Canicule : à Marseille, l’intense combat des sans-abri face aux chaleurs extrêmes et la précarité (H.fr-12/08/25)

En période de forte chaleur (vigilance canicule), le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de Marseille organise une veille sociale et téléphonique auprès des personnes vulnérables (personnes isolées ou personnes âgées).
©PHOTOPQR/LA PROVENCE/Nicolas VALLAURI

Alors que les températures dépassent les 40 degrés dans plusieurs départements ce 12 août, les sans domicile fixe en sont les premières victimes. Dans la cité phocéenne, la municipalité et les associations font ce qu’elles peuvent pour pallier le manque de centres d’hébergement d’urgence.

Par Anne BILLOËT.

Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale.

Il n’est que 11 heures du matin, ce 12 août, à Marseille, et le mercure affiche déjà 33 °C. Sur les plages, quelques touristes audacieux bravent le risque d’insolation. Plus loin, plusieurs sans-abri, dont les affaires sont entreposées entre les roches, cherchent l’ombre et font des allers-retours à la fontaine pour remplir des bouteilles d’eau, distribuées la veille par les différentes maraudes mobiles.

Aux premières lueurs, un des trois fourgons du Samu social, chargé de bouteilles, de nourriture et de produits d’hygiène, démarre pour faire le tour de l’hypercentre phocéen. Gilets jaunes sur le dos, les bénévoles présents à bord accompagnent autant que faire se peut les SDF victimes des fortes chaleurs et signalent toute personne en situation d’urgence. À 19 heures, une autre association, le Secours catholique, prend le relais, et ce jusqu’à minuit.

Au manque de sommeil s’ajoute la déshydratation

Cet été rythmé par les pics caniculaires est particulièrement éprouvant pour les sans domicile fixe (SDF). À cause de la température, ils s’endorment tard et se réveillent très tôt. Au manque de sommeil s’ajoutent de nombreux cas de déshydratation, aggravés par le fait que les SDF doivent souvent porter toutes leurs affaires et leurs vêtements sur eux, faute d’endroit sécurisé où les conserver.

La lutte des places à l’ombre est ainsi un combat permanent : à Marseille, selon les derniers recensements, il y aurait environ 16 000 personnes sans domicile, dont 7 000 logées dans les centres d’hébergement d’urgence de la ville, d’après la mairie – ce qui suppose qu’autour de 9 000 personnes sont sans solution, à la rue. Cette situation génère des tensions et une montée des violences entre sans-abri, alertent plusieurs associations.

La question de la précarité des sans domicile fixe lors des vagues de froid est médiatisée, moins celle de leurs conditions d’existence lors des canicules, appelées à devenir la norme du fait du réchauffement climatique. La chaleur frappe pourtant à un moment où le nombre de Marseillais à la rue a augmenté de 145 %, d’après le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville.

Depuis le Covid, une augmentation de 9 % des demandes alimentaires

Selon l’association Morts de la rue, 855 personnes sans domicile sont décédées en 2024, dont à peu près une centaine à Marseille, si l’on met ce chiffre en rapport avec les estimations du Secours catholique. « On ne peut plus aller jusqu’au bout de nos maraudes, désormais nous arrivons à cours de produits à distribuer très rapidement », alerte Robert Cristin, bénévole pour l’association depuis dix ans.

Depuis 2022, à la suite du Covid et de la période d’inflation qui a suivi, les banques alimentaires témoignent d’une augmentation de 9 % des demandes. Un constat confirmé par Sonia, créatrice de 13 Solidaires, une maraude fixe dans le quartier de la gare Saint-Charles : « Parmi les gens dans la rue, je vois énormément de jeunes, et des travailleurs précaires », précise-t-elle.

Parmi les dizaines d’associations qui s’activent sur le front de la solidarité, on retrouve également le Samu social, directement rattaché à la municipalité. Celui-ci organise aussi chaque matin trois maraudes mobiles. La mairie de Marseille, dirigée par la gauche depuis 2020, revendique qu’elle consacre 11 % de son budget aux questions de solidarité, le triple de la mandature précédente, à l’époque de la droite Godin.

