« On est assis sur un baril de poudre » : le budget Bayrou au cœur du mouvement du 10 septembre (H.fr-21/08/25)

Le collectif Indignons-nous 22 a organisé, mercredi 20 août, une réunion publique dans la halle du marché de Saint-Brieuc afin de préparer la mobilisation du 10 septembre 2025 intitulée : « On bloque tout ». Environ 70 personnes se sont réunies pour discuter de leurs revendications et des actions à mener. © Jeanne Paturel/Agence

En marge du mouvement social, des appels à bloquer le pays le 10 septembre contre le budget Bayrou ont émergé au cœur de l’été. Suivis de près par le gouvernement, ils bousculent syndicats et partis politiques.

Par Cyprien BOGANDA & Naïm SAKHI.

C’est un mot d’ordre lancé dans la torpeur d’un été caniculaire, un mouvement sans chef ni porte-parole aux revendications parfois nébuleuses, mais qui a déjà imposé une date dans l’agenda médiatique de la rentrée : le 10 septembre, tout le monde s’attend à ce qu’il se passe quelque chose, même si personne ne sait à quoi cela ressemblera.

Le grand retour des gilets jaunes ? Des blocages ciblés ? Des manifestations ? Ou alors rien de tout cela ? Le gouvernement suit la situation, tout en pariant sur un pétard mouillé. Les organisations syndicales n’ont pas encore pris position, même si chacun reste attentif à la colère qui gronde.

Un appel à bloquer le pays qui enflamme les réseaux sociaux

Par ailleurs, la CGT annonce déjà des dates de mobilisation dans divers secteurs contre le budget austéritaire : à partir du 25 août dans les hôpitaux franciliens, du 2 septembre dans l’énergie, du 9 octobre dans la santé, etc. De son côté, FO a déposé un préavis de grève courant du 1er septembre au 30 novembre. Bref, que le 10 septembre ait bien lieu ou qu’il fasse long feu, la rentrée sociale s’annonce chaude.

À l’heure de la suprématie des réseaux sociaux, il n’est guère surprenant que le premier appel à bloquer le pays le 10 septembre émerge sur la plateforme TikTok. Il est plus étonnant, en revanche, que cet appel survienne dans le creux de l’été, hors de toute actualité.

Publiée le 14 juillet, la vidéo se présente comme une « lettre ouverte au peuple de France ». « Françaises, Français, nous avons tout essayé, les marches, les pancartes, les pétitions, démarre la voix off. On nous a ignorés, méprisés, frappés. (…) Aujourd’hui, nous allons nous arrêter. Le 10 septembre, la France se confine, pas par peur d’un virus mais par volonté d’un peuple qui dit stop (…) à ce système qui broie les humains pour nourrir les profits. (…) Ce jour-là, nous ne sortirons pas. Pas de travail, pas d’école, pas d’achat. »

« Cette date du 10 septembre est venue un peu par hasard, nous confie Christelle, vendeuse dans une PME située dans le Var, qui se présente comme l’autrice de la vidéo. J’avais commencé la vidéo le 10 juillet et je voulais laisser deux mois aux gens pour qu’ils puissent s’organiser. Je n’avais même pas vu que c’était un mercredi ! J’ai vite mesuré l’engouement autour de la vidéo, qui a été vue 660 000 fois. »

La suppression des jours fériés proposé par Bayrou met le feu aux poudres

Christelle est rapidement contactée par un groupe nommé « les Essentiels » qui assure la diffusion de sa production. Créé dans les Hauts-de-France par un entrepreneur indépendant, ce groupe affiche un programme résolument souverainiste et très étoffé, qui navigue entre la gauche du spectre politique (défense des services publics, dénonciation du système capitaliste, antiracisme…) et la droite (« Frexit », baisse des « charges » sociales).

« Nous sommes le dernier rempart avant la guerre civile, nous assène l’entrepreneur. Aujourd’hui, la colère dans le pays est telle qu’on est assis sur un baril de poudre. »

Les annonces de François Bayrou le 15 juillet – et surtout la possible suppression de deux jours fériés – mettent le feu à la plaine. Le mot d’ordre du 10 septembre se répand sur les réseaux sociaux sous l’impulsion d’une galaxie hétéroclite composée d’anciens gilets jaunes, de quelques groupes antivax et d’un certain nombre de comptes de gauche (dont certains liés à LFI) comme d’extrême droite.

