
La guerre commerciale n’aura pas lieu mais la paix aura un prix pour les pays membres de l’Union européenne qui verront leurs produits exportés vers les Etats-Unis frappés d’une taxe douanière de 15%.
En 2023, l’Union européenne enregistrait un excédent commercial de 157 milliards d’€ (Md€) vis-à-vis des Etats-Unis pour les biens, mais un déficit de 109 Md€ dans les services. Donc l’excédent commercial de l’UE européenne sur les biens et services s’établit à 44 Md€. L’administration Trump ne s’en satisfait pas et elle focalise son attention sur le secteur des biens. Elle estime que l’Union européenne exerce une concurrence déloyale au détriment de l’industrie états-unienne.
Du lâche soulagement au dépit
La Présidente de la Commission européenne1 et le Président des Etats-Unis ont présenté un accord de principe douanier le dimanche 27 juillet en Ecosse, sur un domaine de M. Trump (un « golf ressort »). Finalement, alors que le Président des États-Unis avait annoncé des taxes douanières de 30% sur les produits européens à compter du 1er août, les deux parties se sont arrêtés sur une taxe de 15% (2,5% durant l’administration Biden).
Cependant, l’administration a fait son marché et certains produits jugés stratégiques par l’administration Trump seront exonérés de cette taxe comme l’aéronautique et pièces détachés (zéro taxes bilatérales), des produits de la chimie, les médicaments génériques, des produits agricoles et des matières premières. La liste n’est pas encore close. Enfin, pour les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques, un accord sera conclu ultérieurement.
En revanche, les droits douaniers sur l’acier et l’aluminium restent pour l’instant bloqués à 50%
La Fédération patronale allemande de la chimie a exprimé un soulagement en terme climatique : « Quand on s’attend à un ouragan, on se réjouit d’une simple tempête. » Le syndicat des constructeurs automobiles européens salue la désescalade des tensions (les taxes douanières sont de 27,5% depuis avril et vont donc redescendre à 15%) et se satisfait de la fin des incertitudes entourant les relations commerciales transatlantiques. Le Chancelier allemand retient ce point pour se dire soulagé pour l’industrie automobile allemande. « Nous avons préservé nos intérêts fondamentaux ». Il semble que le « nous » doit être compris, « nous, les Allemands » et non « nous, les Européens ».
La Première ministre italienne a accueilli positivement l’accord car « une guerre commerciale entre l’Europe et les États-Unis aurait eu des conséquences imprévisibles et potentiellement dévastatrices », mais, prudente, elle attend les détails de l’accord pour en dire plus. Le Premier espagnol soutient l’accord mais sans enthousiasme, précise-t-il.
Enfin, la Commission européenne a jugé que l’accord conclu est meilleur qu’une guerre commerciale et le commissaire chargé du commerce en est sûr à 100%, c’est dire.
La France se singularise par une réception très fraîche de cet accord avec des accents funèbres du Premier ministre (« un jour sombre », « une soumission ») tandis que ses ministres insistaient sur le déséquilibre de l’accord. « Est-ce que la construction européenne, est-ce que l’Union européenne est une force ? Si on veut que la réponse soit oui, alors la messe ne doit pas être dite » affirme le délégué au commerce extérieur.
En revanche, à ce jour, le Président de la République n’a fait aucune communication. Nous attendons de savoir si l’accord qui se dessine est en mesure «de donner de la stabilité et d’avoir les tarifs les plus bas possibles, mais également, évidemment, d’être respectés comme des partenaires que nous sommes» comme il l’a déclaré à Berlin quelques jours avant l’annonce de l’accord.
Avenants de l’accord douanier
Même si cela n’est pas précisé, alors que les Etats-Unis établissent sur la plupart des importations 15% de taxes douanières dans l’espoir de rétablir un équilibre dans les échanges, l’Union européenne ne modifiera pas ses droits de douanes (presque rien voire 0%) pour les produits en provenance des Etats-Unis et abandonne le paquet de contre-mesures décidé lors de l’escalade des tensions commerciales d’un montant de 93 Md$.
