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En septembre, de nouvelles discussions auront lieu sur le règlement Chat Control censé lutter contre la pédocriminalité en surveillant les échanges des Européens, même sur les messageries cryptées.
Par Jade Lucas
Après la tentative ratée de Bruno Retailleau d’instaurer des « backdoors » ou « portes dérobées », ces logiciels permettant aux policiers de s’infiltrer dans des discussions chiffrées, lors du vote de la loi contre le narcotrafic en mars 2025, c’est au tour de l’Union européenne (UE) de vouloir surveiller nos échanges privés.
En 2022, la Commission européenne a déposé un projet de loi, le Chat Control 2.0, proposant le scan automatique par des intelligences artificielles des messages, photos et vidéos avant leur envoi, officiellement pour lutter contre la diffusion de contenu pédopornographique.
Signal, WhatsApp, Proton Mail… les services de messagerie sur la sellette
Instaurée au départ sur la base du volontariat des services de messagerie, avec le Chat Control 1.0 adopté en 2021, cette nouvelle réglementation obligatoire concernerait tous les utilisateurs de messageries, même celles cryptées de bout en bout comme Signal, WhatsApp ou Proton Mail.
Avec le mécanisme « client-side-scanning » (scan côté client), les services de ce type, connus pour leur haut degré de confidentialité, se retrouveront contraints d’abandonner leur mode de fonctionnement, reposant sur le cryptage intégral des conversations.
En novembre 2023, le Parlement européen s’était positionné contre le texte, en votant plusieurs amendements, dont le retrait du scan généralisé. Cette modification pourrait cependant faire « l’objet d’un compromis » permettant à la Commission de maintenir le client-side-scanning, s’inquiète Patrick Breyer, figure de proue du mouvement d’opposition au texte, ex-eurodéputé du Parti des pirates, une formation en perte de vitesse, opposée à toute forme de régulation.
La présidence danoise veut accélérer le dossier
Quant au conseil de l’UE, le clivage est tel sur ce règlement que les États membres n’arrivent pas à trouver d’accord. Cette situation pourrait changer avec la présidence danoise, inaugurée le 1er juillet 2025.
« La nouvelle présidence semble déterminée à faire passer ce texte, avertit l’eurodéputée écologiste Saskia Bricmont, qui siège avec le groupe Verts/Alliance libre européenne. Comme la majorité du Parlement s’est droitisée, on craint que le rapporteur ne change d’avis. »
Les membres du conseil de l’UE sont tenus de trouver un accord à la rentrée prochaine. Si cela leur est impossible, un vote est prévu le 14 octobre avec les ministres de la Justice et de l’Intérieur, où une majorité qualifiée, représentant au moins 15 pays et 65 % de la population européenne, sera requise pour arrêter une position favorable.
Les lanceurs d’alerte et les journalistes dans le collimateur du scan
Si ce texte est aussi controversé, c’est parce qu’il poserait de graves problèmes de cybersécurité et de protection de la vie privée, selon ses détracteurs. « Avec la réglementation Chat Control, c’est comme si les services postaux ouvraient toutes les lettres juste pour regarder s’il y a quelque chose », s’alarme Patrick Breyer.
En effet, le scan de contenus s’appliquera à tous les utilisateurs, sauf aux membres de gouvernements, protégés par une clause du texte. Lanceurs d’alerte, sources ou journalistes d’investigation pourront se retrouver dans le viseur de ces contrôles opérés par une intelligence artificielle, puis, en cas de signalement, par les autorités policières d’un État membre.
« Chat Control aura un effet décourageant », prévient Patrick Breyer, qui alerte sur la proportion potentielle de « faux positifs ». Analysées hors de leur contexte, de nombreuses images pourraient être considérées comme susceptibles d’être du contenu de pédopornographie.
« Une boîte de Pandore pour hackers ou les acteurs nationaux »
Si la législation a été conçue par des Européens, ce sont les utilisateurs du monde entier qui vont voir leurs communications disséquées. Une telle réglementation pourrait « créer les conditions d’une surveillance de masse », s’alarme Romain Digneaux, chargé des politiques publiques de Proton Mail, une messagerie cryptée de bout en bout.
Les opposants politiques qui utilisent ce type de service pourraient ainsi encourir de sérieux dangers, selon le représentant de Proton, qui rappelle qu’un programme similaire a déjà été utilisé par la Chine. Pour lui, ce scan généralisé ouvrirait « une boîte de Pandore pour hackers ou les acteurs nationaux, qui pourraient utiliser ce logiciel pour s’infiltrer dans des bases de données ».
Malgré sa grande envergure, ce système de scan aurait peu de chance d’atteindre son objectif. « Avec cette méthode, on retrace la diffusion du matériel criminel, mais on ne retrouve pas ceux qui le produisent », explique Patrick Breyer. Le Chat Control pourrait ainsi porter atteint aux libertés, sans être efficace contre le crime organisé, qui a recours à des messageries passant sous les radars.
La dernière phase d’approbation du texte devrait se jouer fin 2025 ou début 2026, avec le coup d’envoi des négociations en trilogue entre les trois institutions européennes.
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