Incendies dans l’Aude et à Marseille : quand la solidarité des sinistrés prend le relais de l’État pour reconstruire (H.fr-12/08/25)

Le gigantesque feu survenu le 5 août a dévasté plus de 16 000 hectares dans le massif des Corbières.
© Photo by Viken KANTARCI / AFP

À l’Estaque, à Marseille, ou dans le massif des Corbières, dans l’Aude, les habitants, après les ravages du feu, oscillent entre tristesse et colère. Ils doivent rebâtir, forts d’une solidarité toujours intacte.

Par Nadège DUBESSAY.

Elle s’excuse avant de fondre en larmes. Pas un jour, pas une nuit sans que l’odeur âcre de la pinède brûlée ne remonte dans ses narines. Comme tous les habitants de l’Estaque depuis le terrible incendie du 8 juillet qui a ravagé 750 hectares de ce quartier Nord des hauteurs de Marseille (Bouches-du-Rhône), Pascale, 57 ans, reste sous le choc.

Ce jour-là, elle a vu les flammes détruire sa terrasse, puis entrer dans sa cuisine. Alors qu’une épaisse fumée noire envahit l’horizon, elle reçoit un message de la préfecture qui la somme de rester chez elle. « Mon beau-frère et mon neveu ont réussi à sauver ma maison grâce à l’eau de ma petite piscine hors-sol », explique l’enseignante.

La colère ne les quitte plus

Lorsque le feu est à sa porte, elle embarque avec elle ses parents, qui résident à quelques mètres, les petits enfants de ses voisins, et quitte les lieux. « La maison de mes voisins a été entièrement détruite. S’ils étaient restés, ils seraient morts. »

Aujourd’hui, la colère ne la quitte plus. Pourquoi cette consigne de confinement ? Pourquoi les pompiers ont-ils mis trois heures à se rendre sur place, alors que les marins-pompiers, tout proches, n’ont pas reçu l’ordre d’intervenir ? « Le feu s’est déclaré à 15 h 15 chez moi. Les pompiers sont arrivés à… 18 h 20. Pourquoi ? »

Dans ce quartier excentré aux allures de village de 6 000 âmes, ancien hameau de pêcheurs puis cité ouvrière à la vue plongeante sur les eaux turquoise de la Méditerranée, des générations entières se succèdent. « Une famille a perdu ses quatre maisons », soupire Pascale, qui raconte ce monsieur de 92 ans demeurant dans la maison de son grand-père avec ses enfants et petits-enfants. « Il n’a plus rien. »

Nichée au sommet de la colline depuis 2015, la Déviation, lieu de vie et de recherches artistiques, est lui aussi parti en fumée. Exit la boulangerie, l’atelier de construction, de céramique, la salle de montage, l’hébergement des dix artistes en résidence et l’accueil de la soixantaine de projets par an. « Ça nous a mis un énorme coup », avoue Ludivine, 37 ans, l’une des artistes bénévoles. « Nous avons reçu beaucoup, beaucoup de soutiens », souligne la dessinatrice.

Elle et son compagnon, Romain, 35 ans, se dépatouillent aujourd’hui avec les dossiers des assurances, mais aussi pour arracher des subventions. Et reconstruire, différemment. « Il y a une carrière de béton à côté. Alors l’idée de rebâtir en béton n’est pas si délirante. Nous ajouterons des réserves d’eau et repenserons la végétalisation, puisque l’État n’est pas si fiable. Investir dans la culture et les Canadair ne semblent pas sa priorité », enchaîne le cinéaste.

90 habitations complètement détruites

Au total, 90 habitations ont été détruites dont une soixantaine complètement. Depuis, les habitants organisent l’entraide. Soutien moral, collecte de vêtements, création d’une cagnotte, re-végétalisation, soins des animaux, déblaiement, démarches administratives, communication avec les médias…

Le collectif du 8 juillet s’est vite créé, à l’image de celui mis en place à la suite de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018. Agnès, 58 ans, habite juste en dessous de chez Pascale. À l’origine – avec d’autres – du collectif, elle fait partie du sous-groupe WhatsApp re-végétalisation.

« Au début, les gens exprimaient leur colère, se souvient-elle. Maintenant, même si celle-ci demeure, on est davantage constructifs. » Elle a eu de la chance. Seul son jardin a brûlé alors que les deux maisons juste devant la sienne, entourées de cyprès, n’ont pas résisté aux flammes.

« Pour déblayer, les voisins, les amis, la famille ont aidé. Maintenant, il y a des tas de gravats un peu partout dans les rues. J’ai dû batailler avec la métropole pour qu’ils viennent chercher les déchets verts. » Il faut désormais replanter. Reconstruire sur les cendres pour que l’Estaque ne ressemble pas à un gros rocher noir. Les habitants s’échangent des boutures. « Les écoles vont s’y mettre, les centres sociaux, les maisons de quartier aussi », veut croire Agnès.