Sur le terrain, des réunions locales commencent à s’organiser, souvent soutenues par des groupes de gilets jaunes. Une première revendication fait consensus : obtenir le retrait du projet de budget Bayrou.

La contestation s’organise dans l’ombre des messageries cryptées

En un mois (du 19 juillet au 18 août), le mouvement a généré près de 340 000 tweets, selon les données que nous a communiquées l’outil de veille des réseaux sociaux Visibrain. Visibrain précise cependant que l’ampleur réelle est compliquée à mesurer en raison d’un phénomène classique d’« astroturfing » (manipulation politique), avec plusieurs comptes suspects relayant le mouvement de façon artificielle, certains dépassant les 1 000 tweets quotidiens.

De toute façon, les organisateurs utilisent principalement des messageries cryptées, comme Telegram, pour échanger des informations. Un fil rouge relie tous les messages postés sur ces boucles : « tout bloquer ». Reste à savoir comment. Grève de la carte bleue, occupation des ronds-points, blocage des grandes entreprises, boycott de la grande distribution, grèves… : une profusion de mots d’ordre un tantinet brouillonne, où pointe l’envie très claire d’en découdre.

Certains participants proposent des méthodes plus précises qui s’inscrivent davantage dans le registre de l’action directe : sur certaines boucles Telegram, on recense les voies de communication à bloquer du côté de chez soi, les infrastructures numériques et les entreprises clés à cibler le jour J.

Une chose est sûre, ce bouillonnement témoigne d’une colère sociale et politique intense, décuplée par les dernières propositions du gouvernement de François Bayrou, qui se double d’une forme de lassitude à l’endroit du répertoire d’actions syndicales classiques.

« Il ne faut pas oublier que les gens ont déjà testé les manifs calmes ou un peu plus énervées, décrypte l’un des animateurs de Cerveaux non disponibles, un média aux 525 000 abonnés sur Instagram qui soutient le mouvement. L’idée du blocage vient de là : des personnes qui ont écopé de gardes à vue ou d’amendes de 150 euros pour avoir manifesté en vain, qui nourrissent la volonté de renverser un système qui leur marche dessus. C’est une histoire de dignité. D’avoir un horizon plus désirable pour ses enfants que le sien. »

Un mouvement ancré à gauche malgré les tentatives d’infiltration de l’extrême droite

Le soutien de Cerveaux non disponibles, aux orientations clairement anticapitalistes, ne trompe pas : le mouvement, aussi disparate soit-il, semble désormais se structurer sur des bases de gauche, même si des groupes d’extrême droite continuent d’avancer leurs pions.

« Les premiers temps, on a dû exclure des mecs qui postaient des photos d’Hitler ou des symboles nazis, nous raconte un membre d’une des boucles Telegram les plus actives. Mais aujourd’hui, les revendications sont clairement de gauche : pour nous, le problème n’est pas l’étranger ou la fraude sociale. On porte des revendications très claires sur la défense des plus faibles et des services publics. »

Fer de lance de la mobilisation, le groupe « Indignons-nous » réclame le retrait du budget Bayrou, mais aussi un droit de regard citoyen sur l’utilisation de l’argent public, l’arrêt « immédiat des cadeaux aux grosses fortunes », un plan anticorruption, l’abrogation de la réforme des retraites et de la loi Duplomb…

Tous les observateurs s’interrogent sur la capacité d’un mouvement né hors des centrales syndicales à faire masse le jour J. « L’hypothèse qu’il se passe quelque chose le 10 et celle qu’il ne se passe rien sont aussi valables l’une que l’autre, résume l’historien Stéphane Sirot. La première est alimentée par une conjonction d’éléments. Je n’ai pas de référence dans l’actualité récente d’un pouvoir politique qui serait allé aussi loin dans les attaques contre les droits sociaux. Or, s’il y a bien un sujet qui peut générer des solidarités, c’est la protection sociale. »

« Nous sommes le dernier rempart avant la guerre civile, nous assène l’entrepreneur. Aujourd’hui, la colère dans le pays est telle qu’on est assis sur un baril de poudre. »

Les annonces de François Bayrou le 15 juillet – et surtout la possible suppression de deux jours fériés – mettent le feu à la plaine. Le mot d’ordre du 10 septembre se répand sur les réseaux sociaux sous l’impulsion d’une galaxie hétéroclite composée d’anciens gilets jaunes, de quelques groupes antivax et d’un certain nombre de comptes de gauche (dont certains liés à LFI) comme d’extrême droite.