Mais plus stupéfiant et illustratif du rapport de force, l’administration Trump, jugé souvent avec commisération par les élites européennes, a obtenu un engagement de la part de l’Union européenne d’achats d’énergie américaine pour 750 Md$ sur trois ans (250 Md$/an pour un volume annuel actuel d’environ 75 Md$, soit 17% des importations d’énergie de l’Union européenne). Il s’agit d’hydrocarbures (pétrole et gaz naturel transporté sous forme liquide par navire – le GNL) mais aussi du nucléaire. Selon le commissaire européen, ces chiffres sont atteignables en particulier « si l’on regarde la renaissance du nucléaire en Europe, l’essor de l’industrie IA » Le 23 juillet, l’administration Trump a annoncé un plan pour soutenir l’IA made in US et à aider à son développement international à l’exportation. Tout ceci est cohérent.
Préparer la dépendance européenne à l’IA américaine ne suffit pas à ce fin stratège, qui pense même obtenir l’énergie à bon prix et ne s’alerte pas de cette intention d’évincer d’autres fournisseurs, en particulier et en première2 la Russie qui fournit toujours l’Europe en gaz sous forme GNL – 70 milliards de m3/an environ – plus que la consommation française. Résultat prévisible : une dépendance plus forte de la zone à l’énergie made in US. Par ailleurs, l’industrie nucléaire française devrait se tenir en alerte devant l’entrée de nouveaux concurrents, EDF avait contre lui pour un appel d’offre tchèque, un opérateur coréen qui proposait un réacteur Westinghouse (entreprise états-unienne), et Westinghouse lui-même (les Coréens ont gagné). Mais les Américains (toujours Westinghouse) ont déjà obtenu le marché nucléaire civil polonais et sont présents en Roumanie.
Enfin, l’Union européenne s’engage à acheter des armes américaines ou effectuer des investissements aux Etats-Unis pour un montant de 600 Md$. Pour les armes, étant donné que les pays membres de l’Otan se sont engagés à dépenser 5% de leur PIB pour la défense, il y a bien une logique ou un esprit de suite de la part de l’administration Trump. D’ailleurs le premier geste du chancelier allemand avant même son intronisation a consisté à lancer un plan d’armement d’envergure. Tout cela va dans le sens des intérêts du complexe militaro-industriel américain qui n’est pas près de voir émerger un rival en Europe.
Pour les investissements européens attendus, les mécanismes, qui vont les déclencher, ne sont pas très clairs. D’autant que des pays comme la France et l’Allemagne poussent également les entreprises à investir sur leur territoire. En particulier, le Chancelier Merz et les représentants du capital allemand se sont réunis pour un grand programme à 600 Md€3.
Alors que certains continuer de gloser en Europe sur l’illettrisme économique de l’administration Trump, elle a réussi à faire plier l’Union européenne qui n’a pas osé l’épreuve de force ou n’a pas voulu la tenter. Pourtant, sa sidérurgie, un secteur industriel clé, risque de pâtir de cette négociation (encore en cours, mais étant donné les résultats atteints jusqu’ici, le pire n’est pas le moins improbable.)
Selon les données d’Eurostat (2020), les échanges de biens entre les États membres de l’Union européenne (commerce intra-UE) se chiffrent à environ 2 843 Md€. Ce montant est significativement plus élevé que les exportations extra-UE, qui s’élevaient à 1 932 Md€ dont environ 400 Md€ vers les Etats-Unis. Certes, les Etats-Unis pèsent mais quand même, les ordres de grandeur laissent à penser que l’Union européenne avait peut-être un poids suffisant pour faire un peu plus de résistance. Le Conseil européen devra statuer sur le projet de traité finalisé, négocié par la Commission européenne4. Les premières réactions des différents gouvernements laissent supposées une approbation de l’accord tel qu’il se dessine.
Aussi, cet accord a une portée idéologique forte et marque bien la volonté du capital européen de s’arrimer à l’impérium américain car d’une certaine manière, il est obligeamment invité à développer ses activités aux Etats-Unis. Il faudra être attentif aux suites et les contradictions qui devraient émerger entre la volonté de maintenir sa puissance industrielle (forte en Allemagne, fluctuante en France) et d’éviter la fuite non pas des capitaux mais du Capital qui choisirait de continuer son œuvre d’accumulation sous des cieux plus accueillants.
1 La Commission européenne négocie les accords commerciaux au nom de l’Union européenne
2 De l’aveu même de la Présidente de la Commission européenne
3 Voir l’article consacré à ce sujet dans Communistes-Hebdo N°936
4 Ce type d’accord, pour être validé, demande une majorité qualifiée, plus précisément, au moins l’approbation de 15 Etats, représentant 65% de la population de l’Union européenne et peut être bloqué si 4 Etats, représentant 35% de la population de l’Union européenne, s’y oppose.
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