
Le gouvernement a proposé de recueillir l’avis de l’Anses sur la loi Duplomb. Concernant la réintroduction de l’acétamipride, l’agence a pourtant déjà planché : des alternatives à cet insecticide dangereux existent.
Par Violaine COLMET-DAÂGE.
Le gouvernement est bien embarrassé. Alors que la pétition réclamant l’abrogation immédiate de la loi Duplomb a dépassé 1,9 million de signatures, le camp présidentiel a tenté de temporiser en ouvrant la porte à un débat parlementaire. Au cœur de la polémique, l’article 2 de la loi adoptée le 8 juillet prévoit la réintroduction de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes.
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Pour éteindre le feu, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a soutenu la proposition du président du parti Renaissance Gabriel Attal de saisir l’Anses afin de « donner son avis sur le texte » — et notamment sur les alternatives possibles à cet insecticide. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a pourtant déjà, et par deux fois, répondu à cette question : les alternatives (chimiques ou non) existent et devraient être combinées.
Des alternatives à combiner
Sur les 500 000 hectares potentiellement concernés par la réintroduction de l’acétamipride, 400 000 hectares sont dédiés à la culture de betteraves sucrières. La principale source d’inquiétude des producteurs provient d’un petit insecte, le puceron vert, qui transmet le virus de la jaunisse aux betteraves et décime les cultures.
Jusqu’en 2018, les betteraviers utilisaient les néonicotinoïdes pour le contrôler. Mais en 2020, deux ans après l’interdiction de ces pesticides sur le sol français, une prolifération importante du puceron a entraîné une baisse moyenne des rendements de 30 %. Un mauvais résultat qui ne s’est pas reproduit en 2023, alors qu’aucune dérogation n’avait été accordée cette année-là.
En 2018, la fin des néonicotinoïdes s’est pourtant adossée sur l’expertise scientifique. Afin d’accompagner la transition vers l’interdiction de ces pesticides, responsables en partie de l’effondrement de colonies d’abeilles, une expertise collective de l’Inra et de l’Anses avait listé et analysé l’ensemble des alternatives disponibles, leur efficacité, leur possible utilisation et leur durabilité.

Deux ans de travail ont ainsi permis d’aboutir à des conclusions plutôt rassurantes : 96 % des utilisations de néonicotinoïdes disposent d’alternatives efficaces. Mieux, dans 8 cas sur 10, ces alternatives ne sont pas chimiques : il peut s’agir d’application d’une couche d’argile protectrice, de lutte via des micro-organismes, de perturbation de l’accouplement, etc.
Dans certains cas, il convient toutefois de multiplier les approches. Pour les betteraviers, une seule alternative chimique est alors identifiée pour lutter contre le puceron vert : l’association de deux pesticides, le lambda-cyhalothrine et le pyrimicarbe, dont l’efficacité serait au moins égale à celle des néonicotinoïdes.
Plus efficaces que l’acétamipride
En 2021, une mise à jour de cet avis, dédiée spécifiquement à la lutte contre la jaunisse de la betterave, fournit une plus large palette de solutions. Quatre sont immédiatement disponibles : deux insecticides (flonicamide et spirotétramate) et deux pratiques à réaliser sur les parcelles (paillage et fertilisation organique) doivent permettre de réduire la pression exercée par ces pucerons. Deux études récentes, publiées en 2023 et 2024 et relayées par Le Monde, révèlent même que les deux insecticides proposés — aux effets moindres sur l’environnement — seraient bien plus efficaces que l’acétamipride.
En outre, l’Anses estime que dix-huit autres solutions pourraient être disponibles dans les 2 à 3 ans — comme des stimulateurs de la défense des plantes et l’utilisation de cultures compagnes permettant de réguler les populations de ravageurs. Ces méthodes ne sont pas suffisantes à elles seules, mais permettent un contrôle correct. L’agence recommande donc de poursuivre les études pour identifier les combinaisons les plus prometteuses.
Si, dans des analyses publiées en ligne, l’Institut technique de la betterave estime que ces solutions ne constituent pas à elles seules une alternative intéressante, plusieurs expérimentations en cours reconnaissent l’intérêt d’une approche combinée.
Changer de paradigme : explorer les pratiques non chimiques
Conclusion : l’acétamipride n’est pas la solution, tranche Christian Huyghe, l’ancien directeur scientifique agriculture à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), auprès de Reporterre. En 2020, lorsque les agriculteurs ont obtenu une dérogation sur la betterave sucrière, celle-ci portait sur l’imidaclopride et le thiaméthoxam. Mais si ces deux néonicotinoïdes ont longtemps été utilisés pour lutter contre le puceron vert, ils sont aujourd’hui interdits par la réglementation européenne. L’acétamipride constitue ainsi le dernier néonicotinoïde disponible. Alors pourquoi développer une alternative chimique — qui plus est, moins efficace — lorsque d’autres solutions non chimiques attendent de plus amples recherches ?
« Il ne faut pas arrêter les travaux qui permettraient d’envisager de faire autrement ! dit Christian Huyghe. On donne un signal d’immobilisme sur les insecticides. » Pourtant, les instituts techniques travaillent activement et des solutions émergent. L’expert pointe par exemple l’intérêt de cibler les réservoirs viraux.
Pour la jaunisse de la betterave, « le problème n’est pas le puceron, mais le virus [qu’il transmet à la plante]. Avec les recherches que nous avons menées avec l’Institut technique de la betterave, nous avons identifié les réservoirs viraux : ce sont les restes de betteraves de l’année d’avant [qui restent dans les champs], a-t-il expliqué sur France Culture. En les supprimant proprement en 2023 et 2024, nous n’avons pas plus de problèmes qu’avec les néonicotinoïdes. Cela ouvre une façon de penser différente. »
Le scientifique prône un changement de paradigme : « L’expression “pas de retrait sans solution” suggère une solution de substitution exacte : un produit contre un autre qui fait exactement la même chose. Il faut réfléchir plus largement. »
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Dans son rapport, l’Anses préconise de tester des combinaisons de plusieurs méthodes, en commençant par les options non chimiques s’appuyant sur la connaissance des ravageurs et en ne réservant les pesticides qu’en dernier recours sur les parcelles touchées, une stratégie nommée « lutte intégrée des ravageurs ».
« Or, la pyramide est inversée : la majeure partie de la lutte antiparasitaire repose sur l’utilisation de pesticides chimiques », notait un chercheur finlandais cité par l’Anses. L’approche inverse reste encore largement soumise aux volontés politiques, déplorait-il. Dans un sondage, l’association Générations futures notait justement que la stratégie « lutte intégrée des ravageurs » est plébiscitée par les citoyens.
Dernier point — et non des moindres —, le soutien financier nécessaire pour accompagner la transition. Dans le dossier de l’Inrae paru en 2019, les chercheurs prévenaient que « certaines [alternatives], encore onéreuses du fait d’un marché limité, demanderont également à être subventionnées ». En d’autres termes, ils soulignaient que rendre disponibles les alternatives aux néonicotinoïdes est aussi un choix politique, et demande de l’argent pour accompagner les agriculteurs vers d’autres pratiques.
« À des problèmes économiques des filières agricoles, on répond par des pesticides, ce n’est pas la bonne réponse, observait Jean-Marc Bonmatin dans Reporterre. On doit donner des réponses économiques. Par exemple protéger les filières de la noisette et de la betterave du marché mondial. »
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Source: https://reporterre.net/Loi-Duplomb-les-alternatives-a-l-acetamipride-existent
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/loi-duplomb-les-alternatives-a-lacetamipride-existent-reporterre-25-07-25/