Génocide à Gaza : des salariés de Safran, Thales et STMicroelectronics dénoncent la complicité de l’industrie française de l’armement (H.fr-7/08/25)

Des manifestant dénoncent les liens entre les entreprises d’armement françaises et l’industrie militaire israélienne.
© Felice Rosa / Hans Lucas via AFP

Au sein des entreprises d’armement, la coopération avec Israël pose la question d’une éventuelle complicité de génocide. La CGT, en pointe sur ce combat, multiplie les initiatives. La prise de conscience s’étend.

Elizabeth FLEURY.

Le 15 octobre 2023, alors qu’un processus génocidaire s’amorce en réponse aux sanglantes attaques du Hamas, une trentaine de syndicats palestiniens lancent un SOS. Ils appellent « leurs homologues internationaux et toutes les personnes de conscience à mettre fin à toute forme de complicité avec les crimes d’Israël, en cessant de toute urgence le commerce des armes avec Israël ainsi que tout financement et toute recherche militaire ».

Leur message, relayé par le Réseau syndical international de solidarité et de luttes, prend une résonance particulière dans les entreprises françaises liées à l’armement.

Depuis fin 2021, la jurisprudence de la Cour de cassation est claire : « Toute personne qui apporterait intentionnellement son aide, son concours ou toute forme d’assistance à la commission ou à la tentative de commission de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime de génocide serait passible de poursuites, en qualité de complice. »

Exportations d’armes vers Israël : des entreprises françaises sous pression

Et ce, insiste l’avocat Matteo Bonaglia, « sans que soit exigé un seuil minimal de participation ni qu’il soit nécessaire de démontrer une intention d’aider à la commission du crieme ». « En clair, résume l’avocat, les entreprises françaises d’armement ne peuvent plus se réfugier derrière l’État, qui leur a octroyé une licence d’exportation. Leur responsabilité propre peut être engagée. »

Dans la foulée de l’appel des syndicats palestiniens, l’association Stop Arming Israël est créée. « L’objectif, c’est qu’aucun matériel militaire ne soit acheminé vers Israël », relate Loïc, un de ses fondateurs. Bientôt, des campagnes de tractage sont organisées à l’entrée des entreprises du secteur de l’armement. Les salariés de Thales, Airbus, MBDA, Dassault ou Safran sont approchés.

D’autres sociétés, plus petites, sont également visées. « À chaque fois, explique Loïc, on essaie d’alerter sur leurs liens avec Israël. » L’accueil est parfois frileux. « On a reçu quelques insultes », reconnaît le militant. Mais, au fil des mois, les réactions se font plus chaleureuses, assure-t-il. « Installer un rapport de force, cela prend du temps. »

Élue CGT de la société franco-italienne de fabrication de composants STMicroelectronics – environ 50 000 salariés dont 12 000 en France –, Nadia Salhi répond immédiatement à l’appel des syndicalistes palestiniens et, « pour garantir la sérénité des débats », entame une réflexion collective au sein du syndicat.

Génocide à Gaza : la décision de la CIJ fait évoluer les consciences

Pas facile. « Questionner la coopération militaire sort des préoccupations habituelles, admet Nadia. Dans une entreprise d’armement, cela peut être perçu comme une façon de scier la branche sur laquelle on est assis. » Des enquêtes du média Blast et de l’Observatoire des armements vont encourager la mobilisation.

En violation de l’embargo imposé à la Russie, des composants de STMicroelectronics ont été retrouvés dans des armes utilisées contre l’Ukraine et la direction de ST doit, publiquement, s’engager à cesser tout commerce avec la Russie. Pour la CGT, dont le pacifisme et l’antimilitarisme sont des valeurs fondatrices, c’est une première victoire.

En janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) dénonce un « risque de génocide » à Gaza. « Le mot « génocide », ça fait réfléchir », constate Grégory Lewandowski, élu CGT chez Thales. Deux mois plus tard, le site Disclose révèle que la France a continué à fournir des armes à Israël après octobre 2023.

Des « pièces de cartouches pour fusils-mitrailleurs », envoyées par la société Eurolinks au groupe israélien IMI Systems depuis le port de Marseille, ont pu être utilisées contre des civils palestiniens, indique le site d’information. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, sommé de s’expliquer, reconnaît l’envoi des pièces. Elles étaient destinées à être « réexportées vers des pays tiers », minore-t-il.

Les syndicats demandent des comptes sur les partenariats israéliens

Son démenti ne convainc pas. Chez STMicroelectronics, une lettre ouverte de la CGT à la direction réclame « des mesures fortes et urgentes pour garantir que notre entreprise ne participe ni de près ni de loin au massacre en cours à Gaza et en Cisjordanie ». « Afin d’assurer la transparence des usages des puces produites par notre entreprise, nous vous demandons de rendre public (…) l’ensemble des partenariats en cours avec des entités israéliennes », ajoute-t-elle.

