
© Menahem Kahana / AFP
Le ministre israélien d’extrême droite Bezalel Smotrich, chargé des finances, a annoncé la construction d’une nouvelle colonie qui isolera Jérusalem-Est des territoires palestiniens et coupera la Cisjordanie en deux. À terme, celle-ci sera annexée. Un projet qui s’inscrit dans la vision d’un grand Israël où la bande de Gaza sera vidée de ses habitants.
Par Pierre BARBANCEY.
Ministre des Finances, dirigeant de Mafdal, le parti du sionisme religieux, homme d’extrême droite se définissant comme suprémaciste juif, le colon Bezalel Smotrich s’est rendu, jeudi 14 août, dans la colonie de Maale Adumim. Un endroit dont le symbole ne réside pas dans sa judaïté historique – elle n’en a pas, c’est une construction de toutes pièces –, mais bien dans son statut colonial.
Elle est située en Cisjordanie, territoire palestinien occupé, à 7 kilomètres à l’est de Jérusalem et à 13 kilomètres de la vallée du Jourdain. Que Smotrich s’y soit rendu pour y faire une annonce d’une gravité politique exceptionnelle n’a rien d’étonnant. L’implantation de Maale Adumim, en 1975, obéissait déjà à un schéma directeur et cadastral. C’était le premier maillon d’une chaîne visant à ceinturer Jérusalem-Est, occupée depuis 1967 et qui sera annexée en 1980.
La colonie E1, un serpent de mer qui prend dangereusement forme
Quelques années plus tard, en 1996, un plan a pris le nom de E1. Un projet de nouvelle colonie, qui relierait Jérusalem à la colonie de Maale Adumim, rendant ainsi une future capitale palestinienne à Jérusalem-Est pratiquement impossible. Gelé depuis des décennies en raison d’une opposition internationale, ce plan E1 est donc réactivé avec, selon Smotrich, l’aval de Benyamin Netanyahou et de Donald Trump.
Le ministre d’extrême droite ne cache pas qu’il ne s’agit rien de moins qu’une réponse israélienne à la volonté déclarée de pays de plus en nombreux, dont la France, de reconnaître un État de Palestine : « Quiconque, dans le monde, tente aujourd’hui de reconnaître un État palestinien recevra notre réponse sur le terrain. Non pas par des documents, des décisions ou des déclarations, mais par des faits. Des faits concernant les maisons, des faits concernant les quartiers. »
Pour Bezalel Smotrich, il importe maintenant d’accélérer le nettoyage ethnique nécessaire à la formation d’un grand Israël. « Ils parleront d’un rêve palestinien, et nous continuerons de construire une réalité juive, a-t-il déclaré. Cette réalité est ce qui enterrera définitivement l’idée d’un État palestinien, car il n’y a rien à reconnaître et personne à reconnaître. » Qu’il demande l’annexion totale de la Cisjordanie n’a rien de surprenant.
Ce plan E1, avec ses plus de 3 400 nouveaux logements, s’insère totalement dans la volonté politique d’un développement séparé en Cisjordanie. Il explique les attaques menées contre les Bédouins dans cette même zone depuis des années. Un apartheid s’y développe – comme dans tous les territoires occupés –, qui concerne aussi le réseau routier, certaines voies étant réservées aux colons juifs. « Même pendant l’apartheid en Afrique du Sud nous n’avons pas connu cela », nous avait confié Ahmed Kathrada, compagnon de détention de Nelson Mandela, lors d’une visite à Hébron.
Un véritable maillage que le projet E1 va aggraver. Son étendue, sur plus de 12 kilomètres carrés, va diviser la Cisjordanie en deux parties, nord et sud. D’un côté Ramallah et Naplouse, de l’autre, Bethléem et Hébron. Quant à Jérusalem-Est, il sera isolé du reste de la Palestine, sous emprise totale israélienne.
Le tout s’imbriquant dans la politique menée depuis des décennies par les gouvernements successifs (Likoud, travailliste ou un mélange des deux appelé « unité nationale ») avec l’agrandissement dit « naturel » des colonies (argument avancé par Shimon Peres, alors premier ministre, pour contourner l’engagement du gel de la colonisation), l’abandon pur et simple des accords d’Oslo et, depuis le 7 octobre 2023, une volonté d’en finir avec le statut des réfugiés palestiniens.
« Le plan E1 est mortel pour l’avenir d’Israël »
L’organisme des Nations unies dédié à cette population, l’UNRWA, est persona non grata en Israël et ses dirigeants et cadres ne peuvent plus se rendre dans les territoires occupés. Quant aux camps de réfugiés, dans les rues desquels la jeunesse palestinienne sent le poids historique de l’occupation et de la colonisation et porte la Nakba (la « Catastrophe » de 1948) peut-être plus qu’ailleurs en Palestine, ils sont la cible des bulldozers de l’armée.
Il s’agit de détruire toute résistance, même la plus pacifique. Les camps de Jénine et de Tulkarem sont en partie rasés et les habitants sans logement. Ailleurs, notamment autour de Naplouse et au sud de Hébron (comme à Masafer Yatta), les colons règnent en maîtres, épaulés par les soldats, incendiant les voitures.
Pour l’ONG israélienne anti occupation, la Paix maintenant, « le plan E1 est mortel pour l’avenir d’Israël et compromet toute chance de parvenir à une solution pacifique à deux États. (…) Les mesures d’annexion du gouvernement nous éloignent encore davantage de cette solution et promettent de nombreuses années supplémentaires de carnage ». L’association Ir Amim souligne que cela entraînerait également une « détérioration rapide et grave » des conditions économiques et sociales des Palestiniens, ce qui conduirait à une plus grande instabilité et à davantage de violence.
Pour le gouvernement israélien, et pour la majorité du Parlement, la Knesset, il n’est pas question de permettre la mise sur pied d’un État palestinien, encore moins viable et continu entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale. D’une certaine manière, la seule continuité existante réside dans ce plan longtemps masqué et aujourd’hui dévoilé. Benyamin Netanyahou se sent « investi d’une mission historique et spirituelle », comme il l’a répété sur la chaîne I24News.
Mission qui se traduit par une expulsion des Palestiniens et s’est transformée en génocide à Gaza. L’armée israélienne s’apprête à déferler sur la grande ville du territoire soumise aux pires bombardements et les habitants seront poussés toujours plus vers le sud. Première étape avant leur départ définitif, comme le veulent les dirigeants israéliens et états-uniens. Même les Israéliens qui manifestent pour l’arrêt de la guerre et le retour des leurs toujours captifs à Gaza sont méprisés par leurs dirigeants.
La France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, peut bien dire qu’elle « condamne avec la plus grande fermeté la décision des autorités israéliennes de valider le projet de colonie E1 », les paroles n’arrêtent pas le plan de Netanyahou. Dimanche 17 août, en milieu de matinée, des sources médicales indiquaient qu’au moins 21 Palestiniens avaient été tués à Gaza depuis le début de la journée.
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