Entretien-Face aux dangers des pesticides, « pas un agriculteur ne peut dire qu’il ne sait pas » (OF.fr-7/08/25)

Un agriculteur passe un désherbant avec un pulvérisateur dans un champ. En 2023, les paysans étaient les premières victimes des pesticides utilisés pendant leur carrière, selon les derniers chiffres du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). | THOMAS BRÉGARDIS / OUEST-FRANCE

Cancers multiples, maladie de Parkinson, troubles cognitifs et une maladie respiratoire évolutive… Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), il existe une « présomption forte » de lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et six pathologies. Michel Besnard, président du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, explique comment l’association a obtenu la reconnaissance d’autres maladies comme les tumeurs cérébrales.

Par Laetitia JACQ-GALDEANO.

En Bretagne, le Collectif de soutien aux victimes de pesticides de l’Ouest a aidé 240 agriculteurs à obtenir la reconnaissance de leur pathologie en maladie professionnelle. Cancers multiples, maladies neurodégénératives… En 2023, les paysans étaient les premières victimes des pesticides qu’ils ont utilisés pendant leur carrière, confirme le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Michel Besnard, président du Collectif de soutien aux victimes de pesticides de l’Ouest, explique l’état d’esprit des agriculteurs malades. Son association demande la fin des pesticides de synthèse. Elle espère l’annulation de la loi Duplomb qui réintroduit notamment l’acétamipride, un pesticide interdit depuis 2018 par la France. Le Conseil constitutionnel doit statuer, jeudi 7 août 2025, sur la conformité de ce texte..

Les chiffres démontrent que les agriculteurs sont les premiers malades des pesticides. Depuis sa création en 2015, votre collectif a été contacté par 460 personnes dont beaucoup d’agriculteurs et de salariés de coopératives. Comment vivent-ils le fait d’être malades en raison de leur métier ?

C’est un déchirement pour les agriculteurs de se dire que leurs pratiques professionnelles les ont conduits à la maladie. C’est très difficile. Ils ont été formatés par leur syndicat et leur lycée agricole dans le fait que l’on ne peut pas produire sans pesticides.

Il y a ceux qui ne savent pas, qui ne font pas le lien. Il y a ceux qui sont dans le déni. Pour eux, ce sont leurs enfants qui nous contactent. Il y a ceux qui sont très en colère contre ceux qui les ont amenés dans cette voie. Enfin, il y a ceux qui sont malades, encore en activité et qui continuent de traiter. Ils sont piégés. Quand on est malade à 55 ans, c’est très difficile de faire marche arrière. Travailler la terre sans pesticide, c’est un autre métier. C’est acquérir de l’autonomie, des savoir-faire.

Au sein de l’association, nous ne jugeons pas les agriculteurs qui nous contactent. Nous sommes conscients qu’ils sont piégés dans un système. Les générations de nos parents et de nos grands-parents ont traité sans la connaissance et avec le sentiment qu’il n’y avait pas de danger, mais aujourd’hui, pas un seul agriculteur ne peut dire qu’il ne sait pas.

Michel Besnard, président du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest : « Au sein de l’association, nous ne jugeons pas les agriculteurs qui nous contactent. Nous sommes conscients qu’ils sont piégés dans un système. » | OUEST-FRANCE

« Ce sont les risques du métier »

Les jeunes agriculteurs et salariés agricoles ont-ils davantage conscience du danger que leurs aînés ?

L’an dernier, nous avons fait des interventions dans deux maisons familiales rurales, que je ne citerai pas, devant des jeunes de moins de 18 ans. Leurs enseignants ne leur avaient pas annoncé le thème de notre intervention de peur qu’ils n’y assistent pas. Ce jour-là, la formatrice leur a demandé combien avaient déjà conduit un pulvérisateur. Entre un tiers et la moitié ont levé la main. Elle leur a ensuite demandé : « Etiez-vous protégés ? Portiez-vous un masque ? » Aucun n’en portait.

Pour répandre des pesticides, il faut avoir obtenu un Certiphyto (Certificat individuel de produits phytopharmaceutiques obtenu après une formation). Leurs parents et leur maître de stage les mettent sur un pulvérisateur sans Certiphyto. Ce jour-là, nous avons aussi parlé des questions de fertilité. Il y a eu un grand silence. Cela les touche. J’ai su par une enseignante que l’un d’eux avait parlé de ce sujet avec ses parents agriculteurs. Ils lui ont dit : « Ce sont les risques du métier ».

Lire aussi : « Agriculteurs stigmatisés » ou « dérive de l’agro-industrie » : la loi Duplomb crispe en Côtes-d’Armor

« Ces combats sont nécessaires »

Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), il existe une « présomption forte » de lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et six maladies graves : trois types de cancer (prostate, lymphomes non hodgkiniens, myélomes multiples), la maladie de Parkinson, les troubles cognitifs et une maladie respiratoire évolutive, la BPCO. Les deux dernières ne sont pas répertoriées dans la liste des maladies qui ouvrent droit à une indemnisation au Régime agricole. Avez-vous réussi à faire reconnaître ces pathologies malgré tout ?

Avant 2021, date où le cancer de la prostate a été inscrit dans cette liste, nous avions fait reconnaître deux personnes atteintes d’un cancer de la prostate, comme victimes de maladie professionnelle. Les tumeurs cérébrales comme les glioblastomes ne sont pas dans cette liste, mais nous sommes à 16 personnes reconnues. Nous attendons avec impatience la décision des tribunaux de Rennes pour une démence fronto-temporale, de Brest pour un cancer du rein et de Vannes pour un cancer de la vessie. Ces combats sont nécessaires.

Le Conseil constitutionnel doit statuer, jeudi 7 août, sur la conformité de la loi Duplomb qui réintroduit notamment l’acétamipride, un pesticide interdit depuis 2018 par la France. Qu’en attendez-vous ?

Je ne sais pas si le Conseil constitutionnel peut annuler cette loi mais je l’espère. Pour nous, la pétition qui a recueilli plus de deux millions de signatures contre cette loi, c’est un ouf de soulagement. C’est le réveil d’une majorité silencieuse face à une loi qui montre la puissance du lobby de l’agro-industrie et sa collusion avec l’appareil politique.

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Source; https://www.ouest-france.fr/environnement/pesticides/entretien-face-aux-dangers-des-pesticides-pas-un-agriculteur-ne-peut-dire-quil-ne-sait-pas-3ddba8c2-7208-11f0-8a41-8cab56b0e4bf

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-face-aux-dangers-des-pesticides-pas-un-agriculteur-ne-peut-dire-quil-ne-sait-pas-of-fr-7-08-25/


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