Sur le terrain, des réunions locales commencent à s’organiser, souvent soutenues par des groupes de gilets jaunes. Une première revendication fait consensus : obtenir le retrait du projet de budget Bayrou.

La contestation s’organise dans l’ombre des messageries cryptées

En un mois (du 19 juillet au 18 août), le mouvement a généré près de 340 000 tweets, selon les données que nous a communiquées l’outil de veille des réseaux sociaux Visibrain. Visibrain précise cependant que l’ampleur réelle est compliquée à mesurer en raison d’un phénomène classique d’« astroturfing » (manipulation politique), avec plusieurs comptes suspects relayant le mouvement de façon artificielle, certains dépassant les 1 000 tweets quotidiens.

De toute façon, les organisateurs utilisent principalement des messageries cryptées, comme Telegram, pour échanger des informations. Un fil rouge relie tous les messages postés sur ces boucles : « tout bloquer ». Reste à savoir comment. Grève de la carte bleue, occupation des ronds-points, blocage des grandes entreprises, boycott de la grande distribution, grèves… : une profusion de mots d’ordre un tantinet brouillonne, où pointe l’envie très claire d’en découdre.

Certains participants proposent des méthodes plus précises qui s’inscrivent davantage dans le registre de l’action directe : sur certaines boucles Telegram, on recense les voies de communication à bloquer du côté de chez soi, les infrastructures numériques et les entreprises clés à cibler le jour J.

Une chose est sûre, ce bouillonnement témoigne d’une colère sociale et politique intense, décuplée par les dernières propositions du gouvernement de François Bayrou, qui se double d’une forme de lassitude à l’endroit du répertoire d’actions syndicales classiques.

« Il ne faut pas oublier que les gens ont déjà testé les manifs calmes ou un peu plus énervées, décrypte l’un des animateurs de Cerveaux non disponibles, un média aux 525 000 abonnés sur Instagram qui soutient le mouvement. L’idée du blocage vient de là : des personnes qui ont écopé de gardes à vue ou d’amendes de 150 euros pour avoir manifesté en vain, qui nourrissent la volonté de renverser un système qui leur marche dessus. C’est une histoire de dignité. D’avoir un horizon plus désirable pour ses enfants que le sien. »

Un mouvement ancré à gauche malgré les tentatives d’infiltration de l’extrême droite

Le soutien de Cerveaux non disponibles, aux orientations clairement anticapitalistes, ne trompe pas : le mouvement, aussi disparate soit-il, semble désormais se structurer sur des bases de gauche, même si des groupes d’extrême droite continuent d’avancer leurs pions.

« Les premiers temps, on a dû exclure des mecs qui postaient des photos d’Hitler ou des symboles nazis, nous raconte un membre d’une des boucles Telegram les plus actives. Mais aujourd’hui, les revendications sont clairement de gauche : pour nous, le problème n’est pas l’étranger ou la fraude sociale. On porte des revendications très claires sur la défense des plus faibles et des services publics. »

Fer de lance de la mobilisation, le groupe « Indignons-nous » réclame le retrait du budget Bayrou, mais aussi un droit de regard citoyen sur l’utilisation de l’argent public, l’arrêt « immédiat des cadeaux aux grosses fortunes », un plan anticorruption, l’abrogation de la réforme des retraites et de la loi Duplomb…

Tous les observateurs s’interrogent sur la capacité d’un mouvement né hors des centrales syndicales à faire masse le jour J. « L’hypothèse qu’il se passe quelque chose le 10 et celle qu’il ne se passe rien sont aussi valables l’une que l’autre, résume l’historien Stéphane Sirot. La première est alimentée par une conjonction d’éléments. Je n’ai pas de référence dans l’actualité récente d’un pouvoir politique qui serait allé aussi loin dans les attaques contre les droits sociaux. Or, s’il y a bien un sujet qui peut générer des solidarités, c’est la protection sociale. »

