Agriculture-Le bio est-il condamné? Un rapport dessine quatre futurs possibles pour la filière (Reorterre-21/08/25)

Un stand de produits bio, dans un marché parisien. Dans un des scénarios du rapport parlementaire, le bio représenterait moins de 3% des dépenses alimentaires des ménages en 2040, contre 5,6% en 2023. – © Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Un rapport publié par le ministère de l’Agriculture dessine quatre scénarios pour l’avenir du secteur. Normes environnementales, concurrence de l’agro-alimentaire, prix… L’étude interroge les politiques publiques actuelles.

Par Fabienne LOISEAU.

Nous sommes en 2040. Dans la grande surface de votre quartier, plus un seul produit bio en rayon : les grandes marques ont mis la clé sous la porte. Le label bio européen n’existe plus, tout comme les politiques de soutien au secteur. Pour trouver des produits étiquetés AB, il faut habiter à la campagne, près des producteurs locaux qui s’accrochent, ou bien dans une zone urbaine favorisée et bénéficier d’un fort pouvoir d’achat.

De leur côté, les agriculteurs conventionnels sont contraints de modifier leurs pratiques en cessant ou réduisant le recours aux engrais et pesticides, devenus trop chers face à la crise d’accès aux ressources stratégiques (phosphates, cuivre…). Ils concurrencent directement les agriculteurs bio en revendiquant une production sans intrants de synthèse, mais sans passer par la labellisation bio. Autrement dit, l’agriculture bio est devenue une portion congrue de la production nationale.

Ce tableau ne prétend pas décrire à l’avance la réalité, préviennent Ceresco, une société de conseil spécialisée dans le secteur agricole et agro-alimentaire, et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions (Crédoc), les auteurs de l’étude prospective dont il est issu. Ce rapport, dont l’analyse a été publiée le 13 août, explore différents futurs probables. Commandé par le ministère de l’Agriculture, il dessine quatre scénarios d’évolution du secteur bio français au cours des quinze prochaines années.

L’AB se fait voler la vedette par une « troisième voie »

Pour les auteurs, « la question d’une possible marginalisation de l’agriculture biologique se pose, face à d’autres démarches mettant elles aussi en avant des promesses environnementales ». C’est le cas du premier scénario que nous venons de décrire.

Même chose dans le deuxième scénario, où le label AB se fait voler la vedette par une « troisième voie » : dans celui-ci, les acteurs des secteurs agricoles et agro-alimentaires se développent, à grand coup de communication et de marketing. Leurs démarches de durabilité favorisent des techniques environnementales plus ambitieuses, certes, mais moins exigeantes que l’AB. Dans cette hypothèse, les produits bio représenteraient moins de 3 % des dépenses alimentaires des ménages en 2040, contre 5,6 % en 2023.

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Le troisième scénario, plus optimiste, imagine qu’un accord international ambitieux est conclu en 2032 pour relever les défis planétaires majeurs. En Europe, un nouveau Green Deal fixe des objectifs environnementaux forts, comme la fin de l’utilisation des produits phytosanitaires en 2040. « Pour les atteindre, la multiplication des conversions est jugée prioritaire et la transition vers [l’agriculture biologique] s’accélère fortement », décrivent les auteurs. 

Il faut alors réduire les coûts pour limiter l’inflation alimentaire. Le cahier des charges du bio européen est assoupli, sous l’influence de la grande distribution généraliste. Ces modifications suscitent des débats sur la préservation des paysages, le bien-être animal ou encore la répartition de la valeur. Cependant, l’agriculture bio retrouve le chemin de la croissance, d’autant plus que « la sensibilité des consommateurs aux enjeux environnementaux et de santé est grande, et la parole scientifique sur ces aspects est présente dans les médias ».

Et si l’agriculture bio devenait la norme ?

Le quatrième et dernier scénario est le plus ambitieux pour l’agriculture biologique. Imaginez : cette dernière devient la norme à atteindre en matière de production agricole ; une sécurité sociale de l’alimentation est créée ; chacun est appelé à réduire sa ration énergétique et sa consommation de viande ; les produits les plus nocifs pour la santé et l’environnement sont surtaxés ; la loi impose 25 % de produits bio dans les commerces alimentaires en 2035 ; l’éducation alimentaire et nutritionnelle dès l’enfance est renforcée…

« La part de l’alimentation dans le budget des ménages augmente notablement et s’établit à 25 % en moyenne en 2040, contre 15 % en 2020 », imaginent les auteurs, même si l’agriculture conventionnelle reste majoritaire. En outre, « les moyens budgétaires mobilisés ne suffisent pas à accompagner l’ensemble du système alimentaire. »

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Le rapport ne dit pas lequel de ces quatre scénarios est le plus probable au vu du contexte et des politiques publiques actuelles. Mais pour éviter la marginalisation du bio, des voies existent, assurent Ceresco et le Crédoc. Les organismes plaident pour le maintien d’une offre de produits bio suffisante dans le commerce et la restauration. Or, ces dernières années, la grande distribution a drastiquement réduit son offre, sans compter la désaffection des restaurants pour le bio.

Autres questions centrales, selon eux : celle du prix, notamment pour les produits transformés, et celle de l’image du bio. Actuellement, la filière a du mal à se démarquer des autres labels, faute de moyens pour lancer de grandes campagnes de communication. Les arguments liés à la santé devraient aussi jouer en faveur de la consommation de produits biologiques, estiment les auteurs. Enfin, l’éducation environnementale et la visibilité de la parole scientifique gagneraient à être renforcées.

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Le ministère de l’Agriculture a désormais toutes les billes en main pour imaginer à son tour l’avenir de l’agriculture biologique. Et peut-être bifurquer, après la politique de délaissement du secteur menée ces dernières années.

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Source: https://reporterre.net/Le-bio-est-il-condamne-Un-rapport-dessine-quatre-futurs-possibles-pour-la-filiere

URL: https://lherminerouge.fr/agriculture-le-bio-est-il-condamne-un-rapport-dessine-quatre-futurs-possibles-pour-la-filiere-reorterre-21-08-25/

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