
L’incendie dans l’Aude, désormais fixé, a surpris les politiques. Pas les climatologues, qui prévoient une intensification des feux depuis des années. L’État, lui, préfère s’enfoncer dans une « amnésie cyclique qui lui sied bien », écrit notre journaliste.
Par Emmanuel CLEVENOT.
« Qui aurait pu prédire ? » Les années passent et la présidence d’Emmanuel Macron se heurte inlassablement au même obstacle : une mémoire courte. Dans ses vœux du 31 décembre 2022 — cinq mois après qu’un grand brasier ait meurtri la Gironde —, le chef d’État semblait découvrir la crise climatique « aux effets spectaculaires » et donc soi-disant imprévisibles. Lui aussi atteint du syndrome du vinyle rayé, c’est désormais à son actuel Premier ministre de s’alarmer des répercussions d’une planète en surchauffe devant le feu de forêt français le plus violent du XXIe siècle.
« On est dans un moment où le changement climatique se fait sentir », a déclaré François Bayrou, en déplacement dans l’arrière-pays narbonnais. Du 5 au 7 août, les flammes y ont brûlé 17 000 hectares — soit 1,6 fois la superficie de Paris. Une intensité totalement inédite depuis 1949 et l’incendie de la forêt des Landes, dans lequel 82 personnes avaient péri. « On n’avait jamais connu ça, a réagi le locataire de l’hôtel Matignon. Les équipes n’ont jamais connu un incendie qui allait aussi vite pour dévorer la garrigue, les forêts et ces milliers d’hectares. »
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Visiblement surpris, le Premier ministre n’aurait pas dû l’être. Les climatologues préviennent depuis des années que le changement climatique entraîne une aggravation du risque de feux. Dans une France à +4 °C à l’horizon 2100, celui-ci se généralisera à l’ensemble du territoire et la saison des incendies pourrait durer 1 à 2 mois supplémentaires par endroits, détaille Météo-France.
Autant d’informations que François Bayrou — amoureux du jet privé — aurait pu potasser dans le vol de 24 minutes l’ayant transporté de Carcassonne à Nîmes… la deuxième escale de sa journée.
Promesse non tenue
Bien loin de cultiver une véritable culture du feu, l’État semble au contraire soigner une amnésie cyclique qui lui sied bien : « On en parle l’été, lorsque l’actualité est brûlante. Ça devient même un marronnier. Et puis on oublie le sujet lorsque les pluies arrivent à l’automne, sans se préparer aux feux qui reviendront neuf mois plus tard », disait début août à Reporterre l’anthropologue Élise Boutié.
Illustration parfaite en 2022. Au lendemain des mégafeux girondins, Emmanuel Macron avait dévoilé sa « stratégie nouvelle » de lutte contre les incendies : « Nous allons investir massivement pour que d’ici la fin du quinquennat les 12 [Canadair vieillissants] » de la flotte française « soient remplacés, et que leur nombre soit porté jusqu’à 16 ». État des lieux trois ans plus tard ? Seuls deux nouveaux avions bombardiers d’eau ont été commandés, pour une livraison estimée à 2028.
La stratégie : gonfler les pectoraux devant l’ennemi à abattre
Le 6 août, François Bayrou s’est dit « très content » de venir « vérifier la motivation des équipes » sur le terrain. Une déclaration osée pour le chef d’un gouvernement brillant par son inaction face à la crise climatique. Dans le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, publié en mars avec quinze mois de retard, le ministère de la Transition écologique liste — en omettant d’évoquer la promesse non tenue des Canadair — les rares mesures déjà engagées.
Parmi elles, une campagne d’information sur les obligations légales de débroussaillement. Celles-ci imposent notamment aux habitants vivant en zone à risque d’éliminer la végétation inflammable autour de leur demeure. Une mesure efficace, mais peu appliquée : « Tout le monde ne peut pas le faire, disait récemment à Reporterre Arthur Guerin-Turcq, doctorant en géographie, en citant les personnes âgées. Il faut que l’État intervienne pour ne pas laisser la sécurité aux seuls individus. » Problème : celui-ci démantèle en parallèle l’Office national des forêts… censé superviser le dossier.
« Fraternité d’armes »
Des propositions concrètes d’adaptation, les chercheurs en ont pourtant posé plusieurs sur la table. À commencer par repenser l’aménagement des villes. L’urbanisation croissante ayant rapproché les habitats des forêts, des milliers de maisons et d’immeubles sont aujourd’hui vulnérables à la moindre étincelle.
« On devrait être prêt depuis dix ans, mais la récurrence des catastrophes montre qu’on ne l’est pas, déplore Jordan Szcrupak, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille. Il est urgent d’investir pour aménager les espaces périurbains avec une planification stratégique, des documents d’urbanisme qui intègrent la science du feu. »
Parmi les politiques publiques à promouvoir figurent ainsi la rénovation des voiries pour mieux évacuer les sinistrés, le déploiement de réseaux d’eau sous pression en périphérie pour alimenter les fourgons des pompiers ou encore la rénovation des bâtiments avec des biomatériaux plus résistants aux flammes.
La création de zones tampons — espaces dénudés de combustibles où le feu ne peut se propager — apparaît aussi indispensable. Au même titre que la diversification des essences d’arbres dans nos forêts, les pins maritimes étant certes plus adaptés à un climat sec, mais aussi beaucoup plus inflammables. Bref, les pistes sont là.
Reste que, pour l’heure, l’exécutif semble privilégier une tout autre stratégie : gonfler les pectoraux devant l’ennemi à abattre. Le 6 août, dans un message posté sur le réseau social X, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qualifiait « la fraternité d’armes » comme un atout « décisif dans cette bataille ». Une sémantique « viriliste et militaire », dont l’objectif est de délivrer « aux populations un faux sentiment de sécurité », analyse l’anthropologue Élise Boutié. Et tant pis si l’urgence climatique est reléguée au second rang des priorités politiques.
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Source: https://reporterre.net/L-eternelle-amnesie-de-l-Etat-face-aux-feux-de-foret
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