16 000 hectares dévastés dans le massif des Corbières

À Jonquières (Aude), c’est un paysage lunaire recouvert de cendres, empli de silence et de désolation, que les 46 habitants sinistrés ont retrouvé lorsqu’ils ont pu retourner au village, anéanti par les flammes à 75 %. Plus d’eau, ni d’électricité, ni de communication… Ici, huit des 20 maisons sont tombées. Un choc.

Encore un, après le gigantesque feu survenu le 5 août qui a dévasté plus de 16 000 hectares dans le massif des Corbières. Le maire de la petite commune peine encore à trouver les mots. Devant lui, le champ de collines autrefois verdoyant s’est mué en une terre totalement carbonisée.

« C’était un beau village, un beau village », murmure Jacques Piraud en boucle. « Vous imaginez ce que ça représente pour une famille de perdre son foyer ? »

Aujourd’hui, les touristes ont cédé la place aux experts des assurances et aux récupérateurs de matériaux en tout genre qui affluent, flairant la bonne affaire. « C’est le côté malsain, déplore le maire. Mais nous restons solidaires. On se protège de tout ça. » Là aussi, il faut reconstruire.

Malgré tout. « La végétation repoussera doucement à partir du printemps prochain. Les vieilles bâtisses en pierre seront remplacées par du neuf, d’ici à deux ans. » Comme pour les habitants de l’Estaque, la solidarité, immédiate, ne faillit toujours pas. Au plus fort de l’incendie, le village voisin de Talairan, à 7 km de là, a accueilli les habitants de Jonquières.

La solidarité dans l’épreuve

« Nous avons déclenché le plan communal de sauvegarde, avec une réunion en salle de conseil pour rappeler à chacun ses missions. Nous avons mis à disposition toutes les salles municipales », relate le maire de Talairan, Cédric Malric. Dans la salle des fêtes, ceux de Talairan et de Jonquières se sont rejoints.

Cette nuit-là, personne n’a pu dormir. Il y avait ce besoin impérieux, vital, de rester groupé, de parler, pleurer, se consoler, « avec autant de moments de grand silence que d’échanges », se souvient l’élu. Des habitants de Talairan se portent volontaires spontanément pour héberger chez eux les familles sinistrées de Jonquières. Et des liens, indéfectibles, se tissent.

Comme dans le quartier Nord du 16e arrondissement de Marseille, après la stupeur, la tristesse, viennent les interrogations et la colère. « Pourquoi il n’y avait pas de plan de massif, pas de plan de défense incendie, dans la colline de Saint-Victor ? » demande Jacques Piraud.

À François Bayrou, qui s’est rendu sur place, des habitants de Jonquières n’hésitent pas à faire remarquer que leur territoire rural mérite mieux de la part des pouvoirs publics. « Depuis la déprise agricole – l’abandon des terres et des élevages – nous ne cessons d’alerter sur les dangers d’une agriculture en jachère. Elle doit au contraire avoir un rôle primordial dans l’aménagement du territoire », tempête le maire de Talairan, par ailleurs vigneron.

« Un vrai scandale d’Etat »

« C’est pas pour faire peur aux gens, mais ça fait des années que nous le disons : la politique d’arrachage massif des vignes, l’abandon du pâturage au profit de l’élevage intensif ont fait disparaître ce monde rural qui façonnait notre territoire et qui savait faire barrage en cas d’incendie. »

Cédric Malric marque une pause. Le ton grave, le maire n’y va pas par quatre chemins. « Après ce qui s’est passé, si nous n’avons pas une réflexion commune – État, communes, agriculteurs, acteurs de terrain –, alors nous subirons les conséquences d’un abandon complet de cette région méditerranéenne. »

Ironie de la vie, Pascale habite dans le quartier des… Abandonnés, sur les collines de l’Estaque. Comme beaucoup ici, elle a porté plainte contre X. Elle aurait aimé le faire contre le préfet. Mais ça n’a pas été jugé recevable. « Pourtant, il y a un vrai scandale d’État », affirme celle qui se souvient de l’incendie de 2001, colmaté par les pompiers sans dommage.

« Suite à ça, les habitants ont participé à des dizaines de réunions des comités d’intérêt de quartier, avec les marins-pompiers. Avec l’aide du conseil départemental, des routes de feu ont été tracées. De grosses barriques d’eau ont été installées dans la colline. Pourquoi tout ce dispositif n’a-t-il pas été utilisé le 8 juillet ? » L’enseignante s’excuse encore une fois. Retient ses sanglots. La rentrée de septembre, elle ne sait pas si elle aura la force. « Je me sens tellement fragile. »

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Source: https://www.humanite.fr/societe/aude/incendies-dans-laude-et-a-marseille-quand-la-solidarite-des-sinistres-prend-le-relais-de-letat-pour-reconstruire

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