
Ñushpi Quilla Mayhuay Alancay et Veronica Chavez, deux militantes autochtones andines, dénoncent la pollution de l’eau engendrée par l’exploitation des gisements de saumure en Argentine. Elles s’estiment sacrifiées sur l’autel de la transition énergétique.
Par Antoine PORTOLES.
Ne vous fiez pas aux sourires qu’elles affichent au pied de la chapelle Expiatoire, dans un square parisien. Ils dissimulent un quotidien cruel et peu connu. « Votre transition, notre extinction » : voilà le slogan que Ñushpi Quilla Mayhuay Alancay et Veronica Chavez, deux militantes autochtones andines, sont venues porter dans la capitale, début mai.
Dans leur ligne de mire, ceux qui accaparent leurs terres. Le dirigeant argentin, Javier Milei, et son gouvernement d’extrême droite. Les sociétés extractives de lithium et ceux qui en dépendent, à commencer par la firme du multimilliardaire Elon Musk, le constructeur d’automobiles Tesla.
L’extraction du lithium, une catastrophe pour les communautés de Jujuy
« Cela fait quatorze ans qu’ils sont arrivés chez nous et violent nos droits. Depuis, on ne peut plus vivre dignement comme nos grands-pères, nos grands-mères », déplore Veronica Chavez. La représentante élue du Santuario de Tres Pozos, un village autochtone de plus de 500 âmes niché au sud de l’Altiplano, dans les salars de la province de Jujuy, estime qu’elle et les siens sont sacrifiés sur l’autel de la transition écologique.
Au nord des maisons en adobes – briques de terre crue – et des ruelles de sable fin, le lac de Guayatayoc. Au sud, le bassin de Salinas Grandes.
Les salines foisonnent de métal alcalin : on y pompe la saumure (liquide saturé en sels minéraux) dans de grands étangs peu profonds, puis on l’extrait par un procédé d’évaporation. Dégager 1 kg de lithium nécessite d’utiliser jusqu’à 2 000 litres d’eau, selon la technique utilisée.
« Beaucoup d’eau, dénonce Veronica, dont celle des fleuves où on la prélève pour nos besoins. Elle est aujourd’hui contaminée, provoque des risques de cancer et de maladies. Il ne reste plus rien pour pêcher. » Toutes les activités sont affectées, de l’élevage de lamas à l’extraction artisanale des marais salants par des coopératives locales, comme celle à laquelle l’opposante de 51 ans est associée.
Le lithium et la violation des territoires indigènes
Se joue dans le triangle du lithium une « profanation des territoires », complète sa camarade de lutte postée à côté d’elle, Ñushpi Quilla. L’impact sur l’eau « est devenu un problème pour l’agriculture, c’est dangereux pour tout le monde, pour nous êtres humains, mais aussi pour la faune, les arbres, la nature ».
La militante pour les droits humains, dont le nom signifie « petite lune » en langue quechua, opère depuis Mendoza, au pied des Andes. Représentante de l’organisation identité territoriale Malalweche du peuple mapuche, elle s’est donnée pour but de « casser ce narratif mensonger, notamment en Europe », s’agissant de la transition énergétique.
« Nous, nous n’avons pas besoin de voitures électriques. On détruit nos territoires pour que les pays riches puissent continuer à vivre et à consommer comme avant », s’indigne l’avocate au chapeau vissé sur la tête. D’autant que la situation a empiré depuis l’élection de Javier Milei à la Casa Rosada.
« Le problème vient des autorités locales, mais Milei porte une responsabilité fondamentale. Pour lui, le libre marché importe plus que tout, il ne pense pas à nos droits fondamentaux et agit comme s’il n’y avait personne sur ces terres. »
Intérêts économiques contre résistance autochtone
En Argentine comme ailleurs sur la planète, les communautés autochtones sont mises au ban des prises de décision. Quant aux stratagèmes utilisés par les sociétés extractivistes pour tenter d’acheter leur silence, les autorités locales ferment les yeux, plutôt aiguillées « par des intérêts économiques que par ceux des peuples qui vivent là », constate Veronica.
Les « intérêts de peu contre l’intérêt général », renchérit Ñushpi. Et les voix qui s’élèvent pour les remettre en cause sont muselées : « Chez moi, deux personnes ont été arrêtées récemment sans raison. » La criminalisation des mouvements écologistes atteint son paroxysme parmi les activistes autochtones. Plus qu’une violation des droits humains, l’extractivisme est, pour eux, synonyme de colonisation et de dépossession culturelle.
Un colonialisme teinté de vert, mais aux impacts nombreux et invisibilisés. Tout comme Veronica et les peuples du sel, Ñushpi, de par son identité quechua-kolla, perpétue « une tradition de lutte depuis plus de cinq cents ans ».
Ce combat pour la Pachamama (Terre Mère) et pour la coexistence harmonieuse entre tous les êtres vivants prend tout son sens dans le wiphala, ce drapeau multicolore qu’elles arborent ensemble fièrement, symbole de l’État plurinational de Bolivie et plus largement des ethnies des Andes.
Lorsque nous lui demandons ce qu’elle espère pour son avenir, Veronica lâche un sourire en coin. Puis elle prévient : « Un jour ou l’autre, il y a aura une vraie justice. On va rester là. On ne partira pas. »
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