
L’avocat Arnaud Gossement, qui a participé à la rédaction du recours des parlementaires contre la loi Duplomb, revient sur les différents scénarios possibles à l’issue de la décision du Conseil constitutionnel attendue ce 7 août.
Par Camille AUBERTIN.
Après l’adoption de la loi Duplomb, des parlementaires des groupes de gauche ont saisi le Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer le 7 août sur la conformité du texte à la Constitution. Les opposants espèrent que les juges y verront une contradiction avec la charte de l’environnement, qui reconnaît à chacun « le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
Une décision cruciale, dernière étape avant une éventuelle promulgation par le président de la République de cette loi décriée par les défenseurs de l’environnement et une partie du monde agricole.
En quoi l’article premier de la charte de l’environnement aura-t-il une importance dans l’examen de la constitutionnalité de la loi Duplomb ?
Le 10 décembre 2020, le Conseil constitutionnel avait été saisi concernant une loi qui repoussait de 2020 à 2023 l’interdiction des néonicotinoïdes (une classe d’insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes.) Pour se prononcer, il s’était appuyé sur l’article premier de la charte de l’environnement – créée en 2005 – qui affirme que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
C’est à partir de ce droit constitutionnel qu’il a examiné la conformité de la loi. Elle avait été déclarée conforme, mais uniquement sous certaines conditions. Tout l’enjeu aujourd’hui est de savoir si la loi Duplomb respecte les conditions que le Conseil constitutionnel avait fixées le 10 décembre 2020.
Quels vont être les points de vigilance du Conseil constitutionnel concernant la réintroduction des néonicotinoïdes ?
Dans sa décision du 10 décembre 2020, il indique que la famille des néonicotinoïdes présente bien un risque pour la biodiversité. Ce débat, pour nous les juristes, est clos : pour le Conseil d’État comme pour le Conseil constitutionnel, il y a des risques avérés pour la biodiversité. Le Conseil constitutionnel va contrôler le 7 août les conditions qu’il avait fixées, notamment les limitations de durée : il n’y en a pas dans la loi Duplomb.
Il va aussi vérifier s’il y a une désignation des cultures qui pourront bénéficier de cette dérogation. En 2020, c’étaient les betteraves. Le gouvernement a reconnu lui-même que, dans cette loi, il n’y avait pas de produits agricoles désignés. Il précise même que certains d’entre eux, dont on ne parle pas aujourd’hui dans la presse – je les cite – pourraient être concernés, comme les figues.
Quelles sont les différentes issues possibles à la suite de la saisine du Conseil constitutionnel, et quelles en seraient les conséquences concrètes pour l’article 2 de la loi qui réautorise ce type de pesticide ?
Il y a trois options. La première, le Conseil constitutionnel rejette la saisine, et la loi est donc promulguée par le président de la République. Deuxième option, il déclare contraire à la Constitution l’article 2. Dans ce cas, la loi ne pourra pas être publiée avec cet article 2. Elle passera donc directement de l’article 1 à l’article 3, et l’article 2 disparaîtra de la loi. Si le Parlement veut se ressaisir de cet article, il lui faudra voter une nouvelle loi, et c’est l’option que souhaitent les parlementaires.
La troisième option, et c’est celle que suggère le gouvernement dans ses observations, est de ne pas censurer l’article 2, mais de faire une réserve d’interprétation, c’est-à-dire imposer à l’administration de lire cet article 2 d’une certaine manière. Il ne modifierait pas le texte, mais en imposerait une lecture. Cela reviendrait à retirer une partie du venin de l’article 2, tout en le laissant dans la loi, et en ne le déclarant pas contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel peut-il censurer ce texte en raison d’un détournement de procédure tel qu’une motion de rejet utilisée pour éviter un débat parlementaire ?
Dans la saisine parlementaire, nous avons soutenu que la procédure avait été méconnue et que le droit du Parlement avait été ignoré : on est donc bien face à un détournement de procédure. La motion de rejet n’a absolument pas pour fonction de permettre aux partisans d’un texte d’évacuer un débat à l’Assemblée nationale.
D’un point de vue démocratique et politique, c’est extrêmement choquant. Mais le Conseil constitutionnel, sur ce type de questions, est extrêmement prudent. Il a tendance à considérer qu’au nom de la séparation des pouvoirs, c’est au Parlement de faire sa propre police de la procédure. Les chances de succès de la saisine, sur ce point-là, restent aléatoires.
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