Chômage : la rupture conventionnelle, prochaine victime du gouvernement (H.fr-6/03/25)

Le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, discute avec la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, Catherine Vautrin. Le gouvernement souhaite restreindre l’accès à l’indemnisation chômage en cas de rupture conventionnelle. © DR

Pour réduire les coûts de l’indemnisation chômage, le gouvernement prévoit de s’en prendre au dispositif de départ négocié entre employeur et employé, pourtant mis en place à la demande du Medef.

Par Hélène MAY.

C’est l’attaque que les syndicats n’avaient pas vu venir. Parmi la série de nouvelles mesures promues par le gouvernement pour limiter l’accès à l’indemnisation chômage au nom de l’équilibre budgétaire, figure l’idée de réformer les ruptures conventionnelles.

Comme rappelait la feuille de route présentée le 4 août par l’exécutif, syndicats salariaux et patronaux sont invités à réfléchir aux modalités d’indemnisation de cette procédure instaurée en 2008 sous Nicolas Sarkozy, à la demande du patronat.

Destinée à permettre un divorce à l’amiable entre employeur et salarié en CDI, la rupture conventionnelle a en effet ouvert une voie médiane entre la démission, qui ne donne droit à aucune indemnisation chômage, et le licenciement, que l’employeur doit justifier et qui peut donner lieu à une contestation juridique devant les prud’hommes.

Un dispositif trop cher, selon le gouvernement

Elle a permis d’« apaiser » le marché du travail : « On voit que le nombre de contentieux prud’homaux a beaucoup baissé grâce à ces ruptures conventionnelles », a tenu à rappeler, fin juillet, Patrick Martin, le patron du Medef, appelant à « ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Mais, pour le gouvernement, le dispositif coûte trop cher et, comme pour le reste de l’assurance-chômage, il faut lancer la chasse « aux abus ».

« Nous sommes toujours dans la stigmatisation des chômeurs, l’idée que la situation serait de leur faute, cela s’inscrit dans le discours populiste actuel sur l’assistanat », déplore Michèle Bauer, avocate spécialisée en droit du travail, qui accompagne de nombreux salariés. Elle rappelle par ailleurs qu’« une bonne partie de ces ruptures sont en fait des licenciements déguisés » et que beaucoup d’autres concernent « des salariés en grande souffrance pour qui c’est la seule solution ».

Il n’empêche. « C’est aujourd’hui 25 % de l’indemnisation au chômage », soit 9,4 milliards d’euros, a souligné, sur BFMTV-RMC, Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l’Emploi, pour à peine plus d’un sixième des allocataires. La raison de ce surcoût est, selon elle, des indemnités « supérieures » et une durée d’indemnisation plus longue que pour ceux qui se retrouvent au chômage pour une autre raison (15 mois contre 14 en cas de licenciement économique et 13 pour les autres types de licenciements et les ruptures volontaires).

Un dispositif victime de son succès

La rupture conventionnelle est par ailleurs victime de son succès. Entre 2019 et 2024, son nombre est passé de 439 000 à 515 000, soit une hausse de 17 %. « La plupart des gens concernés par les ruptures conventionnelles sont des cadres. Ils ont des salaires, donc des indemnités, élevés », confirme Michèle Bauer. 

Mais elle explique surtout la plus longue durée d’indemnisation par le fait « que beaucoup de ruptures conventionnelles ont lieu après une période de forte pression et qu’il s’agit de salariés qui ont besoin d’abord d’une aide psychologique », mais aussi parce que beaucoup « donnent lieu à des reconversions plus longues pour ceux qui veulent changer de domaine ou créer une entreprise ».

Surtout, calculer le montant et la durée des indemnités des personnes en rupture conventionnelle par rapport à ceux de l’ensemble des chômeurs « est absurde », souligne Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT en charge des négociations sur l’assurance-chômage : « On compare ce qui n’est pas comparable. La moitié des personnes indemnisées par l’Unédic sont des précaires qui arrivent au chômage après un cumul de CDD ou de missions d’intérim. Forcément, avec des contrats courts et des petits salaires, ils sont moins bien indemnisés. Ce qu’il faudrait, c’est comparer uniquement les allocataires qui étaient en CDI. »

Mais, pour le gouvernement, toute source d’économies sur le dos de la protection sociale est à étudier. Dans le cas des ruptures conventionnelles, il suggère deux pistes de réforme : allonger le délai de carence et réduire la durée d’indemnisation. « Le salarié perçoit des indemnités pour quitter l’entreprise et bénéficie aussitôt de l’assurance-chômage. Ne faut-il pas instaurer un délai correspondant à cette indemnisation avant de percevoir le chômage ? » avait ainsi fait mine de s’interroger la ministre de la Santé et du Travail, Catherine Vautrin, le 21 juillet, dans l’Union.

Jusqu’à présent, les personnes ayant signé une rupture conventionnelle, qui reçoivent des indemnités supérieures au montant légal, ne reçoivent pas d’allocation chômage pendant 150 jours, contre 75 en cas de licenciement économique. L’idée serait donc d’étendre encore ce délai. « Mais l’indemnité supralégale a été gagnée à défaut de conserver son emploi. S’en servir pour réduire la durée d’allocation, c’est reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre », commente Denis Gravouil.

13 000 personnes pourraient être concernées

Une étude de l’Unédic, datée du 30 juin, a tenté d’évaluer ces différentes pistes d’économies. Elle estime que 13 000 personnes pourraient être concernées par cet allongement du délai de carence, puisque c’est le nombre de gens qui, en 2024, ont atteint les 150 jours de déféré pour l’ouverture de leurs droits. L’impact financier pourrait être entre 30 millions et 200 millions d’euros la deuxième année, et se réduit progressivement ensuite au moment des premières fins de droits pour un effet annuel en régime de croisière entre 15 millions et 60 millions d’euros.

Et encore, sous réserve que cette modification des règles n’entraîne pas une baisse des ruptures conventionnelles au profit des licenciements. Quant au plafonnement des allocations, son effet est encore plus complexe à mesurer, là encore parce qu’il pourrait entraîner un changement de comportement de la part des salariés.

Ce flou comptable n’entrave pas la croisade du gouvernement contre les bénéficiaires de rupture conventionnelle, présentés comme des profiteurs. Tout en cherchant à préserver un système qui avantage le patronat. « Dès le départ, on avait bien vu que c’était encore une mesure qui allait profiter aux employeurs mais pour laquelle l’État allait devoir payer », rappelle Michèle Bauer.

À son instauration, les syndicats et la gauche avaient d’ailleurs bataillé pour obtenir le droit à l’indemnisation en contrepartie de cette facilité de la rupture de contrat. L’État ne voulant plus payer, cette compensation risque de se réduire comme une peau de chagrin.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/allocation-chomage/chomage-la-rupture-conventionnelle-prochaine-victime-du-gouvernement

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/chomage-la-rupture-conventionnelle-prochaine-victime-du-gouvernement-h-fr-6-03-25/

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