le patrimoine existe, il suffit de permettre à la puissance publique d’y accéder. D’ailleurs, ce type de paiement en nature existe déjà dans le droit fiscal, notamment lors de successions ou de contentieux.
En fin de compte, la taxe Zucman rapporterait gros, sans frapper large. Les estimations évaluent son rendement à environ 20 milliards d’euros par an, soit 0,8 % du PIB. Un chiffre colossal, dans un pays où l’exécutif cherche à couper 40 milliards d’euros dans les services publics. Et pourtant, seuls 1 800 foyers seraient concernés. C’est une manne immense pour les finances publiques… mais un effort parfaitement soutenable pour les fortunes visées.
Car le taux proposé, 2 % du patrimoine net, reste bien inférieur à la rentabilité moyenne du capital des ultra-riches : sur les 40 dernières années, ce rendement a tourné autour de 7 % par an, net d’inflation. En clair : un prélèvement raisonnable, soutenable, et infiniment plus juste que la hausse de la TVA ou la baisse des APL.
Le président de la commission des finances, Éric Coquerel, a d’ailleurs défendu la taxe Zucman comme une alternative crédible et juste à l’austérité.
Sur LCI, il a alerté contre le gel des dépenses publiques au niveau actuel pour réduire le déficit budgétaire en 2026, qualifiant cette option de « très mauvaise solution » car récessive. Selon l’étude de l’Institut des politiques publiques, une telle mesure ne rapporterait « qu’un peu moins de six milliards d’euros »… tout en pesant lourdement sur les plus défavorisés.
À l’inverse, Coquerel plaide pour un « gros nettoyage » dans les niches fiscales, une augmentation des impôts sur les plus riches et sur les grandes entreprises, et l’instauration d’un impôt de type « Zucman » sur le patrimoine pour aller chercher l’argent là où il est, sans abîmer davantage les services publics.
Taxe Zucman : qu’attend-on ?
La taxe Zucman n’est pas une lubie d’un économiste isolé ou une mesure de niche portée par quelques députés frondeurs. Elle bénéficie d’un soutien scientifique, politique et citoyen inédit.
Plus de 300 économistes, dont 7 prix Nobel parmi les plus respectés au monde – Joseph Stiglitz, Esther Duflo, Abhijit Banerjee, Paul Krugman, Daron Acemoglu… ont signé une tribune en faveur d’un impôt mondial sur les ultra-riches. Leur constat est clair : les systèmes fiscaux ne sont plus progressifs tout en haut de la pyramide, ils sont devenus régressifs. Les plus riches ne paient pas plus. Ils paient moins.
Cette idée a également franchi le cercle académique pour s’inviter sur la scène diplomatique. À l’été 2024, le président brésilien Lula, alors à la tête du G20, a invité Gabriel Zucman à présenter ses travaux devant les chefs d’État. Sa proposition : taxer à 2 % les fortunes des 3 000 milliardaires mondiaux, ce qui rapporterait 250 milliards de dollars chaque année. Un chiffre vertigineux, à la hauteur des défis sociaux et climatiques que l’humanité doit affronter. Lula l’a dit sans détour : il s’agit d’une injustice fiscale mondiale.
En France, la mobilisation citoyenne monte aussi en puissance. Attac, Oxfam France et 350.org se sont réunis devant le Sénat pour défendre la taxe Zucman. Elles ont remis aux sénateurs une pétition signée par 50 000 citoyens, réclamant la mise en place de cette mesure de justice. Le message est simple : la société n’est plus dupe. Elle sait qui paie, et qui passe entre les gouttes.
Car pendant qu’on discute de la fiscalité des milliardaires, la pauvreté explose. Selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE, 1,2 million de personnes sont tombées dans la pauvreté entre l’élection d’Emmanuel Macron et 2023. Le taux de pauvreté atteint désormais 15,4 % de la population : son plus haut niveau depuis le début du décompte en 1996. En un an seulement, ce sont 650 000 personnes supplémentaires qui ont basculé sous le seuil de pauvreté. Et dans le même temps, les 20 % les plus riches concentrent à eux seuls 38,5 % des richesses. Leur niveau de vie est 4,5 fois supérieur à celui des 20 % les plus modestes.
Le poids des 500 plus grandes fortunes françaises a explosé : il est passé de 124 milliards d’euros en 2003 à 1 170 milliards en 2023. C’est une augmentation de +844 % en vingt ans. Une croissance délirante, sans commune mesure avec celle des salaires ou des aides sociales.
C’est dans ce contexte d’explosion des inégalités que la taxe Zucman s’inscrit, aux côtés d’un ensemble de mesures complémentaires défendues par l’Avenir en Commun, pour une fiscalité plus juste : limiter l’écart de salaires de 1 à 20 au sein d’une même entreprise, plafonner les héritages à 12 millions d’euros, créer une véritable progressivité avec 14 tranches d’impôt sur le revenu, inclure les revenus du capital (dividendes, stock-options, revenus fonciers) dans l’assiette des cotisations sociales, mettre en place un ISF climatique pour financer la bifurcation écologique, et instaurer une contribution sur les superprofits afin de renforcer la Sécurité sociale.
Enfin, il est temps d’interroger sérieusement les 211 milliards d’euros d’aides publiques accordées chaque année aux entreprises, un chiffre révélé par la commission d’enquête du Sénat, sans contreparties sociales ou écologiques sérieuses, alors même qu’on refuse de taxer à 2 % les plus grandes fortunes du pays.
Voilà le vrai scandale. La vraie urgence. La taxe Zucman, ce n’est pas une lubie idéologique ou une vengeance contre la réussite. C’est une réponse concrète, chiffrée, soutenable, face à une société qui se fracture de plus en plus entre ultra-riches intouchables et majorité précarisée.
Elle ne répare pas tout, mais elle commence par le commencement : faire contribuer ceux qui ont le plus profité d’un système qui est indéfendable.
La taxe Zucman ou la possilité de changer la donne
Ce n’est donc pas une taxe de plus. C’est une taxe de justice. Dans un pays où la pauvreté explose, où 1,2 million de personnes ont basculé dans la misère en quelques années, où les services publics sont à l’os et où les ministres traquent 20 milliards d’euros « d’économies » sur le dos des plus fragiles, il serait indécent de ne pas faire contribuer ceux qui en ont les moyens.
Ceux qui ont vu leur fortune bondir de +844 % en vingt ans. Ceux qui concentrent à eux seuls des dizaines, voire des centaines de milliards. Ceux qui, aujourd’hui, peuvent traverser l’impôt comme un nuage traverse le ciel, sans jamais être mouillés.
La taxe Zucman, c’est la possibilité de changer la donne. Elle est techniquement prête. Fiscalement solide. Économiquement soutenable. Et politiquement urgente. Le choix est là, sous nos yeux : demander un effort juste à 1 800 foyers fiscaux… ou continuer à appauvrir des millions de gens. Qu’attend-on ?
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Source: https://linsoumission.fr/2025/07/16/budget-2026-taxe-zucman-balayee/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/budget-2026-la-taxe-zucman-cet-impot-sur-les-grandes-fortunes-balaye-par-bayrou-qui-prefere-geler-les-prestations-sociales-et-les-pensions-li-fr-16-07-25/