De nouvelles douches municipales d’ici fin 2025

Pour améliorer le sort des plus précaires, d’ici à la fin de l’année 2025, de nouvelles douches municipales devraient ouvrir, en solide, avec un véritable poste de premiers soins et un accueil social. Elles remplaceront les préfabriqués d’une capacité d’accueil de huit cabines qui existent aujourd’hui. Elles permettent, selon les employés de la mairie qui y travaillent, à une cinquantaine de personnes de se doucher et donc de se rafraîchir gratuitement chaque jour. Mais le dispositif touche souvent des travailleurs précaires plutôt que des SDF.

« Ces derniers ne se déplacent pas beaucoup, explique Robert Cristin. Le problème c’est qu’il n’y a qu’une seule douche municipale, il en faudrait au moins une dans chacun des huit secteurs de la ville. » Pour les associations, le travail de la ville marque une rupture avec celui de la droite mais reste insuffisant.

« Pour Jean-Claude Godin (l’ancien maire de Marseille, NDLR), la mer suffisait à donner accès à l’hygiène avec ses deux douches et ses toilettes au Prado, se souvient, amer, le bénévole. Il faut reconnaître à la nouvelle mandature un plus grand investissement, avec notamment la gratuité des piscines municipales. Mais si c’est pratique pour les mères de famille avec des enfants, les SDF peuvent-ils vraiment en profiter ? On ne va pas me faire croire qu’on les laissera entrer avec leurs sacs et leurs chiens si facilement. »

« Des politiques publiques pas à la hauteur »

Aux yeux des associations, la question primordiale est celle des centres d’hébergement d’urgence, gérée directement par la préfecture. Chez Caritas, on dénonce des « politiques publiques pas à la hauteur », un 115 toujours saturé d’appels et des centres d’hébergement bondés.

Même son de cloche chez Morts de la rue ou les Restos du cœur. Au Secours catholique et au Samu social, le décalage entre la réalité du terrain et les plans actionnés par la préfecture irrite : « Il y a toujours un retard et un manque d’anticipation des services de l’État quant aux vagues de chaleur. »

C’est en effet aux préfectures d’activer les plans grand chaud ou plan grand froid en période d’intensité climatique, ce qui permet par exemple l’ouverture exceptionnelle de centres d’hébergement d’urgence éphémères dans des équipements sportifs, comme les gymnases. Or, l’incurie de l’État agace jusque dans les rangs de la majorité.

Les budgets de l’Etat liés à la solidarité sont en baisse

Audrey Garino, vice-présidente du CCAS de Marseille et adjointe au maire, a fini par prendre les devants pour créer 200 places supplémentaires en centre d’hébergement d’urgence, se substituant aux compétences préfectorales.

« Nous sommes le dernier kilomètre de la solidarité, s’agace-t-elle. Nous finançons déjà intégralement le Samu social à Marseille, 4 millions d’euros qui ne font l’objet d’aucun financement de l’État. »

L’austérité annoncée dans le budget 2026, avec un nouvel effort demandé aux collectivités locales, va empirer les choses : « Les budgets des services de l’État liés à la solidarité sont à la baisse, les places en centre d’hébergement d’urgence seront moins nombreuses. » L’État entend par exemple faire des économies en réduisant les nuits d’hôtel réquisitionné à ses frais pour loger et mettre à l’abri les plus précaires.

Contacté, le ministère du Logement assure que « la situation des personnes sans domicile est une préoccupation majeure de l’État tout au long de l’année, même si les épisodes de chaleur extrême qui se multiplient avec le changement climatique constituent un risque supplémentaire faisant l’objet d’une attention particulière et de mesures spécifiques. Aujourd’hui, 203 000 places d’hébergement sont ouvertes toute l’année, contre 154 000 en 2019 ». Pour rappel, le nombre de SDF estimé en France en 2025 est de 305 000 personnes.

La question plus structurelle du logement est aussi pointée par les associations. À Marseille, le parc de logement social est saturé. « Il faut prendre le problème à la source pour désengorger les logements sociaux, propose Robert Cristin. La préfecture peut se porter garante pour les précaires qui emménageraient dans ces appartements vides, et ce faisant elle permettrait de nouveau une circulation des centres d’hébergement d’urgence vers les HLM, ce qui par extension libérerait des places dans les centres déjà existants. »

Le nombre de logements privatifs inoccupés depuis plus de deux ans s’élèverait à 17 500, à Marseille. Un immense gâchis. L’été, le soleil jette sa lumière plein phare sur les impasses d’un système qu’il faut rénover de fond en comble.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/marseille/canicule-a-marseille-lintense-combat-des-sans-abri-face-aux-chaleurs-extremes-et-la-precarite

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