Face aux organisations syndicales, la direction se borne à affirmer que ses composants sont « destinés à des fonctionnalités civiles, et pas autre chose ». « On a continué à travailler la question », relate Nadia. En juin 2025, une journée de grève est décidée sur le site de Crolles. « Beaucoup de salariés, sans y prendre part, nous ont encouragés et remerciés », affirme la syndicaliste. Les initiatives se multiplient.

Chez Thales, le partenariat avec la société israélienne de drones Elbit suscite de plus en plus de questions. L’élue CGT Stéphanie Gwizdak opte pour l’organisation d’une journée de formation afin, dit-elle, « d’alimenter les camarades en arguments juridiques et géopolitiques ».

Intitulée « Droits et devoirs d’intervention des salariés de l’industrie de la défense », la journée s’articule autour d’une question cruciale : « Si on est associé à un génocide, qu’est-ce qu’on risque ? » Les échanges sont « fructueux » et « de qualité », affirme Stéphanie Gwizdak.

À Fos-sur-Mer, les dockers bloquent l’armement vers Israël

Mais moins d’une trentaine de salariés s’inscrivent. « Mobiliser sur ces questions, c’est un travail de fourmi », constate-t-elle. « Ce n’est pas évident de trouver un consensus, en interne, pour parler du sujet », abonde Pascal Jaugeas, son homologue chez Airbus.

Début juin 2025, une action coup de poing des dockers de Fos-sur-Mer va « libérer les énergies », selon Nadia, de STMicroelectronics. Alertés sur la présence de colis d’armement destinés à Israël, les dockers bloquent coup sur coup deux chargements.

« La CGT pèse 95 % chez nous, cela nous permet d’agir vite, explique leur secrétaire général, Tony Hautbois. Ce n’est malheureusement pas le cas partout. » À quelques jours de l’ouverture du Salon international de l’aéronautique du Bourget, où la présence de stands israéliens suscite une vague de protestations, le blocage de Fos provoque une onde de choc.

Des manifestations sont organisées. Des ONG saisissent la justice en urgence – elles seront déboutées. Sous la pression, le gouvernement décide finalement de faire marche arrière et réclame la fermeture de cinq des neuf stands israéliens. Une victoire en demi-teinte, pour les ONG.

Chez Red Hat, des salariés enquêtent sur les usages militaires de leurs outils

Mais une victoire quand même. « En interne, on ne parlait que de ça », affirme un salarié de Thales. « On était très isolés il y a un an. Depuis quatre ou cinq mois, de plus en plus de camarades s’emparent du sujet », constate Grégory Lewandowski qui, outre Thales, est aussi responsable à la CGT métallurgie. Après les dockers de Fos, la CGT Air France et SUD Solidaires aérien décident, à Roissy, de bloquer l’envoi d’une cargaison d’armes en direction d’Israël.

« La prise de conscience commence à s’étendre », se réjouit Loïc, de Stop Arming Israël. Salarié de l’entreprise Red Hat, rachetée au prix fort par IBM en 2018, Haïkel Guémar est un des fondateurs de Solidaires informatique. Fichage, drones, cloud, data centers… l’informatique, domaine où excellent les entreprises israéliennes, est omniprésente dans les armées modernes, explique-t-il.

« Elle est même cruciale », insiste le syndicaliste. Les drones tueurs ne sont pas tous guidés par des humains. « Ce sont des systèmes informatiques qui, la plupart du temps, décident qui doit vivre ou mourir, détaille le représentant syndical. Sans eux, rien n’est possible. Ils sont les yeux et les oreilles des drones tueurs. »

Les 440 salariés français de Red Hat ont-ils participé, sans le savoir, aux massacres perpétrés à Gaza ? « On a interrogé notre direction, on voulait savoir sur quel terrain d’opération était utilisé le matériel qu’on fabrique, ça n’a rien donné », assure-t-il.

Face à ce « manque de transparence organisé », le syndicaliste s’est transformé en enquêteur. Il épluche les journaux spécialisés, multiplie les contacts avec les associations, les collectifs, les syndicats. Il voit grand, Haïkel Guémar. « J’entretiens le doux rêve d’avoir, un jour, une coopération avec des syndicats israéliens. »

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/armement/safran-thales-stmicroelectronics-les-syndicats-denoncent-la-complicite-de-lindustrie-francaise-darmement-dans-le-genocide-a-gaza

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/genocide-a-gaza-des-salaries-de-safran-thales-et-stmicroelectronics-denoncent-la-complicite-de-lindustrie-francaise-de-larmement-h-fr-7-08-25/


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