Entretien-Arrêts maladie : « Quand Macron dit qu’il n’aime pas qu’on dise que le travail est pénible, cela envoie un mauvais message » (H.fr-10/08/25)

Pour l’ergonome Serge Volkoff, l’impasse du gouvernement sur la prévention amplifie le phénomène des arrêts de travail.
© VOISIN/PHANIE;

Entretien réalisé par Pierric MARISSAL.

En s’attaquant aux médecins qui prescriraient trop et en limitant les premiers arrêts maladie, le gouvernement se pose-t-il le bon problème ?

Serge Volkoff, Ergonome spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé

La moitié des jours d’arrêts sont liés à des arrêts de plus de six mois, selon les chiffres de la Sécurité sociale. Cela concerne des cancers, des maladies cardio-vasculaires, des accidents graves…

Ces arrêts sont en augmentation à cause des réformes des retraites successives, renforcées par le facteur démographique du baby-boom. Il faut aussi prendre en compte les progrès de la médecine. Des personnes qui seraient mortes ou en invalidité il y a trente ans sont aujourd’hui mieux soignées, dépistées plus tôt, comme pour les cancers du sein par exemple.

En s’attaquant aux nombres de prescriptions et aux médecins, le gouvernement semble croire que c’est dans les arrêts relativement court qu’il y aurait de la fraude, des arrêts de confort… Mais seule 4 % de la masse des jours d’arrêts sont d’une semaine ou moins. Il faut dire aussi que ce sont les arrêts courts qui perturbent le plus une organisation du travail toujours à flux tendu. Nous sommes installés dans un modèle de la hâte, ce que j’appelle le travail pressé.

Comment les conditions de travail pèsent-elles sur les arrêts maladies ?

Ce sont sur les arrêts dits intermédiaires, de moins de six mois, soit plus de 40 % des jours d’arrêts, que les conditions de travail posent des problèmes majeurs. Tous les troubles musculosquelettiques (TMS) – les genoux en compote, les lombalgies, etc. – sont des machines à produire des arrêts de plusieurs semaines, parce qu’ils génèrent des douleurs chroniques invalidantes. Et ces pathologies ne sont pas forcément reconnues comme maladies professionnelles.

Quant aux risques psychosociaux, ils peuvent entraîner des arrêts de toutes les durées, de l’épuisement passager aux dépressions profondes. Je tiens à préciser qu’ils ne provoquent pas seulement des troubles mentaux : ils entraînent aussi des pathologies physiques, comme des problèmes digestifs, articulaires, cardio-vasculaires…

Les conditions de travail influent-elles sur la durée des arrêts ?

Oui, ne serait-ce que sur le retour au travail. Si les conditions sont bonnes, que l’ambiance est agréable et le management à l’écoute, on revient volontiers un peu plus tôt, et ça se passe bien. C’est à l’employeur de créer les conditions pour que quelqu’un reprenne avec plaisir au bout de trois semaines au lieu de quatre.

Donc les conditions de travail peuvent être à l’origine de la pathologie comme de la difficulté à reprendre le travail. C’est aussi vrai pour les troubles comme l’endométriose : les femmes qui en souffrent ne sont pas du tout dans la même situation selon que l’entreprise prend en compte leurs besoins pendant les douleurs, ou non.

Comment les évolutions du monde du travail affectent-elles la santé des travailleurs ?

Sur le long terme, on constate une claire intensification du travail. Les salariés sont soumis à un enchevêtrement et une multiplication des contraintes de temps, et à une restriction de leurs marges de manœuvre. Cela va avec les calculs d’effectifs dits « au plus juste », une exigence de réactivité qui tend vers le temps réel, combiné avec des contrôles très stricts des performances de travail, accrus par les outils informatiques.

Sans parler du fait que beaucoup de personnes dépassent leur temps de travail. Ce sont des facteurs d’absentéisme parce qu’on craque, on s’épuise. Mais aussi de présentéisme (entendre aller au travail en étant malade), car s’absenter, c’est se charger la barque au retour, ou reporter de la charge de travail sur les collègues.

Qu’en est-il de la prévention ?

Tout acte de prévention en entreprise bien conçu est bon à prendre, et facilite le retour au travail. Mais lorsque le gouvernement supprime les comitésd’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), que le président de la République dit qu’il n’aime pas qu’on dise que le travail est pénible, et qu’il retire des critères de pénibilité dans le calcul des retraites, cela envoie un mauvais message.

Depuis, on a vu remonter le nombre d’accidents du travail. Mais à l’échelle des entreprises, cela dépend. Certains patrons se rendent comptent que consacrer des moyens, y compris humains, à la prévention, est bénéfique pour tout le monde. Et le CHSCT était un lieu où pouvait se créer un savoir collectif, qui permettait d’activer des réflexes de préventions.

Avec la diminution des moyens d’intervention de la médecine, y compris du travail, et la fin des CHSCT, on se prive des outils de régulation au plus près du travail, les plus attentifs et individualisés.

Serge Volkoff a coécrit le Travail pressé, en 2023, aux éditions Les petits Matins.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/arret-maladie/arrets-maladies-quand-macron-dit-quil-naime-pas-quon-dise-que-le-travail-est-penible-cela-envoie-un-mauvais-message

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-arrets-maladie-quand-macron-dit-quil-naime-pas-quon-dise-que-le-travail-est-penible-cela-envoie-un-mauvais-message-h-fr-10-08-25/

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