L’historien note que ces attaques s’entrechoquent notamment avec le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises : « Ce rapport a été assez largement relayé dans la presse et contribue à attiser la colère, avec cette idée que des entreprises touchent des aides sans avoir à rendre de comptes, pendant qu’on réclame des économies au plus grand nombre. »

Deux logiques de rassemblement qui s’affrontent

À l’inverse, plusieurs éléments pourraient pénaliser le mouvement, à commencer par la profusion des mots d’ordre, mais également la date choisie, qui tombe un mercredi. « Les gilets jaunes se mobilisaient le samedi, rappelle Stéphane Sirot. Le mercredi, au contraire, l’immense majorité travaille. Je ne vois pas comment il pourrait y avoir un mouvement de masse ce jour-là sans appels à la grève, sauf à imaginer que des centaines de milliers de personnes déposent une RTT. »

« La perspective d’une France à l’arrêt a de quoi laisser perplexe, confirme Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique. Le 7 mars 2023, au plus fort du mouvement contre la réforme des retraites, l’intersyndicale avait échoué, car les grèves n’ont pas été assez suivies. » Cette année-là, seules 2,7 % des entreprises du secteur privé avaient fait grève, selon la Dares. « On a donc du mal à imaginer qu’un appel lancé en dehors des syndicats puisse suffire à bloquer l’économie », insiste le chercheur.

C’est dire si les réactions syndicales seront scrutées. La direction confédérale de la CGT va consulter l’ensemble de ses organisations lors du comité confédéral national des 25 et 26 août. « Il faut des mobilisations et elles seront nombreuses », prévient Thomas Vacheron, secrétaire confédéral.

« Deux logiques de rassemblement coexistent, résume Baptiste Giraud. D’un côté celui des centrales syndicales. La CGT met tout en œuvre pour embarquer l’ensemble des centrales dans un mouvement social offensif. De l’autre, un appel à la mobilisation impulsé d’abord en dehors des syndicats. »

Dès les annonces budgétaires, la centrale de Montreuil s’est attelée à rassembler l’ensemble des confédérations au travers d’une pétition qui a recueilli plus de 330 000 signatures. La rencontre de l’intersyndicale prévue le 1er septembre s’annonce décisive. Le chercheur note « que cette tentative du 10 septembre se nourrit de la position encore incertaine de l’intersyndicale ». À la CGT, les fédérations de la chimie et du commerce soutiennent d’ailleurs l’initiative.

L’unité syndicale, un impératif face à l’extrême droite

En août, Laurent Brun, administrateur confédéral CGT, s’est fendu d’une tribune sur Facebook au sujet du 10 septembre, « un mouvement de colère quasi spontané ». « Il faut être lucide : ce n’est pas ce genre de mouvement qui fait bouger les choses », estime le cégétiste, en raison de son caractère « désorganisé et idéologiquement composite qui l’empêche de réagir aux stratégies des capitalistes ».

Pour autant, « si la colère est telle qu’une bonne partie de la population s’identifie au 10 septembre, il ne faut pas mettre ce mouvement de côté », prévient-il.

Chez Solidaires, des contacts ont été noués dans une dizaine de départements avec des organisateurs du 10. « L’auto-organisation n’est pas pour nous déranger, convient Murielle Guilbert, codéléguée générale. Mais pour l’heure, cette date monte surtout dans les médias. » Mise en avant par ces derniers, un échec de la journée du 10 septembre pourrait servir de prétexte pour délégitimer un probable mouvement syndical, à l’automne.

Solidaires décidera le 27 août si elle appuie cette date. « L’alignement de centrales sur le 10 septembre est de nature à fracturer l’unité syndicale, insiste Baptiste Giraud. L’appel ”Bloquons tout” est marqué par l’extrême gauche et contribue à lui donner une tonalité de nature à freiner l’engagement de certaines centrales », en premier lieu la CFDT. Unité syndicale que la CGT estime nécessaire pour mobiliser les classes travailleuses, dans un contexte d’affrontement prégnant avec l’extrême droite.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/10-septembre/on-est-assis-sur-un-baril-de-poudre-le-budget-bayrou-au-coeur-du-mouvement-du-10-septembre

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/on-est-assis-sur-un-baril-de-poudre-le-budget-bayrou-au-coeur-du-mouvement-du-10-septembre-h-fr-21-08-25/

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