Incendie dans l’Aude : « la déprise viticole ouvre la voie au feu », estime l’élue écologiste Kattalin Fortuné (H.fr-12/08/25)

Des pompiers travaillent à proximité de leurs véhicules dans une zone forestière incendiée touchée par un feu de forêt, à Lagrasse (A ude), le 8 août 2025.© Bertrand GUAY / AFP

Comment envisager l’après-incendie pour les sinistrés et les collectivités locales ? Entretien avec Kattalin Fortuné, élue écologiste du canton des Corbières ravagé par les flammes.

Entretien réalisé par Clara GAZEL

L’incendie qui a embrasé l’Aude le 5 août est le plus important qu’ait connu le pourtour méditerranéen français depuis cinquante ans : 16 000 hectares parcourus, une soixantaine d’habitations et de véhicules touchés. Le feu, maîtrisé depuis dimanche, laisse les sinistrés face à des démarches d’assurance complexes, les incendies n’étant pas reconnus comme catastrophes naturelles.

C’est le cas des viticulteurs, dont les vignes, pourtant réputées coupe-feu, sont parties en fumée. Kattalin Fortuné, conseillère départementale de l’Aude (Les Écologistes), alerte sur leur situation et réclame à l’État des aides rapides pour éviter qu’un tel drame se reproduise.

Quel est l’état d’esprit des habitants des Corbières, une semaine après le feu ?

Kattalin Fortuné Conseillère départementale (Les Écologistes) de l’Aude

On a vécu l’apocalypse. L’incendie a surpris par sa vitesse : plus de 5 km/h, c’est énorme. Sur place, nous étions entourés par la fumée, incapables de distinguer le paysage, avec des flammes partout et le ballet incessant des Canadair et des hélicoptères.

La coupure totale des communications a renforcé l’angoisse de la population et des élus. Depuis dimanche, le feu est maîtrisé, mais la vigilance rouge canicule demeure, avec un peu de vent. De nombreux pompiers restent mobilisés.

Cette peur d’une reprise, on la garde au ventre, on la ressent dans sa chair. Malgré la colère et la désolation d’avoir tout perdu, la résilience est frappante : on se parle, on rit, c’est fou de voir des gens qui ont tout perdu rire encore dans la douleur.

Des apéros ont été improvisés, des habitants ont nourri les pompiers, les foyers municipaux débordaient de nourriture… C’est la preuve que, dans nos milieux ruraux, la solidarité, c’est du concret.

Aurait-on pu prévoir un feu d’une telle ampleur ?

On ne découvre pas les incendies en Méditerranée. Mais là, l’ampleur est hallucinante. Nous avons vu un des visages du changement climatique : la sécheresse qui frappe les Corbières depuis trois ans, avec parfois à peine 250 mm de pluie par an. La végétation, pourtant adaptée, est en grande souffrance : à la moindre étincelle, tout s’embrase. Ce qui est inédit ce n’est pas l’incendie en soi, mais son ampleur. Sans oublier la déprise viticole, qui laisse des milliers d’hectares se couvrir de végétation sèche.

Ce phénomène, on l’a vu venir depuis longtemps, avec parfois le sentiment de prêcher dans le désert. L’incendie de Ribaute met en lumière l’incohérence des politiques agricoles, inadaptées à nos territoires et à leurs enjeux.

Depuis des années nous dénonçons une politique agricole commune qui dirige l’essentiel des fonds vers les très grandes exploitations, au détriment des petites, comme celles des Corbières, qui sont pourtant précieuses pour l’environnement.

Comment réparer ?

En accompagnant les sinistrés pour qu’ils soient rapidement relogés et indemnisés – un travail long tant les contrats d’assurance varient. Il faut aussi rétablir au plus vite électricité, téléphonie et Internet, encore coupés par endroits. Le réapprovisionnement en eau est impérative.

Certains réservoirs, vidés pour éteindre le feu, doivent être rapidement remplis. Enfin se pose une question cruciale pour les viticulteurs : que faire des vignes brûlées, ou dont la récolte est perdue ? Là, c’est à l’État d’agir.

Quand le premier ministre parle de catastrophe naturelle alors que ce régime ne couvre pas les incendies, je reste sans voix. Que fera l’État pour les viticulteurs, pour la plupart non assurés contre ce risque et déjà fragilisés par trois années de sécheresse inédite ? Et pour la récolte de 2025, que prévoit-on ?

Comment peut-on prévenir ces feux ?

Depuis plusieurs années, le département travaille sur des coupe-feu productifs : la vigne, adaptée à la sécheresse, ou l’association viticulture élevage, parfois au sein d’une même exploitation, car la diversification est aussi un levier d’adaptation au changement climatique.

Il faut préserver les sols, y stocker davantage de matière organique. On sait le faire mais il faut un soutien massif aux agriculteurs pour accélérer ces mutations. On n’a pas attendu ce mégafeu pour agir, mais il faut aller plus vite.

Comment soutenir les activités agricoles qui assurent ces coupures vertes, et les rendre économiquement viables ? Cela demande des moyens, dans un département pauvre comme le nôtre. Des solutions existent si l’État reconnaît les difficultés économiques de nos territoires méditerranéens.

Il faut la reconnaissance du handicap naturel pour cette zone. Les aides actuelles ne le font pas, alors que viticulture et élevage sont nos deux principaux leviers pour préserver et entretenir les milieux ouverts.

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Source: https://www.humanite.fr/societe/aude/incendie-dans-laude-pour-les-viticulteurs-cest-a-letat-dagir-estime-lelue-ecologiste-kattalin-fortune

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/incendie-dans-laude-la-deprise-viticole-ouvre-la-voie-au-feu-estime-lelue-ecologiste-kattalin-fortune-h-fr-12-08-25/

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